Mais qui est donc Josep Cabrero Arnal ? Oublié en France, aujourd'hui inconnu dans son pays d'origine l'Espagne, celui qui signait simplement C. Arnal est le créateur du célèbre personnage de BD, Pif le Chien. Retour sur l'histoire de ce dessinateur de génie. Itinéraire d'un crayon rouge. De la guerre d'Espagne aux camps de concentration français : retour sur la vie du dessinateur catalan de Pif le chien.
Il a bercé l'enfance de millions de lecteurs. Le chien le plus célèbre de la bande dessinée, s'expose au Musée de l'Exil de La Jonquera. Mais quel rapport entre Pif le chien et cet espace consacré à la mémoire de l'exil ? Il s'agit tout simplement de son auteur.
Josep Cabrero Arnal était Catalan. Il est né dans la province d'Aragon mais très jeune il vient s'installer avec sa famille à Barcelone. C'est là qu'il a grandit.
Enric Pujol, Directeur du Musée de l'Exil de La Jonquera
Dessiner à tout prix
Josep Cabrero Arnal est né en 1909 à Castilsabas à 10 km de Huesca, dans une famille modeste de paysans. Dans les années 20, la famille émigre pour des raisons économiques à Barcelone, alors en plein essor industriel. Josep a 10 ans. Très tôt, il ne passionne pour le dessin et la bande dessinée.
Je me souviens que les marges de mes cahiers d'école disparaissaient sous les caricatures. Au grand désespoir de mon père ...
Josep Cabrero ArnalInterview donnée par le dessinateur dans le journal Vaillant dans les années 70
Son père lui préfère une carrière de menuisier-ébéniste et l'envoie en apprentissage mais cela ne marche pas. On lui fait ensuite apprendre la mécanique. Encore pire. Rien n'y fait. Josep s'obstine.
En cachette, je dessinais et envoyais mes dessins à toutes sortes de revues d'enfants. Un jour, l'une d'elles accepta mes dessins et me les paya cher. Mon père fut convaincu que mes caricatures avaient du bon ... J'avais 18 ans.
Josep Cabrero ArnalInterview donnée par le dessinateur dans le journal Vaillant dans les années 70
Sa carrière de dessinateur commence par des contributions dans la revue KKO et Pocholo (équivalent à l'époque du Journal de Mickey) avec une série intitulée "Guerra en el pais de los insectos".
Des caricatures politiques aux dessins de presse en passant par des illustrations de mode très Art déco dans la revue féminine "El hogar de la moda" , Arnal casse les codes. Il est l'un des premiers à introduire la bulle dans la BD espagnole.
Au début des années 30, Arnal devient un dessinateur confirmé et réputé. Il participe à la revue humoristico-érotique en vogue en Espagne Papitu. Ses caricatures étaient également publiées dans la revue satirique à l'idéologie républicaine et catalaniste, "L'esquella de la Torratxa". Arnal se fait une place dans le milieu de l'illustration. Il est même le plus jeune artiste à participer au premier salon des humoristes à Barcelone en 1933.
Enric Pujol, Directeur du Musée de l'Exil de La Jonquera
En 1935, Arnal crée "el perro Top", précurseur du futur Pif, qui sera ensuite identifié comme son père. Mais le début de la guerre civile espagnole en 1936 sonne le glas des "voyages extraordinaires de Top le chien".
De la guerre d'Espagne aux camps
Dessinateur au crayon affûté mais surtout homme de conviction, épris de liberté, Josep Cabrero Arnal s'engage à défendre la République. Il intègre une compagnie d'Aragon en tant de mitrailleur.
Grièvement blessé à la jambe lors de la bataille du Sègre, entre l'Aragon et la Catalogne, il finit par fuir le franquisme. En 1939, il traverse les Pyrénées vers la France et devient comme près d'un demi million de réfugiés, un indésirable.
S'en suit l'internement dans les camps de concentration français : Argelès-sur-Mer, Saint-Cyprien, Le Barcarès, Agde. Contraint de s'engager dans un GTE, un groupement de travailleurs étrangers, il est envoyé en 1940 dans le camp nazi de Mauthausen.
