Poète catalan, journaliste, écrivain, professeur des Beaux-Arts, critique d'art, esprit curieux et libre, Jacques Quéralt, "en Jaume", est parti. Emporté par la maladie, pas celle-là, l'autre, il a été inhumé ce mercredi, à Perpignan, sans fleurs ni louanges, ce qui lui ressemble bien.
"On est tous atterrés. J’ai connu Jacques dans les années 80, à l’époque où je militais à « Esquerra Catalana ». Il était journaliste au journal l’Indépendant. C’était une belle époque où les gens échangeaient, débattaient. Sur le plan politique, nous n’étions pas forcément d’accord et nous avons eu des échanges musclés. Par contre, on s’est rejoint sur toutes les questions culturelles et il nous a soutenu en 1985 à la création de notre maison d'édition." Maria-Angels Falquès, fondatrice des éditions Trabucaire se souvient avec émotion de sa première rencontre avec Jacques Quéralt.
Né à Barran (Met Barran est l'un de ses pseudonymes) en Gascogne en 1941, Quéralt était un enfant de la Retirada. Comme 500 000 autres républicains, ses parents avaient fuit en 1939 l'Espagne et la dictature de Franco. Un exil qu'il vit par ricochet mais qui est inscrit au plus profond de son ADN. En collaboration avec René Grando et Xavier Febrès, également journalistes il signe en 2009, un ouvrage sur l'épaisseur de ce drame humain, les Camps du mépris. Des chemins de l'exil à ceux de la résistance 1939-1945 aux Editions Trabucaire.Jaume, c'était un passeur de mots. De mots et d'idées.
"Nous avons fait des belles publications ensemble" commente Maria-Angels Falquès, "des ouvrages de poésie également comme "Paisatge interior d’un tic-tic saltamarges". Un "saltamarges" est une personne qui sait surmonter les obstacles. Il aimait à se définir ainsi. Jacques Quéralt avait d’autant plus de mérite que c’était un autodidacte. Sa soif de savoir était sans limite. Erudit tous azimuts, il a enseigné pendant 30 ans à l'école des Beaux-Arts de Perpignan.
Dominique Pottier, artiste peintre et décoratrice pour le cinéma a été son élève durant trois ans. Aujourd'hui installée au Québec, elle se rappelle encore la salle où Quéralt accueillait ses étudiants " C'est là, autour d’une table carrée, que tout doucement mes failles ce sont ouvertes, qu’il a su déstabiliser mes très jeunes certitudes et semer les graines de la curiosité, de la recherche. Parfois, dans la douceur, parfois la provocation , mais toujours dans le plus grand des respects. C’était il y a 36 ans et aujourd’hui mes failles ont trouvé leur lumière grace à ses mots et à son humanité" .
"Roger Cosme Esteve, Claude Massé, Patrick Gifreu, Gérard Jacquet, Christophe Massé, Pere Figueres beaucoup de ces créateurs lui doivent certainement d’avoir commencé à écrire ou d’avoir osé s’exprimer car il était très attentif au talent que pouvait avoir les autres", poursuit Maria-Angels Falquès.Il a su destabiliser mes très jeunes certitudes et semer les graines de la curiosité
Cristina Giner, qui est l'une des belles voix de la poésie catalane contemporaine, "regrette déjà cet être essentiel".
"Jaume était d'une intelligence rare et efficace. Il était humble et très exigent, culte et populaire à la fois, un esprit libre, aiguisé et généreux. Profondément connecté à l'humain. Subtil et respectueux, il avait le chic pour mettre en lumière des artistes contemporains mais aussi des personnages historiques oubliés." Fervent défenseur de la langue catalane et de l'histoire de la Catalogne Nord, il publie en 1992 Bouquet vivésien "C'est lui qui avait ressorti du fin fond du 15ème siècle, le grand théologien Joan Lluís Vives. Médecin, filosophe né à València, ce dernier avait séjourné à Elne, dans les Pyrénées-Orientales."Il a tellement fait pour moi et tant d'autres, toujours avec beaucoup de discrétion. C'était un grand monsieur.
En 92, il publie également avec Maria-Angels Falquès Un fotògraf sense rostre qui rappelle la vie de Sasha Stone, photographe russe, ami de Walter Benjamin, mort en exil à Perpignan en 1940. Quant à ses recherches sur le compositeur perpignanais du 18ème siècle, François Fossa, il les partagera largement sur son blog.Plus personne ne se souvenait de ce personnage illustre en Catalogne mais Jaume a su lui donner une nouvelle dimension.
"Il avait toujours un tas d'idées. Une fois qu'il les avait lancées, il te disait à toi de concrétiser ou de poursuivre les recherches. Si tu ne le faisais pas, tu avais mauvaise conscience et l'impression de passer à côté de quelque chose. ça en était presque agaçant" dit en riant l'éditrice de Trabucaire. Son dernière rencontre avec Quéralt, c'était à la librairie catalane de Perpignan, lors d'une lecture de poésie. Il avait alors proposé l'idée de créer une association de poètes catalans qui se réuniraient pour déclamer des vers dans la rue. "Egal à lui-même. Il nous manquera" conclue-t-elle.
Le contexte actuel n'a pas permis à ses amis de l'accompagner, ce mercredi, jusqu'au cimetière du sud de Perpignan mais comme en témoigne son amie de longue date, Cristina Giner, "pour beaucoup, il restera vivant et nous ferons en sorte, à notre tour, de préserver sa mémoire".