Elles sont en froid avec leur frère depuis une bonne quinzaine d'années et pourtant, pour fuir le confinement en ville, lié au covid, les trois soeurs retrouvent la ferme familiale, au fin fond du Lot. Serge Joncour nous raconte le quotidien d'une famille française qui va basculer en même temps que l'humanité.
Alexandre est un paysan du Lot, il vit avec ses parents. Tout près de la ferme, aux Bertranges, se trouvent trois éoliennes qu'Alexandre a baptisées Caroline, Agathe et Vanessa, les prénoms de ses trois sœurs avec qui il est en froid depuis une bonne quinzaine d'années.
Alexandre en voulait à ses sœurs d'avoir cédé des terres familiales pour y installer ces éoliennes, hautes de quatre-vingts mètres: une manne de vingt mille euros par an. Sans parler des cinq autres hectares où la société d'autoroute avait bâti un centre de maintenance. La terre, l'agriculture, le paysage, les soeurs s'en moquent, elles rêvent de la ville. Alors elles partent habiter à Paris, Toulouse et Rodez.
À l’époque, elle lui reprochait de ne pas avoir d'autre rêve que de vivre ici, de s'en tenir à ça. Elle le prenait pour un homme du passé
Serge Joncour
"À l’époque, elle lui reprochait de ne pas avoir d'autre rêve que de vivre ici, de s'en tenir à ça. Elle le prenait pour un homme du passé," écrit Serge Joncour, Prix Interallié en 2016 pour "Repose-toi sur moi" et Prix Femina en 2020 pour "Nature humaine" et déjà auteur d'une quinzaine de livres.
Des années 90, le monde agricole, on ne voulait même plus en entendre parler. En l'an 2000, il fallait partir en ville. Mais voilà, le covid allait tout balayer. Contraintes et forcées, les trois sœurs et leurs familles décident de rentrer au bercail, se réfugier aux Bertranges car "fatalement, en ville, tout le monde finirait par être contaminé".
Se protéger à la campagne
"Alors que partout la vie s’arrêtait, ici c’était la course vers la lumière. Les bourgeons d’érables étaient déjà joufflus, ceux des chênes pointaient le bout de leurs feuilles. La radio avait beau répéter que les avions étaient cloués au sol et les frontières fermées, il n’empêche qu’aux Bertranges le dehors reprenait vie…"
Un semblant de vie normale sauvegardée ? Mais les trois soeurs ont-elles encore quelque chose en commun avec leur frère ? Vont-ils pouvoir cohabiter ?
A l'heure suspendue de la pandémie, du début du mois de janvier 2020 à la fin du mois de mars, Serge Joncour nous raconte le quotidien d'une famille française qui va basculer en même temps que l'humanité...
Cinq questions à Serge Joncour
Quelle est la genèse de votre ouvrage ?
"Je voulais inventer le prétexte pour faire revenir tout le monde à la ferme. Et finalement c’est la réalité qui me la offerte. Il y a eu un mouvement pour revenir à l’air libre. Autant « Nature humaine », le précédent Tome 1 montrait la mise en place de la mondialisation, finalement elle nous rattrape tous y compris si on est dans une ferme perdue au fin fond du Lot.
On est rattrapé par cette mondialisation. Et la preuve ultime de cette mondialisation, c’est ce virus qui part de Chine, qui va contaminer toute la planète. Et pas que par le dernier modèle de votre téléphone ou le tweet de untel ou untel qui a 130 millions d’abonnés. La viralité, elle vaut aussi pour les virus.
C'est la revanche de la campagne sur la ville ?
Oui il y a un peu de ça. En tous les cas pendant cette période-là. Une façon pour la campagne de dire : oui ce monde-là existe toujours. Même si on tourne le dos à la nature au sens large et au monde agricole en particulier. Finalement il s’est retrouvé comme le seul refuge pour ceux qui voulaient continuer à aller et venir comme il le voulait, en toute liberté d’une certaine façon.
Qu’est-ce que cette période vous a appris ?
Une leçon grandeur nature sur ce que sont les épidémies que l’on avait complètement oubliées. On se croyait dans ce monde moderne totalement affranchis des règles du monde du vivant. On pensait être plus fort que tout et finalement on s’est fait rattraper par un grain de sable. Ça, c’était quand même une grosse surprise. On n’est pas les plus forts. Cela nous rappelle notre simple condition humaine. On n’est pas les plus forts.
C’est ce qui me fascine, c’est l’idée de me dire que je suis dans le monde sur le territoire des animaux. Ce partage-là de la planète avec les animaux, il n’est pas équitable, pas réglé. Le confinement a montré la restitution de la planète au monde sauvage.
Pourquoi avoir choisi le Lot ?
C’est un endroit où je suis souvent, que j’aime beaucoup. Tout le monde en a entendu parler mais assez peu de gens finalement le connaissent vraiment. Donc ça me laisse une liberté. Et puis c’est emblématique d’un paysage encore naturel. C’est une des régions qui n’est pas encore traversée par le TGV. Ça laisse encore une forme de mise à distance par rapport aux villes.
Et c’est aussi la possibilité de trouver assez vite des décors sauvages, non cultivés. Dans le Lot, on peut marcher des kilomètres dans le parc naturel du Quercy pendant une journée sans croiser personne ce qui est quand même assez rare en Europe. Et parce que j’y ai des attaches et que j’en connais un peu les biorythmes.
Plusieurs de vos ouvrages ont déjà été adaptés au cinéma ("La Dilettante" par Gilles Paquet-Brenner, "L'Idole" par Xavier Giannoli, ou "L'Amour sans le faire" par Jessica Palaud par exemple). "Chaleur humaine" sera-t-il le prochain ?
C’est toujours très long. À un moment, il y a un désir d’un producteur, d’un réalisateur. Mais rien n’est fait, rien n’est signé. Au cinéma, avant de faire un film, on le rêve beaucoup. C’est beaucoup plus compliqué que de faire un roman. Il faut être nombreux à être d’accord et avoir envie de faire la même chose. Mais oui, ce huis clos au grand air est assez attirant pour certains producteurs".