De cette époque, le Mémorial de l'Exil de La Jonquera et la Bibliothèque de Figueres exposent des photos, des lettres envoyées à ses proches et quelques dessins pornos qu'Arnal fait pour la direction du camp ce qui représente pour lui son passeport de vie.
Arnal s'inspire des dessins érotiques qu'il a réalisé pour la revue "Papitu". Ce sont des dessins sophistiqués qui plaisent beaucoup aux Allemands. Grâce à ça, il bénéficie ainsi que son groupe d'amis d'un traitement un peu moins pire que les autres prisonniers. Mais un jour, un de ses amis tombe malade. Transporté à l'infirmerie, au lieu de le soigner, l'homme est assassiné (ndlr on lui injecte de l'essence dans le cœur). Dès lors, Arnal refuse de dessiner. Ce qui lui a valu les foudres des nazis.
Enric Pujol, directeur du Musée de l'Exil de La Jonquera
Arnal terminera ses quatre années d'internement dans la carrière de Mauthausen. Les nazis faisaient transporter aux prisonniers des blocs jusqu'à 50kg en haut d'un escalier de 186 marches appelé "l'escalier de la mort". En 1945, Arnal retrouve enfin la liberté. Il a 36 ans et pèse 42 Kg. Il rentre en France, il ne la quittera plus. Sa santé physique et mentale sont mauvaises. Une traversée du désert. Mais la passion du dessin demeure intacte. La presse communiste lui tend la main. Arnal revient à Paris. Il y retrouve un groupe d'amis, ex-déportés comme le photographe Francesc Boix, unique témoin Catalan du procès de Nuremberg.
Un dessinateur engagé
Il entre aux éditions Vaillant où il crée les personnages de Placid et Muzo ainsi que la joyeuse petite chèvre Roudoudou. Arnal apporte également ses coups de crayons satiriques au quotidien communiste l'Humanité. Le 26 mars 1948, Pif le chien est révélé au public.
Un petit chien en noir et blanc dont le rôle à ses début est de dénoncer les injustices de son époque comme les privations, le froid ou le manque de logements. Le succès est immédiat. Un succès totalement méconnu dans son pays d'origine.
Arnal est devenu un parfait inconnu en Espagne. Depuis Barcelone, son neveu accompagné d'un groupe de dessinateurs, d'auteurs... se sont mobilisés pour faire redécouvrir ce dessinateur de génie. La Bibliothèque de Figueres s'inscrit pleinement dans cette démarche.
Nati Vilanova, directrice de la Bibliothèque de Figueres
La mémoire oubliée
Arnal, qui s'est vu refuser la nationalité française, ne retournera jamais en Espagne. Son nom et son passé de militant se sont peu à peu effacés de la mémoire collective. Quant à la célébrité de Pif le chien et son acolyte Hercule le chat, devenus les vedettes du magazine Vaillant puis Pif Gadget en 1969, la péninsule ibérique, encore sous l'emprise de la dictature du Général Franco, n'en a jamais eu ouï-dire.
Il y a actuellement tout un travail qui est mené dans les établissements scolaires autour du traitement de la guerre dans la BD. Nous tenons à disposition du public beaucoup de matériel dont des documents de Josep Cabrero Arnal ainsi que le livre qui lui est consacré et qui vient d'être publié. Nous espérons que cela permettra aux jeunes générations de découvrir l'histoire et le succès d'Arnal.
Nati Vilanova, directrice de la Bibliothèque de Figueres
Du musée de l'exil à la médiathèque de Figueres, la Catalogne tente de récupérer la mémoire de cet auteur de génie. Josep Cabrero Arnal décède le 7 septembre 1982 à Antibes. Fier d'avoir accompli son rêve d'enfant mais la blessure au cœur de ne pouvoir réaliser son dernier souhait, celui de retourner boire une bière sur les Rambles de Barcelone. A 73 ans, Arnal laisse derrière ses coups de crayons une œuvre monumentale.