Dépossédé de son nom, le village de Laguiole dans l'Aveyron, l'abandonne symboliquement
Laguiole (12) abandonne son nom
Dépossédé de son nom, le village de Laguiole dans l'Aveyron, l'abandonne symboliquement
Le village aveyronnais de Laguiole a résolu de se débaptiser symboliquement pour dénoncer un jugement qui l'empêche de se réapproprier son nom et permet à un entrepreneur de s'en servir pour vendre des couteaux ou des barbecues fabriqués partout, sauf à Laguiole.
Le maire démontera mercredi le panneau qui signale l'entrée de la petite localité de l'Aubrac, qui a donné son nom au couteau mondialement connu.
"Puisque le nom ne nous appartient plus, on l'enlève", dit à l'AFP Vincent Alazard. Il a, dit-il, le soutien des grands noms de la commune de 1.300 habitants, comme le chef étoilé Michel Bras, le coutelier La Forge de Laguiole et le fromager Coopérative Jeune Montagne.
La justice refuse au village l'exclusivité de son nom
Laguiole (prononcez: Layol) est sous le choc depuis qu'elle a appris la semaine passée avoir perdu une nouvelle bataille contre Gilbert Szajner pour récupérer l'usage de son nom.
Gilbert Szajner, un particulier du Val-de-Marne, a déposé en 1993 la marque Laguiole pour désigner non seulement de la coutellerie mais aussi du linge de maison, des vêtements, des briquets ou des barbecues. Contre redevance, il accorde des licences à des entreprises françaises et étrangères qui peuvent commercialiser sous le nom Laguiole des produits d'importation.
Les spécificités du dépôt de marque tolère quand même que d'autres (Laguiolais ou pas) utilisent le nom pour des couteaux.
La commune a demandé au tribunal de grande instance de Paris de prononcer la nullité des marques. Elle dénonce l'instrumentalisation du nom pour induire en erreur les consommateurs sur l'origine des produits. Privée de la possibilité d'utiliser son nom comme elle l'entend, elle accuse Gilbert Szajner de "parasitisme" économique.
La plupart des couteaux Laguiole sont fabriqués ailleurs
Le tribunal a estimé lui que la notoriété du village n'est pas établie. S'il est connu, c'est plutôt par des couteaux dont le nom est devenu générique et qui ne sont pas fabriqués exclusivement sur son territoire. La commune n'est donc "pas fondée à invoquer une atteinte à son nom, à son image et à sa renommée".
Un couteau de légende
Né au 19e siècle, le couteau frappé d'une abeille a fait la renommée de Laguiole avant que la Première Guerre mondiale ne sonne le glas de l'activité. Après 1945, le Laguiole a été fabriqué à Thiers (Puy-de-Dôme), puis beaucoup plus loin, au Pakistan ou en Chine. Ce n'est que dans les années 1980 que la coutellerie est revenue à Laguiole sous l'impulsion d'élus du cru.
Les élus font appel
Le conseil municipal spécialement réuni s'est dit favorable à un appel du jugement. Le maire a, lui, écrit au président François Hollande pour l'interpeller sur "une situation inique" où des "noms de villes ou villages peuvent devenir propriété de groupes industriels, de la grande distribution ou d'ailleurs, tant français qu'étrangers".
La décision du tribunal confirme la "prédominance du droit des marques sur le droit au nom", s'insurge Me Carine Piccio, avocate de la commune. Elle constitue "un cas d'école pour toutes les communes de France: une personne peut détenir un monopole commercial sur le nom d'une collectivité à son détriment et celui de ses administrés".
Utiliser et non s'approprier le mot Laguiole
Les entrepreneurs locaux comme Thierry Moysset, gérant de la Forge de Laguiole, voudraient pouvoir se diversifier.
"On ne veut pas s'approprier le mot Laguiole, on veut juste qu'on ne nous interdise pas d'utiliser le nom de notre village", dit le patron du premier coutelier du village, qui fait travailler une centaine de salariés pour un chiffre d'affaires d'environ 8 millions d'euros. Il ne peut pas mettre le mot Laguiole sur le moulin à poivre qu'il veut fabriquer localement. "Sur ce moulin, je suis en contrefaçon. Je n'ai pas le droit d'écrire Forge de Laguiole".
Le maire et conseiller général, qui se dit plutôt de droite, souligne que la décision constitue un coup dur pour le développement local. "Pendant ce temps, on se sert de notre nom, de notre région alors que la plupart des produits sont fabriqués en Chine".