La Dépakine et ses dérivés sont responsables de malformations congénitales majeures chez 2.150 à 4.100 enfants depuis le début de leur commercialisation en 1967. Des chiffres donnés après une première évaluation de l'Agence française du médicament et de l'Assurance maladie, publiée ce jeudi.
Cette évaluation du nombre d'enfants atteints porte sur l'ensemble de la période de commercialisation du médicament Dépakine (valproate) et de ses dérivés (1967-2016), produits par le laboratoire français Sanofi et avec lesquels les mères ont été traitées pendant la grossesse pour épilepsie ou troubles bipolaires.
Plusieurs actions en justice ont été lancées par des familles de victimes et par l'association Apesac, basée à Pollestres, dans les Pyrénées-Orientales, qui reprochent à Sanofi de ne pas avoir informé les femmes enceintes.
Utilisation en baisse de 30% en 2 ans
"L'étude confirme le caractère tératogène (cause de malformations, NDLR) très important du valproate. Autour de 3.000 malformations majeures, c'est particulièrement élevé", a déclaré à l'AFP le Dr Mahmoud Zureik, directeur scientifique de l'ANSM et co-auteur de l'étude.
Depuis 2015, le valproate ne peut être prescrit aux femmes enceintes ou en âge de procréer qu'en cas d'échec aux autres traitements disponibles dont le risque est bien moindre.
On observe "une baisse d'utilisation du valproate et de ses dérivés de l'ordre de 30% ces deux dernières années chez les femmes en âge de procréer comparé aux deux années précédentes", relève M. Zureik. "Et nous voulons que cette baisse s'accentue".
Le risque de malformations congénitales majeures est 4 fois plus élevé chez les enfants nés d'une femme traitée par valproate (Dépakine et autres formes du médicament) pour une épilepsie, par rapport aux enfants non exposés in utero à cette molécule, et 2 fois plus élevé lorsqu'elle est traitée par valproate pour troubles bipolaires, selon l'étude.
Pour les troubles bipolaires, l'arrêt du traitement en début de grossesse est fréquent - plus de 3/4 des traitements par valproate sont stoppés au 1er trimestre de la grossesse et par ailleurs l'observance du traitement est bien moins grande", explique M. Zureik. Or, "le risque de malformations majeures est limité aux deux premiers mois de grossesse", précise le Dr Alain Weil (Assurance maladie), co-auteur de l'étude.
Une différence de risque mise en évidence pour la première fois par l'étude, dit-il.
26 malformations congénitales étudiées
Parmi 26 malformations congénitales majeures étudiées, des anomalies du système nerveux comme le spina bifida (absence de fermeture de la colonne vertébrale) cause de décès et de paralysie, des anomalies cardiovasculaires ou encore des organes génitaux externes sont pointées dans ces travaux.
L'étude qui a permis l'évaluation du nombre d'enfants souffrant de malformations congénitales graves a porté sur près de 2 millions de femmes enceintes dont les grossesses se sont terminées entre le 1er janvier 2011 et le 31 mars 2015. Elle croise et rapproche pour la première fois les données de soins (remboursements, hospitalisations...) des mères et l'état de santé de leur enfant, grâce à la base de données de l'Assurance maladie (Sniiram), remarque le Pr Joël Coste (Cnamts).
Un risque connu depuis les années 80
De 1967 à 2016, entre 64.100 et 100.000 grossesses auraient été exposées au valproate au total, et auraient donné lieu de 41.200 à 75.300 naissances vivantes.
Le valproate est commercialisé depuis 1967 (sous la marque Depakine de Sanofi puis sous d'autres marques génériques) et depuis 1977 pour les troubles bipolaires (Dépamide, puis Depakote en 2000).
Le risque de malformations est connu depuis le début des années 1980, notamment le spina bifida, 20 fois plus fréquent parmi les enfants exposés in utero au valproate quand la mère est traitée pour épilepsie, selon l'étude.
Le risque accru de retards du développement et de troubles de type autistiques a été mis en évidence dans les années 2000.
Une étude sur ces troubles neurodéveloppementaux est attendue pour le second semestre 2017.
Le risque que l'enfant naisse avec une malformation est de l'ordre de 10% et le risque de troubles neurodéveloppementaux est de 30% à 40%.
Pour sa part, Catherine Hill, épidémiologiste (Institut Gustave Roussy), qui n'a pas participé à l'étude, a avancé une estimation "prudente" de 14.000 victimes, en retenant l'hypothèse de "40% d'enfants atteints" dans l'ignorance de la fréquence de l'association des deux types de problèmes.