Incendie mortel de Gabian en 2016 : retour sur 5 ans d'une longue et pénible enquête pour les victimes et leurs familles

Depuis mardi 21 septembre, il y a une impasse Jérémy Beier à Béziers. Cinq ans après le décès du pompier dans un violent incendie à Gabian dans l'Hérault, rapports, convocations et mises en examen se sont succédé. Sa famille et celle des trois autres pompiers gravement blessés espèrent un procès.

Une impasse sur l'ancienne route de Bédarieux, à Béziers, est désormais nommée "impasse Jérémy Beier". Ce mardi 21 septembre 2021, cinq ans après la mort du pompier de 24 ans lors d'un incendie à Gabian le 10 août 2016, une plaque a été dévoilée par le maire de la commune, Robert Ménard, également président de la Communauté d'agglomération Béziers Méditerranée.

Un hommage de plus rendu à ce jeune pompier, qui a succombé à ses brûlures, au contraire de ses trois collègues, miraculés mais marqués à vie. Les familles de ces quatre victimes sont désormais dans l'attente d'un procès, qui pourrait avoir lieu en 2022, où le SDIS de l'Hérault et la chaine de commandement de l'époque pourraient être mis en cause.

Cinq ans après l'incendie mortel, on fait le point sur les faits, les protagonistes et le déroulement de l'enquête.

Les faits

Le 10 août 2016, un violent incendie se déclare vers 14h30 à Roquessels et Gabian, dans l'Hérault, entre Pézenas et Bédarieux. 170 hectares sont ravagés par le feu. Durant l'intervention, quatre sapeurs-pompiers, Jérémy Beier, David Fontaine, Didier Bourdelier et Lucas Canuel, qui ont fui leur camion pour échapper aux flammes, sont blessés. Leur véhicule "a été cerné par les flammes", déclare le lieutenant-colonel Yannick Rebillon, des pompiers de l'Hérault. "Au plus fort de la lutte, 4 sapeurs-pompiers de ce dispositif ont été grièvement blessés et leur véhicule détruit par le feu", précise le SDIS 34. Le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve se rend sur les lieux.
Une enquête de gendarmerie, appuyée par la cellule technique de recherche des causes incendie (CTRC34), est ouverte afin de tenter de définir l’origine du feu.

David sort rapidement de l'hôpital. Mais le pronostic vital est engagé pour Jérémy. Et Didier et Lucas sont en état d'urgence absolue.
"Trois pompiers sont toujours en réanimation et leur état reste très sérieux", indique à l'AFP le commandant Jérôme Bonnafoux, porte-parole des pompiers de l'Hérault, le 13 août 2016. On apprend un peu plus tard que Jérémy Beier, 24 ans, est brûlé à plus de 90%.

Le 9 septembre 2016, les familles des 3 pompiers grièvement blessés portent plainte contre X "pour blessures involontaires avec circonstances aggravantes". Le 19 septembre 2016, une information judiciaire est ouverte par le procureur de la République de Béziers, Yvon Calvet.

Deux jours plus tard, Jérémy Beier décède au CHU de Montpellier, le 21 septembre. Transporté au service des grands brulés comme ses deux collègues, il était dans un coma artificiel depuis le début de son hospitalisation. "Sa famille pleure aujourd’hui la mort injuste de leur enfant dont l’honneur et le courage s’exprimaient à travers cette devise : « sauver ou périr ». La famille tient aussi à faire savoir qu’elle est déterminée à ce que la justice et la vérité éclatent pour la mémoire de Jérémy", écrit dans un communiqué Me Luc Abratkiewicz, l'avocat de la famille.

Les obsèques de Jérémy Beier ont lieu dans son village natal, Saint-Jean-de-Cuculles, dans l'Hérault, le 28 septembre, en présence de quelque 1 000 pompiers. Le préfet de l'Hérault n'y assiste pas en raison du refus de la famille d'y voir le directeur départemental du SDIS 34, Christophe Risdorfer. Les deux autres pompiers gravement blessés s'en sortent et quittent l'hôpital, avec de nombreuses séquelles.

Chaque année, un hommage est rendu le 10 août à Jérémy Beier et aux trois pompiers blessés sur le plateau au-dessus de Gabian, près de la stèle au nom de la victime décédée déposée sur les lieux de l’accident.

L'enquête

Trois enquêtes ont été ouvertes : 

  • Une enquête diligentée par la Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises du ministère de l’Intérieur. Elle s’attache à déterminer la chaîne des évènements et les facteurs ayant conduit à l’accident et vise à en tirer les enseignements qui pourront s’appliquer à tous les SDIS de France.

  • Une enquête judiciaire et l’ouverture d’une information judiciaire diligentée par le Procureur de la République de Béziers afin d’établir les circonstances de l’accident et de rechercher toutes les responsabilités qui pourraient être retenues.

