Une mer Méditerranée à plus de 22 degrés, mi septembre ! Sur nos rivages, du Gard jusqu'à la côte catalane, il fait encore bon se baigner. Cette température élevée, liée aux canicules à répétition de l'été et au réchauffement climatique, n'est pas forcément une bonne nouvelle pour la faune et la flore marines dont les populations sont en train de se transformer. L'éclairage de l'océanographe Philippe Lenfant, professeur en biologie marine à l'université de Perpignan.
" À Marseille, la température est passée de 24 à 15° à cause du mistral, alors que chez nous, elle est encore à 22/ 23°, malgré la tramontane, il n’y a pas eu de refroidissement massif !" constate Philippe Lenfant.
Si d'un côté, cette douceur réjouit le plongeur, elle inquiète en même temps le scientifique, surpris de voir de ses propres yeux le réchauffement de la mer Méditerranée : un phénomène désormais visible à " l'échelle d'une vie humaine", affirme ce docteur en océanographie biologique qui enseigne à l'université de Perpignan.
Nous plongeons régulièrement depuis cet été pour faire des comptages de poissons juvéniles et avoir une telle température jusqu’à 30 mètres de profondeur, c'est assez exceptionnel !
Philippe Lenfant, plongeur et professeur en écologie marine à Perpignan
Philippe Lenfant suit l'évolution des populations de jeunes poissons comme le sar depuis 1994 sur la côte Vermeille et il a vu arriver les premiers juvéniles de Barracuda, poisson originaire d es mers et océans tropicaux, en 2005.
Vous croisez désormais sous l'eau d'autres nouvelles espèces, en plus du barracuda ?
"Oui, les barracudas, j'en retrouve désormais à chaque comptage ! De nouvelles espèces commencent aussi à apparaitre chez nous comme la girelle-paon, une variante de la girelle, poisson commun qui vit ici. D'habitude, la girelle-paon vit plutôt du côté des Baléares et on voit rarement des adultes aussi loin. Cela veut dire qu'ils sont arrivés à l'état larvaire et qu’ils ont réussi à passer l’hiver. C'est en lien avec le réchauffement des eaux."
Est-ce que cela représente un danger pour les espèces endémiques ?
"Ces nouvelles espèces ont élargi leurs aires de répartition et, effectivement, elles peuvent entrer en concurrence avec les autres espèces locales. Le réchauffement des eaux de la Méditerranée peut aussi poser des problèmes aux espèces qui ont une faible tolérance aux variations de température et qui vivent dans les eaux de 13 à 22° comme le sar par exemple, ou le tacaud."
Ci dessous, la photo d'une femelle de girelle-paon, prise mi septembre à La Ciotat, dans les Bouches-du-Rhône et mise en ligne sur la page Facebook de Sea(e)scape, blog qui a pour but de vulgariser les connaissances scientifiques sur le milieu marin : "la girelle-paon (Thalassoma pavo) est un poisson désormais commun en Méditerranée française mais à l'origine son aire de répartition se concentrait principalement au sud et à l'est du bassin", peut-on lire en légende.
Est-ce que vous constatez une accélération du réchauffement climatique en mer ?
"Oui, je fais des comptages depuis 2007, tous les trois ans dans la réserve naturelle intégrale de Cerbère-Banyuls et aux alentours. Avant, on pensait que ce phénomène de réchauffement, c’était du long terme, mais maintenant tout s’accélère. Le golfe du Lion est l’endroit le plus froid de la mer Méditerranée. Sa frontière, c’est le Cap Creus, une barrière que l'on croyait infranchissable pour les espèces qui vivent dans les eaux chaudes des Baléares. Maintenant, certaines espèces passent cette barrière.
Le réchauffement des eaux se fait de plus en plus vite car c’est une mer fermée avec une concentration de pressions diverses. Tout est au même endroit. La Méditerranée, c’est un hot spot de biodiversité mais qui subit une forte pression touristique. Elle concentre aussi un tiers du trafic de marchandises au monde."
Etes-vous inquiet pour l'avenir de la faune aquatique locale ?
"La nature a des fortes capacités d'adaptation et de résilience mais ce qui m’inquiète surtout, c’est que si on ne crie pas à la catastrophe, les gens ne réagissent pas et ne passent pas à l'action. Les aires marines protégées comme celles de Cerbère-Banyuls font le tampon avec les zones polluées et elles sont cruciales pour l'avenir si on veut avoir des zones écologiques en bon état", conclut ce scientifique qui fait aussi partie de centre de formation et de recherche sur les environnements méditerranéens (CEFREM).
Quelles sont les conséquences de cette hausse des températures en-dessous et au-dessus de la surface de la mer Méditerranée ?
Réponses dans le reportage d'Isabelle Bris et Yannick le Teurnier diffusé dans Enquêtes de Régions le 26 octobre 2022.