Régionales 2021 Occitanie : "Lorsqu'une abstention est aussi élevée, l’électorat n’est pas représentatif du pays réel"

En Occitanie, à peine 37,24% des électeurs inscrits se sont déplacés pour ce premier tour des élections régionales. C'est la conséquence de l'abstention des classes les plus défavorisées et des plus jeunes selon Jean-Yves Dormagen, Professeur de science politique à l'Université de Montpellier.

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Carole Delga largement en tête de ce premier tour des élections régionales en Occitanie ? Pas véritablement une surprise pour Emmanuel Négrier, professeur de Science politique. "Si cette élection désigne un gagnant, c’est le territoire. Partout où il y a des forces politiques, où il y a du réseau, de l’institution, il y a supériorité de la tendance du territoire". Bref, l’élue socialiste a bénéficié de la prime au sortant selon le politologue. "La prime au sortant est colossale, assure-t-il. Plus il y a d’abstention et plus ceux qui restent dans le vote sont intéressés au vote et ils le sont car ils sont intégrés à la société locale, territoriale. Carole Delga a bénéficié des relais que lui offrent la quasi-totalité des institutions.".

Le directeur de recherche CNRS en science politique au CEPEL (Centre d'Études Politiques de l'Europe Latine) retient également deux autres tendances : "l’hégémonie du Rassemblement national sur des terrains où la droite dite Républicaine restait dominante" et la crise affectant les mouvements comme le Rassemblement national, La République en marche et la France Insoumise, là où les partis comme les Républicains et le Parti socialiste ont tiré leur épingle du jeu lors de ces élections. Reste un point. Sûrement le plus important. Celui de l’abstention.

Les abstentionnistes, première force politique de France ?

L'Occitanie, comme partout en France, a atteint des chiffres record d'abstention pour ce premier tour des élections régionales. A peine 37,24% des électeurs inscrits se sont déplacés pour ce scrutin. "C’est un fiasco démocratique !" pour la candidate de la France Insoumise sur Toulouse, Anne Stambach-Terrenoir, qui s'interroge dimanche soir sur le plateau de France 3 Occtanie : "peut-on véritablement commenter ces résultats qui finalement ne sont pas représentatifs ?".
Un point de vue partagé par Jean-Yves Dormagen, Professeur de science politique à l'Université de Montpellier et spécialiste des phénomènes d'abstention électorale. Pour le chercheur montpelliérain, ce sont les classes sociales défavorisées et les électeurs les plus jeunes, totalement "désenchantés", qui ne sont pas allés voter. 

France 3 Occitanie : que retenez-vous avant tout de ces résultats ?

Jean-Yves Dormagen, Professeur de science politique : le niveau d’abstention est record tout le monde s’en est rendu compte. Une abstention, qui atteint des proportions phénoménales, à laquelle il faudrait également ajouter les non-inscrits. Dire qu’un tiers des Français sont allés voter, c’est inexacte. Comme il y a 10 % de personnes qui ne sont pas inscrites sur les listes électorales, c’est en gros un quart et encore… Cette participation qui atteint un niveau planché, elle modifie tout. Elle perturbe tout en premier lieu les sondages. Cela a été peu souligné et j’en suis un peu étonné, les sondages étaient très très loin de la réalité électorale. Comme jamais dans une élection. Le RN était donné à des niveaux très hauts et assez proche des sortants, en position d’arriver en tête dans plusieurs régions. On constate au final qu’il est plutôt bas, voire très bas, en comparaison de 2015 et pour moi, c’est une conséquence de l’abstention.

France 3 Occitanie : en quoi le contexte institutionnel et politique a joué sur cette abstention ?

Jean-Yves Dormagen, Professeur de science politique : ce sont les campagnes électorales qui font voter. Il y a une partie des électeurs qui votent de toute façon. Ce sont ceux que nous avons vus dans les bureaux de vote hier. C’est le noyau dur. Il représente ces 40 % qui votent à chaque élection. Mais les autres ont besoin d’une campagne électorale pour se déplacer, pour avoir envie de voter. La campagne de très faible intensité à laquelle nous avons eu droit n’a absolument pas produit de mobilisation. Ce que l’on ne voit pas toujours très bien, c’est que lorsque l’abstention est si haute, les inégalités sociales de participation atteignent un niveau record. C’est pour moi le point le plus important.

France 3 Occitanie : c’est-à-dire ?

