Professeur émérite de géographie urbaine & régionale, Jean-Paul Volle a longtemps travaillé auprès de Georges Frêche et Raymond Dugrand pour le développement de Montpellier. Alors qu'il craignait la fusion des 2 ex-régions, nous lui avons demandé après un premier mandat, si son opinion avait changé
5 questions à Jean-Paul Volle : Docteur d'Etat, Professeur émérite de géographie urbaine et régionale à l'Université Paul Valéry de Montpellier et élu à l'académie des Sciences et Lettres de Montpellier en 2017.
En 2014, vous aviez fait part de vos craintes pour l'avenir du Languedoc-Roussillon et de Montpellier, noyés en Occitanie. Êtes-vous toujours du même avis ?
Il y a plusieurs niveaux d'analyse. Tout d'abord, il y a le résultat de la loi de 2014 sur la fusion des régions. On a créé de vastes entités, ici la région fait 72.000km², mais on est loin de l'efficacité économique que l'on ressent chez nos voisins européens (en Espagne, Italie et surtout en Allemagne). Le ministre Vallini disait que les grandes régions permettraient d'avoir une capacité financière et économique nouvelle, on est toujours en attente. Quand on voit le dernier rapport de la cour des comptes, on peut se dire que c'était des paroles en l'air. Ensuite, l'idée d'une double métropole en Occitanie était interrogative. Si l’État a choisi Toulouse comme capitale, la région s'est posée en garde-fou d'un déclin montpelliérain, elle a oeuvré pour que l'on fonctionne avec ces deux métropoles. Toulouse gère parfaitement le territoire de l'ex Midi-Pyrénées et même d'une partie de l'Aude, mais tout le Languedoc oriental lui échappe. Elle a besoin que Montpellier joue là son rôle de métropole et les deux doivent être dans le registre de la complémentarité.
Le reste du territoire, hors des métropoles, a-t-il plus de place grâce à la fusion des régions ? On sait que le développement de Montpellier s'était fait au détriment de ses voisins et que Midi-Pyrénées est très centralisée.
Durant la mise en place des régions, dans les années 80, l’État était archiprésent et c'est lui qui a conditionné le réseau urbain, la hiérarchie des villes. Montpellier a bénéficié de l’État, Nîmes ou Béziers non. C'est moins la politique régionale que la politique d’État qui débouche sur une hiérarchie fonctionnelle très affirmée, au profit de la capitale. Or, à présent en Occitanie, on a besoin de jouer sur les deux métropoles. Et puis l'enjeu pour cette région, sa réussite, passe par la façon dont elle va consolider les espaces de proximité. Par exemple si on est dans le secteur de la Montagne noire dans l'Aude, on doit avoir des liens avec le Tarn voisin. Mais pour l'instant ces liens on les sent mal, car l’État n'a rien fait pour les conforter. La question se pose dans d'autres endroits, comme entre l'Aveyron et la Lozère. Ces liens de proximité seront sûrement ce qui va « ossaturer » la région Occitanie. Et ils peuvent permettre de se passer de la métropole.
Les rôles des départements et des communautés de communes sont-ils plus importants dans un espace si grand ?
La région doit mettre en oeuvre une réflexion sur le territoire, pour faire des cadres plus pertinents avec les proximités qui existent par le travail, le lieu de vie. Les départements sont un cadre issu de l'histoire, les intercommunalités sont un cadre issu de la vie quotidienne. Donc, les départements ne doivent pas être un blocage à un changement de cadre de vie. Ceci dit, ils ont pris de l'importance dans la grande région, c'est là que se provoque la gestion de proximité pour l'économie, à travers les chambres de commerce, d'agriculture... Mais c'est à la région de faire la synthèse pour qu'il y ait une harmonie dans ce territoire gigantesque.
Avant la fusion, Midi-Pyrénées avait un taux de chômage correspondant à la moyenne nationale et un tissu industriel fort, alors que le Languedoc-Roussillon, sans grande industrie, avait un chômage très haut. Existe-t-il toujours deux régions différentes au sein de l'Occitanie ?
Les forces ne sont pas les mêmes. Si on juge sur les critères habituels de dynamique économique, le morceau toulousain a l'avantage. Mais le contraste est moins saisissant si on considère ce qui sera demain le référent économique d'un espace géographique. Montpellier et l'espace languedocien sont un territoire de potentiel. Je reprendrais la formule de Jean Viard sur le tourisme et la culture, qui sont « des stimulants, de puissants aphrodisiaques pour donner le désir de la ville ». Dans l'organisation des territoires de demain, il faudra tenir compte de ce désir d'être en des lieux précis. C'est aussi ce qui renouvelle l'attirance des campagnes, on l'a vu de manière très nette avec la crise du covid : le désir de campagne a été un stimulant à l'implantation localisée. Mais le désir de campagne et le désir de ville sont complémentaires, car la proximité des services urbains est un élément moteur. Ça ne me convient pas de faire x kilomètres pour trouver un musée, un théâtre ou un équipement sportif. Or, en Languedoc-Roussillon, où l'urbanisation est linéaire, il y a toujours une proximité urbaine. Il y a 8 agglomérations de plus de 100 000 habitants, contre 3 seulement en Midi-Pyrénées. Le modèle d’hyper concentration à Toulouse doit évoluer. Il faut sortir du schéma tentaculaire, distribuer sur les villes et ainsi renverser la stratégie étatique centralisatrice.
Pour faire de cette région une vraie entité, ne manque-t-il pas des infrastructures de transport ?
Ce n'est pas pour rien que dès le début du mandat la question du ferroviaire a été lancée. Mais l’État a décidé de relier Toulouse à Bordeaux par la LGV. La liaison Montpellier-Toulouse justifierait un investissement lourd, mais qui peut le faire ? Car en passant par Sète, Agde, Béziers, Narbonne, Carcassonne, Castelnaudary, c'est un axe majeur : avec des réseaux secondaires qui retombent sur cet espace, ce sont les ¾ de la population régionale ! On sait maintenant qu'il n'y aura rien avant 2030, mais c'est une revendication à porter.