Des caddies solidaires, des colis distribués, des repas chauds servis ou bien des parrainages. Depuis deux mois, à Perpignan, les actions se multiplient pour venir en aide aux étudiants isolés dans la difficulté. Rencontre.
Comme partout, l'université de Perpignan a fermé ses amphithéâtres, fin octobre à cause du regain de la pandémie. Les étudiants les plus chanceux ont rejoint leur famille mais d'autres sont restés isolés dans leur petit studio ou dans les logements de la cité universitaire. Un choc à la fois, psychologique et matériel car plus moyen de faire un petit boulot dans la restauration pour compléter le pécule boursier. Alors, la précarité s'installe très vite. Et la galère commence.
Jusqu'à ce que l'un d'entre eux franchisse le pas de la honte et se poste devant les portes de la supérette à proximité du campus.
Il faisait la manche. En discutant, il m'a demandé des produits d'hygiène. Cela m'a fait mal au coeur. Tout de suite, je l'ai pris avec moi et nous avons rempli une partie de mon caddy pour lui.
"J'ai aussi un fils qui est étudiant à Grenoble. Alors le voir ainsi si timide en plus, cela m'a fait de la peine. Et puis je sais ce que c'est la misère !" continue cette aide-soignante mais aussi femme de ménage.
Et c'est à partir de ce jour, début février, qu'elle a eu l'idée de lancer les "Caddies solidaires".
Opération "caddies solidaires"
Nour Noisel (c'est son pseudo sur Facebook) mobilise son entourage pour collecter des dons. Metisse DesIles (autre pseudo), son amie la rejoint. Elles se sont connues lors des manifestations des gilets jaunes. Alors les défis ça ne leur fait pas peur. Un post sur les réseaux sociaux et sur le groupe facebook des étudiants de Perpignan, UPVD en lutte, puis le 6 février c'est la distribution du premier caddy solidaire sur le parking du Leader Price voisin, "Le premier samedi, nous avons eu 5 étudiants. La deuxième distribution a eu lieu deux semaines plus tard. Et là, on en a eu plus de quinze. C'est compréhensible car le Secours Populaire qui s'occupe généralement d'eux sature complètement. Il y a des queues interminables. Alors en leur offrant en plus des produits frais cela les aide vraiment.".
Je ne comprends pas comment le gouvernement les laisse tomber.
Dana est en Licence 3 sciences de l'environnement. Elle vit avec Alex, son compagnon lui étudiant en L2 de géographie. Tous deux partagent un petit studio à Saint-Cyprien à plus de vingt kilomètres de la fac."Pour nous c'est trop difficile. Avec seulement ma bourse de 500 euros par mois ce n'est pas suffisant. Il y a le loyer 200 euros chacun puis les assurances, le téléphone, l'assurance et l'entretien de la voiture. Et pour l'internet, heureusement que l'université nous a donné une clé 4G. Sinon on n'aurais pas pu suivre les cours par zoom. D'habitude, je donne des cours pour compléter mais là à cause de la crise sanitaire ce n'est pas possible. Aussi quand nous avons su qu'il y avait une distribution un peu officielle, nous avons franchi le pas".
On n'a plus honte de demander de l'aide. De plus, on n'est pas les seuls. C'est malheureux mais cela nous rassure. On voit que l'on s'occupe de nous. On se sent en quelque sorte cocooner.
Et d'ajouter, "Et puis avoir de la viande, du poisson ou des légumes frais c'est Byzance pour nous. On a ainsi de quoi cuisiner autre chose que des pâtes et du riz".
Nour Noisel de conclure tout en préparant la troisième opération de ce samedi : "J'en ai rencontré qui étaient en grande détresse, complètement dépressif, voire au bord du suicide surtout les étrangers qui sont isolés. Alors je n'ai pas hésité même si cela me coûte je fais même des heures de ménage en plus pour leur payer de la nourriture J'espère que cette action va être contagieuse car ce virus de solidarité n'est pas mortel au contraire. Il ouvre à la vie".
Distribution de repas chauds
Depuis deux semaines, appuyée par l'association "Les enfants d'Afrique", une quinzaine de mamans bénévoles se mettent au fourneau pour distribuer les vendredis, des repas chauds.
"Nous leur offrons un vrai plat cuisiné plutôt festif. Des choses qu'ils ne peuvent pas préparer. Nous cuisinons en grand chez nous puis nous venons avec les grosses marmites encore chaudes. Aujourd'hui au menu, il y aura un poulet Yassa, deux couscous, des nouilles à la Philippine et trente parts de sushi que nous prépare en plus une autre association. Cela change des repas froids du resto U à emporter. Mais par contre ici, ils doivent apporter leur récipient. On ne veut pas polluer en fournissant des barquettes en plastique" confie Lydia Rabehi, une maman de 45 ans qui se dit citoyenne perpignanaise.
"Et même si ce n'est qu'une fois par semaine, c'est au moins ça. La semaine dernière, pour notre première invitation, nous avons servis 96 repas et aujourd'hui vendredi nous attendons plus de cent étudiants. Cette entraide est primordiale. Cela nourrit tout le monde. C'est le cas de le dire car cela donne du sens face à cette période si difficile de crise. Cela crée de véritables liens".