Jean-Yves Dormagen, Professeur de science politique : c’est-à-dire que les catégories supérieures votent plus que les catégories populaires. C’est une constante lors de tous les scrutins, mais c’est particulièrement le cas lorsque l’abstention est élevée. Il y a une deuxième inégalité, très forte aussi, c’est celle des classes d’âge, en particulier les jeunes par rapport aux seniors. Là aussi, quand l’abstention est élevée, ces inégalités prennent des proportions considérables. Cela s’est traduit hier par des taux de participation très différents entre les quartiers populaires et les quartiers plus aisés. C’est-à-dire que dans certains bureaux de vote (dans les quartier les plus défavorisés)* la participation atteignait à peine 10 % comme dans certaines catégories sociales pauvres. Vous avez eu hier, 40 points d’écart entre le vote des jeunes et le vote des personnes âgées. Cela veut dire que l’électorat n’était pas représentatif du pays réel, où il y avait une surreprésentation des retraités, des diplômés et des catégories supérieures.

*Par exemple, pour l'élection départementale du 20 juin, l'abstention a atteint les 75,18% dans le canton de Toulouse-6, celui du quartier populaire de la cité du Mirail.

France 3 Occitanie : en quoi cela explique les résultats de dimanche soir ?

Jean-Yves Dormagen, Professeur de science politique : cette déformation de l’électorat produite par l’abstention, elle défavorise certains partis et en favorise d’autres. Le parti qui bénéficie le plus de l’abstention, ce sont les Républicains parce que leur électorat est âgé et plutôt aisé. Il a ces deux caractéristiques qui font que l’abstention est beaucoup plus faible dans cet électorat. Et à l’inverse, le parti qui est le plus pénalisé par l’abstention, c’est la France Insoumise suivie par le Rassemblement national. On l’a bien vu dans les résultats. C’était prévisible, mais cela a été confirmé comme jamais. J’étudie ces phénomènes depuis longtemps. J’ai rarement vu une élection où l’effet de l’abstention, sur le plan politique, était aussi fort. On est presque sur un cas d’école.


France 3 Occitanie : pourquoi ces personnes ne sont pas allées voter ?

Jean-Yves Dormagen, Professeur de science politique : c’est quand même essentiellement par indifférence. Le désintérêt. Le sentiment que cela ne sert à rien, que cela ne changera rien, que c’est inutile. Il y a aussi un vrai désenchantement politique. Beaucoup d’électeurs ont l’impression de ne pas être représentés. Il y a aussi une part de colère, mais elle est moindre que la part d’indifférence. C’est une élection qui a été peu médiatisée. C’est quand même frappant de voir sur les grands médias mainstream, TF1, France 2, etc. Il y a une très faible présence de la campagne. Aucun débat en prime time. En plus, elle était très difficile à lire, avec des configurations pas claires, changeantes selon les régions, des systèmes d’alliances différents. On mélange des élections différentes avec des modes de scrutin différents, avec des candidats absolument inconnus. Une des raisons de la « prime au sortant » c’est qu’ils sont presque les seuls à être clairement identifiés. Beaucoup d’électeurs étaient perdus, avaient du mal à comprendre qui était qui. Tous ces facteurs combinés amplifient l’abstention.

France 3 Occitanie : le contexte sanitaire a-t-il pu peser sur cette abstention ?

Jean-Yves Dormagen, Professeur de science politique : il y a peut-être un effet de contexte sanitaire. C’est difficile de le dire. Mais l’abstention d’hier n’avait aucune abstention spécifique qui l’aurait distinguée de l’abstention déjà observée en 2010, 2015 pour ce qui est des Régionales. Tout est absolument conforme. Ce sont les plus jeunes qui se sont abstenus. Près de 90 %.

France 3 Occitanie : Y a t-il des enseignements à tirer pour l’élection présidentielle ?

Jean-Yves Dormagen, Professeur de science politique : aucun. Cela ne dit absolument rien des rapports de force à venir quand le corps électoral réunira 70 à 80 % des votants. Ce ne sont plus les mêmes électeurs. Ce n'est plus du tout la même composition sociale et politique. C’est complètement illusoire de prétendre vouloir réaliser des projections sur l’élection présidentielle à partir du scrutin d’hier. Mais je me demande quand même si nous sommes véritablement à l’abri d’un mai 2002. La manière dont on est en train de présenter cette élection présidentielle est aussi porteuse de désintérêt et d’abstention. On présente l’élection comme jouée d’avance, inéluctable, avec un duel Macron-Le Pen. Quelques soient les opinions politiques que l’on peut avoir, il n’y a rien de plus ennuyeux qu’une élection sans suspens. Et en plus, ceux qui ne se reconnaissent ni dans l’un ni dans l’autre, ce qui fait beaucoup de monde, ont l’impression que leur vote ne va servir à rien. S’il ne se passe rien, je m’attends à une abstention assez élevée. 

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