L'Autorité de la concurrence a jugé, mardi, que le géant pharmaceutique avait tenté d'empêcher médecins et pharmaciens de prescrire et vendre les génériques de son médicament star, Plavix.
Sanofi, qui a prévu de supprimer 252 postes sur son site de Montpellier, doit payer 40,6 millions d'euros d'amende. Une addition salée infligée, mardi 14 mai, par l'Autorité de la concurrence au laboratoire français Sanofi (ex-Sanofi-Aventis) pour "stratégie de dénigrement", selon FTVI. La condamnation est assortie d'une publication obligatoire faisant état de ces pratiques dans Le Quotidien du médecin et Le Quotidien du pharmacien. C'est un séisme pour le géant français du médicament, qui a déjà annoncé la suppression d'"environ 900 postes à l'horizon 2015" afin d'économiser 2 milliards d'euros, même s'il reste bénéficiaire en 2012.
La condamnation de Sanofi vise son médicament phare : Plavix. Cet "antiagrégant plaquettaire" empêche la formation de caillots dans les artères grâce à son principe actif, le clopidogrel. Prescrit aux patients qui risquent ou ont été victimes d'une crise cardiaque, un accident vasculaire cérébral ou un infarctus du myocarde, il est le deuxième médicament le plus vendu au monde en 2011. "Plus de 92 millions de patients dans 115 pays" et un million en France en ont bénéficié, note l'Autorité. Le Plavix a rapporté 540 millions d'euros de chiffre d'affaires à Sanofi-Aventis rien qu'en France en 2009, selon la Sécurité sociale dans son rapport de septembre 2011.
Pourquoi l'Autorité de la concurrence s'attaque-t-elle à ce médicament ? Un retour en arrière s'impose. En 2010, les génériqueurs contournent l'exclusivité de Sanofi-Aventis sur le principe actif du Plavix. En quelques années, la plupart des génériques obtiennent une autorisation de mise sur le marché pour du clopidogrel. Ils utilisent une molécule proche mais équivalente, avec le même principe actif. Et se distinguent surtout par leur prix : une vingtaine d'euros, contre jusqu'à 37,11 euros la boîte de Plavix. Sanofi-Aventis riposte en sortant son "autogénérique", Clopidogrel Winthrop. Mais le labo met en place d'autres stratégies pour éviter de perdre des parts de marché.
Dénigrement et intimidation
Dans cette bataille, les principaux soldats sont les visiteurs et les délégués médicaux. Des documents destinés à leur formation préconisent notamment de suggérer aux médecins "de rajouter sur l'ordonnance (…) la mention 'non substituable' ou 'NS' à la suite de Plavix", pour empêcher les pharmaciens de vendre le générique. Un conseil qui fait mouche. L'assurance-maladie note, dans un rapport publié en 2012, que sur "12 000 ordonnances délivrées sur la quasi-totalité du territoire, (…), le taux de mention non substituable (…) s'élève à 4,2% seulement sur les ordonnances analysées" mais à "12,6% pour le clopidogrel".
Des médecins et pharmaciens assurent aussi que les visiteurs médicaux de Sanofi-Aventis tenaient "des propos dénigrants au sujet des génériques concurrents", à la suite desquels "des pharmaciens auraient refusé de s’approvisionner en clopidogrel" générique. L'un des visiteurs aurait "indiqué que les autres génériques utilisaient un [principe actif] différent et que [les pharmaciens] engageaient leur 'responsabilité en cas de problème, ce qui n’est pas le cas avec l’autogénérique'".
Mais ce que les groupes pharmaceutiques évitent de crier sur tous les toits, c'est que le clopidogrel peut souvent être remplacé par de l'aspirine, qui est elle aussi un antiagrégant plaquettaire. Elle est recommandée "à faible dose" en prévention de certaines maladies, soit seule, soit en complément du clopidogrel. "Mais son efficacité est moins bien documentée" que ce dernier, explique l'assurance-maladie (PDF). Elle exige en 2012 de développer son usage, afin que "85% des patients traités par antiagrégants plaquettaires le soient par aspirine".
Et pour cause, le gain financier est énorme : "En 2012, le coût mensuel d’un traitement par aspirine est en moyenne moins de 3 euros versus plus de 26 euros sous clopidogrel générique."
Pourtant, d'après l'assurance-maladie, "la France est l'un des pays européens où l’on utilise le moins d’antiagrégants plaquettaires par habitant et où l’on consomme le plus de clopidogrel". Et "65% des dépenses liées à la prescription d’un médicament [de la classe des antiagrégants plaquettaires] sont générées par les 25% de patients qui ne sont pas traités par aspirine", détaille un autre document de l'assurance-maladie.
Les génériques peinent à s'imposer
Plavix est un cas d’école. C'était en 2008 le médicament le plus coûteux pour la Sécurité sociale, avec plus de 450 millions d'euros de remboursements. Avec l'arrivée des versions génériques, le gouvernement prévoyait 200 millions d'euros d'économies. D'autant que pour pousser les pharmaciens à substituer le générique et coûter moins cher à l'assurance-maladie, le Code de la Sécurité sociale (article L.138-9) autorise les fabricants à accorder aux pharmaciens une remise pouvant atteindre 17%, contre 2,5% pour le médicament original.
L'économie n'était finalement que de 163 millions d'euros en 2010. La faute au taux de pénétration des génériques de Plavix, "inférieur de 10 points à l'objectif", note un rapport de la Sécurité sociale (PDF). Des ventes faibles, qui s’expliqueraient donc en partie par ces stratégies "anticoncurrentielles".