Luc Abratkiewicz, avocat des victimes de l'incendie mortel de Gabian (Hérault) le 10 août 2016, fait le point sur le dossier cinq ans après les faits. Il a bon espoir que le SDIS 34, qu'il continue d'attaquer, soit mis en examen en tant qu'institution. Avant un éventuel procès, peut-être en 2022.
Le 21 septembre est une date que la famille et les proches de Jérémy Beier ne pourront jamais oublier. Il y a cinq ans, le jeune pompier qui conduisait l'engin pris dans un violent incendie à Gabian le 10 août 2016, est décédé au CHU de Montpellier, brûlé à plus de 90%.
Ce mardi a marqué la pose d'une plaque "Jérémy Beier" dans une impasse de Béziers. La famille de Jérémy, les trois pompiers gravement blessés dans ce drame et leurs familles ont porté plainte contre X et ont fait appel, après les faits, à Luc Abratkiewicz, pour les représenter.
Cette figure du barreau de Montpellier ne cesse depuis cinq ans de dénoncer l'attitude du SDIS de l'Hérault, s'appuyant sur des rapports pour les attaquer judiciairement et dans la presse.
Rencontré mardi dans ses bureaux de Montpellier, il espère que l'institution des pompiers de l'Hérault va être mise en examen et qu'un procès aura lieu le plus rapidement possible pour "un moment de vérité judiciaire où chacun pourra s'exprimer et où la justice tranchera. Il faut que chacun soit mis face à ses responsabilités". "C'est important pour la mémoire de Jérémy et des gens qui portent des séquelles physiques et une souffrance morale évidente.".
France 3 Occitanie : Cela fait cinq ans que Jérémy Beier a disparu. Aujourd'hui, vous souhaitez la mise en examen du SDIS 34 en tant qu'institution...
Luc Abratkiewicz : Aujourd'hui, on a des expertises accablantes. Des personnes physiques ont été mises en examen, des représentants du SDIS. Il faut que ces personnes physiques qui ont commis des fautes personnelles soient renvoyées devant des juges pour assumer et être mises face à leurs responsabilités et que le SDIS soit poursuivi. Dans ce dossier, on pourrait peut-être aller au-delà du SDIS. Est-ce qu'on ira ? Je ne sais pas. Mais en tout cas, le SDIS, c'est certain, on ne peut pas éviter une mise en examen.
Que représenterait une mise en examen du SDIS comme institution ?
La mise en examen du SDIS, c'est la mise en examen d'une personne morale, l'entité est mise en cause. Dans un dossier où il y a autant de fautes individuelles, on ne peut pas écarter la faute collective. L'institution a fauté. Bien sûr que des personnes physiques n'ont rien dit, rien fait et qui ont laissé faire, mais il y a aussi l'institution. Pourquoi le SDIS, quelques mois après les faits, a changé la quasi-intégraité du parc de CCF (Camion-citerne feux de forêts) ? Il faut se poser les bonnes questions.
Le procès, je le souhaite. Ce sera un moment de vérité judiciaire, chacun pourra s'exprimer, la justice tranchera, il faut que chacun soit mis face de ses responsabilités. Il est important pour la mémoire de Jérémy et des gens qui portent des séquelles, des blessures physiques et une souffrance morale évidente.
Estimez-vous que le SDIS a respecté les victimes ?
Non. Depuis le début, le SDIS 34, l'institution, est extrêmement méprisante envers les victimes. Le dernier affront, c'est lorsque les parties civiles ont demandé à bénéficier de la protection fonctionnelle, les frais de justice. C'est un droit, on leur a refusé. Le SDIS accorde la protection fonctionnelle aux gens qui sont mis en cause mais les victimes n'ont rien, c'est abominable. Derrière le protocole, où on envoie des témoins assistés aux cérémonies, ce qui fait très mal aux parties civiles, il y a peu de prise de conscience de la gravité et de la nécessité d'apaiser les choses. Ce serait reconnaitre. Le SDIS n'est pas sur ce chemin, c'est une évidence.
Les familles sont dans l'attente d'un procès. Vous aussi ?
Je pense qu'on se dirige vers une fin de dossier, qu'on arrive au bout des expertises et que la mise en examen du SDIS, si elle intervient, sera formelle. Je la solliciterai. Le dossier va pouvoir se clôturer. Et on va pouvoir envisager le règlement de la procédure, le moment où le juge dira s'il y a suffisamment de charges ou pas et un renvoi devant le tribunal. C'est encore un long chemin.
Le procès, je le souhaite. Ce sera un moment de vérité judiciaire où chacun pourra s'exprimer, la justice tranchera, il faut que chacun soit mis face à ses responsabilités.
C'est faire preuve d'un cynisme terrible que de dire que les pompiers auraient dû rester à l'interieur de cette cabine. La mort serait intervenue, c'est une évidence.
Le rapport d'expertise notifié aux parties civiles en décembre 2020 vous donne-t-il de l'espoir pour une possible mise en examen du SDIS 34 ?
Ce rapport est accablant. Il écarte tout faute du conducteur, Jérémy Beier, et des occupants. L'expert nous dit que le camion était dans un état lamentable, n'était pas dans un état normal de service et que ce camion n'était pas une cabine refuge contrairement à ce que dit le SDIS depuis le début. S'ils étaient restés dans le camion, ils seraient tous morts. Ce camion aurait dû être réformé, il était bon pour l'entraînement, pas pour aller au feu, c'est quasiment criminel.
L'expert détaille les dysfonctionnements : l'autoprotection (système qui permet d'arroser la cabine) était hors d'usage, le plancher du camion était tellement corrodé qu'il y avait des trous, les joints d'étanchéité censés empêcher les fumées d'entrer dans le camion étaient défectueux, n'avaient jamais été changés. La chaleur sous le camion était entre 800 et 1.000°C.
Je suis convaincu, l'expert en est convaincu, les mises en examen vont dans ce sens : si ce CCF avait été aux normes, en état de fonctionnement, controlé, le drame n'arrivait pas. On a des exemples dans l'Aude ou dans les Bouches-du-Rhône, les pompiers ont été pris par le feu, ils sont restés à l'intérieur, c'est un grand moment de stress, une fois que le feu est passé, que l'autoprotection a fonctionné, que le camion a évité que la fumée rentre à l'intérieur et qu'on a un masque de fuite, on en ressort vivant. On les a envoyés à la mort.
Entretien réalisé le 21 septembre 2021.