  • Une enquête du Comité d’hygiène et de sécurité au travail (CHSCT) du SDIS qui est obligatoirement saisi pour tout accident grave de service ou de travail. C’est une enquête interne pour éclairer les causes de l’accident et en tirer les conclusions et préconisations en matière de sécurité et de conditions de travail au niveau de l’organisation des services, du choix des matériels que des formations des personnels.

Le 25 janvier 2017, le rapport du CHSCT est publié. Le GIFF (Groupement d’intervention feux de forêts) s’est finalement retrouvé piégé sur le flanc droit, alors que les largages aériens étaient opérés sur le flanc gauche. La ou les raisons du non-fonctionnement du système d'autoprotection du camion des victimes restent inconnues.

Le 12 juin 2018, 12 sapeurs-pompiers professionnels et volontaires de l'Hérault sont placés en garde à vue après la remise aux autorités judiciaires du rapport d'enquête accident de la Direction Générale de la sécurité civile et de gestion des crises du ministère de l’Intérieur. A l'issue de ces auditions, aucune mise en examen n'est prononcée. Deux semaines plus tard, Christophe Risdorfer, directeur départemental du SDIS 34 au moment de l'incendie mais depuis muté à Paris, est placé en garde à vue puis relâché dans la journée.

En mars 2019, plusieurs cadres du SDIS 34 sont entendus par la juge d'instruction de Béziers. Sept gradés sont mis en examen, dont l'ancien départemental des sapeurs-pompiers de l'Hérault, Christophe Risdorfer. Le chef d'accusation : "homicide et blessures involontaires".

Le 21 février 2020, un nouveau rapport d'expertise commandé par le juge d'instruction concernant la reconstitution du feu du CCF des victimes, qui datait de 1999, est rendu public par les parties civiles et leur avocat, Maitre Abratkiewicz. "Le SDIS 34 a toujours dit que les jeunes avaient paniqué et qu’ils n’auraient pas dû sortir du camion. Là, il est prouvé de manière scientifique qu’ils ne pouvaient pas rester dans ce CCF. Il faisait 100°C dans la cabine avec des pics réguliers à 700°C et 800°C, comment pouvaient-ils rester dans un tel four ? Avec la chaleur et les fumées, le décès aurait pris entre une et trois minutes, dit le rapport", avance l'avocat.

Cinq ans jour pour jour après la mort de Jérémy Beier, la date d'un éventuel procès n'est toujours pas connue. Maitre Abratkiewicz nous a indiqués qu'il espérait un renvoi "d'ici 8 à 9 mois". L'instruction semble toujours en cours.

Les victimes

  • Jérémy Beier est décédé le 21 septembre 2016, plus d'un mois après l'incendie du 10 août. Brûlé à plus de 90%, le jeune homme âgé de 24 ans était devenu à 13 ans jeune sapeur-pompier et à 17 ans, pompier volontaire. "Cinq ans, c’est long mais pour moi c’était hier. La souffrance est toujours présente, la cicatrice est loin d’être refermée… Je veux que l’honneur de Jérémy soit blanchi, il n’est plus là pour se défendre mais je sais aujourd’hui qu’on ne peut rien lui reprocher, le camion qu’il conduisait était vétuste, on attend le procès", a déclaré à Midi Libre Brigitte Beier, la mère de Jérémy.
  • Lucas Canuel fait partie des deux pompiers restés près de deux mois en réanimation. Agé de 22 ans au moment des faits, celui qui était sapeur pompier volontaire a été brûlé sur 40% de son corps et amputé de ses dix doigts. N'étant pas professionnel, il n'a pas pu bénéficier d'un reclassement et n'a jamais pu redevenir pompier. Il s'était lancé dans une carrière de cycliste paralympique avec pour objectifs les Jeux de Tokyo (qu'il n'a pas faits) et les Jeux de Paris, en 2024. Lors de l'hommage rendu le 10 août 2021 aux quatre hommes, il s'était indigné. "Jérémy a été tué par l'inaction de certains qui ont la particularité d'être nos chefs. Le nom de Jérémy et nos trois noms ont été salis par la partie adverse lors notre dernière audition devant la juge d'instruction en décembre 2020. Nous ne sommes pas sortis du camion dans un instant de panique. C'est faux", a t-il déclaré à France Bleu Hérault.
  • Didier Bourdelier est resté, comme Lucas Canuel, plus de deux mois au CHU de Montpellier. Placé dans le coma, il s'est réveillé le 17 septembre 2016. Son corps a été brûlé à 38%. Il a subi des greffes aux mains, aux jambes et au visage. Après une vingtaine d'opérations chirurgicales, Didier est retourné au sein des pompiers de l'Hérault, où il alterne entre vidéos pour le SDIS et gardes au standard de la caserne Montpellier-Millénaire.
  • David Fontaine, âgé de 42 ans au moment des faits, a été la première des quatre victimes à être déclaré indemne. Il a quitté le service des grands brûlés du CHU de Montpellier le 15 août 2016, cinq jours après l'incendie. Il a été sévérèment blessé aux jambes. "Je suis un homme brisé", nous avait-il déclarés en octobre 2016.
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