Parrainer un étudiant
C'est d'autant plus vrai pour Monique Reboulleau. Cette dame de 84 ans qui, en plus de cuisiner, accompagne depuis le 1er février, Dyhia, une jeune étudiante algérienne. Elle s'est jointe au "Collectif Entraide Etudiant.e.s". Une initiative lancée par Amélia Ceypek, étudiante en Master 1 management à l'Institut de l'Administration des Entreprises (IAE). Le collectif a déjà recruté 54 parrains ou marraines qui viennent en aide aux étudiants dans le besoin.
Comme Chihab, 26 ans, en Master 1 des sciences de la mer. Il est logé à la cité universitaire dans un petit studio de 19 m2. Le CLOUS lui demande 317 euros par mois plus 35 euros de charges. Même avec une allocation de la CAF de 140 euros, son loyer est toujours cher pour lui. À la fois isolé et dans le besoin, il s'est inscrit pour rencontrer son parrain. "Je n'osais pas faire le premier pas. Puis j'ai fait la connaissance de Richard et sa famille. Tout de suite je me suis senti comme avec les miens. Cela m'a fait un si grand bien de ressentir de la chaleur humaine. Psychologiquement c'est rassurant. À présent, je ressens de la sécurité. Car depuis septembre dernier à mon arrivée d'Alger, je me sentais isolé." Et le week-end dernier, Richard Top est venu le chercher lui et Amélia pour déjeuner chez lui à Opouls, un petit village à une trentaine de kilomètres, au nord de Perpignan.
"C'est par hasard que mon épouse a trouvé ce recrutement de parrains sur un groupe Facebook. Nous avons aussitôt adhéré à cette idée car Chihab pourrait être mon fils. Il a d'ailleurs le même âge que le mien" s'exclame Richard, lui le militant CFTC, cadre dans l'administration.
"J'ai envie de l'aider et de lui offrir ici en France de la sécurité. C'est vrai qu'au début il était très pudique. Il n'osait pas déranger. Mais ce repas partagé ensemble a vraiment créé des liens. Puis nous avons fait des courses pour lui. Il nous avait demandé des vitamines C et du magnésium. La preuve de certaines carences alimentaires. Et nous avons même acheté des légumineuses et de la viande halal que nous avons trouvées à la place Cassanyes. Je respecte sa religion. Nous lui avons fourni également des cosmétiques, des casseroles et même un fer à repasser. Et depuis notre repas, Tamara, mon épouse est devenu la marraine d'Amélia. Même si elle est française, elle aussi est loin de sa famille qui ne peut vraiment l'aider."
Aujourd'hui, Chihab et Richard s'échangent chaque jour des messages par téléphone.
La première fois que je l'ai vu, il était tout blanc avec un visage un peu triste. Et lorsque je le revois maintenant, il est rayonnant car il se sent motivé. C'est fabuleux. C'est la plus belle des récompenses.
La chaîne de solidarité s'allonge
Le "Collectif Entraides Etudiant.e.s" est toujours à la recherche de plus de cinquante parrains ou marraines.
D'autres, comme l'associations Franco-Algérienne 66 ont emboité le pas. Parrainages à raison d'un euro par jour pour un étudiant. Le coût du repas à emporter délivré par le restaurant universitaire. " Nous nous mobilisons pour tous les étudiants qui ne peuvent rejoindre leur famille ou qui sont isolés. Nous distribuons des masques et de vêtements et des produits de toilettes. Le consulat d'Algérie nous aide financièrement mais nous recueillons les dons de toute part, des commerçants et des entreprises locales." confie Aïcha Azzi la présidente.
Une solidarité qui prend de plus en plus d'ampleur dans la cité catalane dont Virginie Pont, une professeur d'espagnol, se félicite. C'est elle qui a lancé sur Facebook, dès le 25 novembre 2020, le groupe "Coup de Pouce pour les Étudiants".
"En novembre dernier, je coachais deux stagiaires, deux futures enseignantes en Master 1 pour devenir professeur. Je me suis aperçue qu'elles avaient beaucoup de difficultés matérielles et qu'elles se nourrissaient mal. Elles avaient besoin de serviettes périodiques notamment et d'autres produits d'hygiène. Du coup, j'ai alerté mon réseau d'amis et associatifs. On a fait des collectes. Comme je suis aussi réserviste locale à la jeunesse et à la citoyenneté, nous avons eu le soutien du Lieutenant-Colonel Corréa de la Division Militaire Départementale 66. Grâce à lui, nous avons bénéficié de logistique.".
Nous avons déposé un premier don au CLOUS près de l'université dès le 14 décembre de plus de 8 tonnes de denrées et autres produits. Le dernier, le 8 février, était de 14 tonnes. Et ce n'est pas terminé. Tout cela a déjà été redistribué aux étudiants par eux-même en autogestion.
Virginie Pont reste enthousiaste et dresse un premier bilan à Perpignan."Du coup, grâce à tous ces dons complémentaires les uns les autres, cela a permis de soulager matériellement les étudiants dans le besoin. Mais surtout du lien a été tissé. C'est une véritable chaîne solidaire. Humainement, ils ont retrouvé de l'autonomie et leur place dans la cité avec de la considération et de la reconnaissance. C'est génial car ils ont retrouvé le sourire !".