Le 1er septembre 1942, Josette Torrent devient résistante. Elle a alors 12 ans et arpente les rues de Perpignan, les bras chargés de lettres à remettre à ceux qui luttent contre la présence allemande. La plus jeune résistante de France raconte son histoire dans un livre co-écrit par les auteurs Johanna Cincinatis et Olivier Montégut.
Devant la gare de Perpignan, dans les Pyrénées-Orientales, s'est écrit l'histoire de la plus jeune résistante de France. Josette Torrent a 12 ans. Elle s'assoit régulièrement devant le parvis de la gare avec son cartable.
Parmi ses cahiers d'écoles, un atlas. Un manuel scolaire un peu particulier, il a fait partie pendant deux ans du réseau de liaison de la France libre. Dans un double fond, des plis circulaient de Toulouse à Montpellier pour organiser la lutte contre l'ennemi. L'ennemi allemand que Josette et sa famille fuient en 1940. Alors installés en Bretagne déjà occupée, ils rejoignent la zone libre de Perpignan et rentrent en résistance.
Le 1er septembre 1942, votre père, Michel Torrent, vous demande un service : porter une lettre. Racontez-nous cette première mission. Comment a-t-elle marqué votre entrée dans les rangs de la résistance ?
La première mission s'est passée à Perpignan. Nous sommes catalans mais mon père avait été muté à Saint-Malo. En 1940, on est revenus dans le Sud, chez mon grand-père qui nous a prêté sa maison. Je vivais alors comme tout le monde. Mais un jour de 1942, j'arrive à la maison et je vois mon père qui s'était trouvé mal. J'ai eu peur et quand il est revenu à lui, il m'a dit "J'ai besoin de toi." Alors, il m'a expliqué "La résistance". J'entendais ce mot pour la première fois. C'était secret, c'était dangereux, il ne fallait en parler à personne. Mon père m'a demandé de porter une lettre à un homme. Un homme qui portait un chapeau et qui sifflait "Auprès de ma blonde".
A Perpignan, ville où vous habitiez alors, quels étaient les lieux de la résistance ?
Pour cette première mission, je devais porter l'enveloppe de mon père dans un tunnel qui reliait mon quartier, Saint-Assiscle, à la gare de Perpignan. C'était un petit passage sombre, un peu long mais on n'a jamais eu peur de ce tunnel. Alors j'ai marché dans ce tunnel, pensant rencontrer l'homme au chapeau. Je me suis fait bousculée par une personne, j'ai rebroussé chemin et c'était en fait l'homme au chapeau. J'ai entendu la chanson et j'ai tendu la lettre. Quand j'ai su que le document était bien arrivé, j'ai voulu continuer. Alors, mon père a mis en place le système des atlas. Il avait transformé des atlas avec des caches. J'allais derrière mon collège, le collège Sévigné, je prenais l'atlas et j'allais à la gare. Je devais m'assoir sur un banc dans le jardin en face de la gare avec mes livres et mes cahiers à côté de moi. Quelqu'un venait s'installer. S'il me racontait des histoires de train "le train a été en retard ce matin...", je savais que c'était la bonne personne. Il prenait alors mon atlas et reposait un autre atlas, exactement le même et je repartais au collège.
A l'époque, vous avez 12 ans. Aviez-vous conscience des enjeux de votre action ? Aviez-vous peur ?
Je n'ai jamais eu peur. La seule chose qui me tracassait était que ça se passe mal. Mon père m'a appris à coder et décoder les messages, c'est devenu un jeu. Ca m'amusait beaucoup. Un jour, j'ai décodé un message provenant de "Rex".
Je ne devais jamais poser de question mais j'avais un chien à Saint-Malo, qui s'appelait Rex. Alors j'ai demandé à mon père qui c'était. Il m'a répondu "C'est le patron et tu l'oublies". Bien plus tard, j'ai appris qu'il s'agissait de Jean Moulin.
Etre résistante si jeune, n'est-ce pas manquer une partie de votre enfance ? Quid de l'insouciance de la jeunesse en temps de guerre ?
A Perpignan, je vivais normalement, comme tous les jeunes du quartier pour ne pas me faire repérer mais j'avais une deuxième vie pour sauver la France. L'une que je faisais voir à tout le monde et l'autre cachée. J'allais au club de sport, à la piscine comme tout le monde. Il ne fallait pas donner l'opportunité aux gens de me poser des questions.
L'insouciance, je n'y pensais pas. Sauver la France était important, je faisais ce que mon père me disait de faire. Quand il a été mobilisé en 1939, il m'a dit : "Tu sais, tous les hommes doivent partir pour empêcher des hommes de rentrer dans le pays." J'avais 9 ans et j'ai compris que mon père était parti pour sauver la France. "France" était devenue quasiment une personne. Quand je vivais à Saint-Malo, avec ma mère et ma soeur, on a subi la guerre. Le bruit des bottes des soldats, leurs chants quand ils ont envahi la ville : ça m'a marqué à vie. La seule chose que je voulais, c'était foutre les Allemands dehors.
Le récit de Josette Torrent a été publié dans "J'avais douze ans et j'étais résistante", ce mercredi 19 avril 2023 aux éditions Harper Collins, un livre co-écrit par les auteurs Johanna Cincinatis et Olivier Montégut.