L'État va lancer des fouilles pour localiser un cimetière harkis à Rivesaltes, alors que l'absence de dépouilles hante encore les familles

21 000 harkis ont "transité" par le camp Joffre de Rivesaltes à leur arrivée en France, entre 1962 et 1964. Soixante ans après, la question des corps enterrés sur le site hante la mémoire des descendants. La décision de l'État de lancer les fouilles d'un hypothétique cimetière pourrait changer la donne.

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Chaque président depuis Jacques Chirac l'a reconnue. La responsabilité de l'État français dans l'accueil indigne réservé aux populations harkis d'Algérie a fini par donner naissance à une loi, en 2022. Elle stipule : "La Nation exprime sa reconnaissance envers les harkis [...] qui ont servi la France en Algérie et qu'elle a abandonnés. Elle reconnaît sa responsabilité du fait de l'indignité des conditions d'accueil et de vie sur son territoire". 

Les harkis passés par le camp Joffre de Rivesaltes n'ont pas échappé à ce traitement abject, entre 1962 et 1964. Parmi les 149 personnes mortes durant ces deux ans, 85 % étaient des enfants, et les corps d'une cinquantaine d'entre eux n'ont jamais été retrouvés depuis. Un déchirement pour leurs descendants, et un deuil jamais vraiment permis.

Des fouilles au printemps 2024

Lundi 30 octobre 2023, Patricia Miralles, la secrétaire d'État auprès du ministre des Armées chargée des Anciens combattants et de la Mémoire, annonce dans un communiqué avoir décidé de la fouille d'un cimetière harkis dans une zone précise du camp Joffre : "Grâce aux recherches de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), une piste sérieuse concernant la localisation potentielle du cimetière a été présentée et pourra ainsi être vérifiée." 

Le 20 mars 2023, des fouilles similaires avaient eu lieu dans le camp de Saint-Maurice-l'Ardoise dans le Gard. Des tombes d'enfants harkis avaient été découvertes. À Rivesaltes, les fouilles débuteront vraisemblablement au printemps 2024. Elles ont été confiées une nouvelle fois à l'Inrap.

Conditions d'inhumations douteuses

Pourtant, des premières recherches avaient déjà eu lieu, nous apprend Céline Sala-Pons, directrice du mémorial du camp de Rivesaltes, construit à proximité du site depuis 2015. "Les recherches faites avant la construction du mémorial avaient estimé que 50 à 60 cadavres étaient enterrés dans une certaine zone du camp". Mais les fouilles demandées à l'époque par les associations ne seront jamais lancées.

Incompréhensible pour les associations, encore aujourd'hui. "On n'a jamais vraiment su les résultats de ces premières recherches", soupire Amar Meniker du collectif Génération harki mémoires et vérités du 66Lui est né et a vécu dix ans dans un camp de transit en Lozère. "Les conditions étaient déplorables dans les camps. Ils ne prenaient pas la peine d'enterrer dignement les morts, c'était expéditif", ajoute-t-il.

En 2019, le mémorial avait érigé une stèle en hommage aux 149 personnes décédées sur le camp, remuant là aussi la colère des associations. "Premièrement la stèle a été faite à côté de la déchetterie, et elle ne répond pas à la question des conditions d'inhumations, si oui ou non les corps ont été éparpillés de manière anarchique dans le camp", s'exaspère Abdelkader Mokhtari, du collectif national Justice pour les harkis, et fils de harkis.

L'existence très probable d'un cimetière

L'historien Abderahmen Moumen, auteur du livre Rivesaltes en 2015, se veut plus prudent sur la question des corps enterrés au camp Joffre. Il éclaire : "Les harkis morts à l'hôpital de Perpignan étaient enterrés au cimetière de Perpignan, ce qui explique pourquoi on estime à 50 sur 149 le nombre de cadavres inhumés sur le camp."

Selon lui, les enterrements étaient faits de manière protocolaire par l'armée, et non pas "anarchique". D'ailleurs, plusieurs indices portent à croire qu'un cimetière a bel et bien été délimité par les militaires qui géraient le camp, notamment une lettre. "Dans nos recherches, nous avons trouvé une lettre écrite par le directeur militaire départemental de l'époque, contenant des données géographiques précises".

Reste une question que les historiens élucident difficilement à ce jour : pourquoi les personnes mortes aux camps n'étaient pas amenées au cimetière de Perpignan avec le reste de leur famille ? 

Toujours est-il qu'Abderahmen Moumen se félicite de la décision du ministère des Armées, une "avancée nécessaire pour toutes les familles de harkis passées par ce camp."

Dans quelques mois, l'État partira donc à la recherche d'un cimetière à l'existence encore incertaine, en quête des secrets enfouis de la République. 

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