Dans le Sud-Ouest, 109 producteurs de lait à la merci de la crise et du marché
Cent neuf producteurs de lait du Sud-Ouest sont menacés de devoir cesser leur activité, victimes potentielles du désengagement d'un grand groupe laitier espagnol et, selon la profession, de la dérégulation du marché européen.
Leche Pascual a signifié il y a plusieurs mois à ces producteurs qu'à la date du 7 octobre dernier pour ceux de Midi-Pyrénées, du 31 mars 2012 pour l'Aquitaine, il cesserait d'acheter leur lait pour le transformer et le commercialiser en Espagne.
Leche Pascual affecté par la crise espagnole
Leche Pascual avait pris pied en France pour sécuriser ses approvisionnements en lait parce que l'Espagne n'en produisait pas assez. A la toute fin des années 2000, il a été durement affecté par la crise espagnole, mais aussi par le développement rapide dans ce pays de la grande distribution et des produits commercialisés par les distributeurs sous leurs marques grâce à du lait français ou allemand.
"Aujourd'hui, en Espagne, vous trouvez du lait à 38 centimes. Ce n'est pas forcément du bon lait, c'est du liquide. Mais le gars qui est au chômage et qui doit nourrir sa famille, il n'hésite plus aujourd'hui", dit un proche du dossier; la grande distribution, française ou allemande, "en a profité pour rebattre les cartes".
Leche Pascual a persisté à vendre sous sa propre marque le litre entre 0,8 et 1 euro. Il a perdu quasiment 50% de ses parts de marché en lait de consommation. Il a donc taillé dans ses approvisionnements en Espagne, et achève à présent son repli complet de France.
Un véritable tournant
Les 109 producteurs en sursis livraient directement leur lait au groupe. Mais avant eux, Leche Pascual avait déjà cessé d'acheter son lait au GIE (groupement d'intérêt économique) Sud-Lait, auquel adhéraient des dizaines d'exploitations. Le lait collecté par le GIE Sud-Lait a trouvé repreneur. Jusque là une solution de reprise a toujours été trouvée à de telles situations, explique Christophe Saysset, à la chambre d'agriculture du Tarn-et-Garonne.
Cependant, le secteur est à un "tournant", poursuit-il. Avec des transformateurs ou des distributeurs réticents et jaloux de leurs marges, "la reprise de lait devient à chaque fois de plus en plus difficile".
Les pouvoirs publics ont nommé un médiateur pour aider les 109 producteurs menacés. Ils ont obtenu que Leche Pascual continue à collecter en Midi-Pyrénées même après l'échéance du 7 octobre qu'il avait fixée.
Vieilles rancunes
Leche Pascual doit s'engager à replacer les 109 producteurs avant de cesser la collecte, dit Thierry Roquefeuil, secrétaire général de la fédération nationale des producteurs de lait, "il est bien trop facile aujourd'hui de dire: +débrouillez-vous, moi je repars, et réglez vos problèmes entre Français+".
Leche Pascual estime qu'il a fait ce qu'il pouvait en donnant un an aux producteurs pour se retourner et qu'il ne pourra poursuivre la collecte bien longtemps, explique un proche du dossier. C'est aux pouvoirs publics français de convaincre les grands groupes de reprendre quelque 30 millions de litres de lait en souffrance, estime Leche Pascual.
Mais ces grands groupes ne se précipitent pas. Il y a de "vieilles rancunes" suscitées par les rivalités entre collecteurs de lait, selon un connaisseur du secteur. Et puis "on est dans un schéma où tout le monde (collecteurs, transformateurs, distributeurs) est en train de se préparer à la fin de la régulation des quotas" laitiers européens en 2015, dit M. Roquefeuil. Plutôt qu'au sud de la Loire, les groupes peuvent être tentés d'investir au nord, caractérisé par sa productivité laitière et de fortes concentrations de populations et d'industries, analyse-t-il.
Il veut croire que cette logique ne va pas dans le sens de l'histoire; certes les consommateurs regardent les prix mais, de plus en plus, aspirent à des productions ancrées dans les territoires.