La direction de la Société nationale Maritime Corse Méditerranée (SNCM) a annoncé lundi aux représentants des salariés, lors d'un comité d'entreprise extraordinaire, qu'elle allait déposer le bilan de la compagnie maritime. La date formelle de dépôt du dossier n'a pas été précisée.
Initialement prévu en début de matinée lundi, ce CE extraordinaire au siège de la compagnie a été retardé par des salariés qui ont vivement interpellé le président du directoire, Olivier Diehl, sur la gestion de l'entreprise.
Les actionnaires majoritaires de la SNCM, Transdev et Veolia (66% du capital), souhaitent depuis plusieurs mois déposer le bilan, puis placer l'entreprise en redressement judiciaire, ce qui, selon ses dirigeants, constitue la seule solution pour "empêcher (sa) disparition pure et simple".
L'État, actionnaire à 25%, Veolia et Transdev estiment que ce redressement judiciaire, une étape "technique", va permettre à la compagnie à la fois d'annuler les condamnations européennes à rembourser des aides publiques jugées illégales et de trouver un nouvel actionnaire à cette société chroniquement déficitaire.
- Condamnations européennes -
La SNCM se trouve sous le coup de deux condamnations européennes à rembourser des aides publiques jugées illégales, pour un total supérieur à 400 millions d'euros. Selon l'analyse de Transdev, le redressement judiciaire permettra, en négociant avec Bruxelles, de s'affranchir de ces remboursements, et ainsi de surmonter le principal obstacle à la recherche d'un repreneur.
Mais depuis de nombreux mois également, les syndicats ont une toute autre lecture du dossier, et mettent en garde : Transdev prend "cette décision en toute connaissance des risques", au premier rang desquels le fait que le contrat de délégation de service public (DSP) de la desserte de la Corse pourrait ne pas être transmis au repreneur.
Ce contrat, qui court jusqu'en 2023 et qu'elle partage avec une autre société,la Méridionale, constitue la principale source de revenus de l'entreprise.
Les organisations syndicales estiment en outre que le passage par le tribunal de commerce n'offre aucune garantie sur l'effacement des condamnations européennes, mais permettra aux actionnaires de faire un plan social à moindre frais.
Selon la CFE-CGC, les actionnaires placent "délibérément leur filiale dans une position de cessation de paiement organisée alors que cette dernière dispose actuellement de 35 millions d'euros disponibles en banque et possède un actif naval évalué à dire d'expert avant saison à 220 millions d'euros".
Parmi ses dirigeants, on compte Marc Dufour, adjoint au maire de Montpellier et ancien président-directeur général d'Air Littoral (ancienne compagnie aérienne régionale française dont le siège était basé à Montpellier qui a déposé son bilan en 2004). Il est actuellement membre du directoire de la SNCM.
La SNCM emploie 2.000 personnes, dont 1.508 CDI, et fait vivre de nombreux sous-traitants sur le port de Marseille. Début octobre, la direction
de la compagnie avait défini un "périmètre à l'équilibre" qui comprendrait entre 800 et 1.000 emplois.La SNCM: une compagnie aux difficultés chroniques
- 1976: Naissance officielle de la SNCM. Une convention
est signée entre la compagnie et l'Etat pour assurer la continuité territoriale
entre la Corse et le continent.
- 1992: Bruxelles exige une libéralisation du système.
- 1996: Implantation à Nice d'un concurrent privé, Corsica Ferries, qui lance
également une ligne à partir de Toulon en 1999.
- 2003: Recapitalisation par l'Etat pour 66 millions d'euros, conditionnée par
la suppression de 182 postes de marins et de 92 postes de sédentaires, ainsi qu'une
augmentation de la productivité.
- 2004:
- février/mars: conflit d'une semaine à l'appel du Syndicat des travailleurs corses
(STC) pour un "rééquilibrage" des emplois en faveur des insulaires. Le conflit
reprendra pendant trois semaines en septembre.
- Pour la première fois, Corsica ferries dépasse la SNCM
en nombre de passagers transportés vers la Corse (1.080.000 contre 974.000). La
direction annonce en octobre qu'un plan de redressement est en préparation.
- 2005:
- janvier: l'Etat annonce la recherche d'un opérateur industriel susceptible d'apporter
des capitaux pour garantir l'avenir de l'entreprise.
- mars-avril: grève de 17 jours contre l'entrée de partenaires financiers dans
la SNCM.
- septembre: le STC détourne le ferry Pascal Paoli. Le GIGN intervient. Suivent
24 jours de grève.
- 2006:
- mai: les salariés de la SNCM donnent leur feu vert au
plan de privatisation de la compagnie maritime. Veolia fait son entrée au capital
à hauteur de 28% aux côtés du français Butler Capital Partners (38%). L'Etat garde
25% et les salariés 9%; l'accord prévoit aussi la suppression de 400 postes.
- aôut: la SNCM et la CMN (compagnie méridionale de navigation,
privée) remportent la délégation de service public et ses 95 millions d'euros de
subventions annuelles.
- 2008:
- novembre: le fonds Butler Capital Partners vend sa part à Veolia faisant passer
la participation de ce dernier à 66%.
- 2011:
- février-mars: la SNCM est paralysée pendant sept semaines
par une grève des marins CGT qui craignent un démantèlement de la compagnie.
- 2013:
- juin: les deux actionnaires principaux, l'Etat et Veolia, valident un plan de
sauvetage qui prévoit la suppression de plus de 500 postes sur un total de 2.000.
- septembre: l'Assemblée de Corse renouvelle à la SNCM
et à la CMN la délégation de service public pour les liaisons entre l'île et Marseille
de 2014 à 2024. Corsica Ferries dépose un recours en justice.
- novembre: la Commission européenne exige le remboursement de 440 millions d'euros
d'aides d'Etat.
- 2014:
- 24 juin: début d'une grève à la SNCM qui paralyse pendant
17 jours le trafic entre la Corse et le continent.
- 5 juillet : le secrétaire d'Etat aux transports Frédéric Cuvillier préconise
un redressement judiciaire de la compagnie, "seul moyen pour (lui) redonner un
avenir". En août, Antoine Frérot, patron de Veolia présent dans la SNCM
à travers sa filiale Transdev, préconise aussi le redressement judiciaire de la
compagnie.
- 4 septembre: confirmation par la Cour de justice de l'UE que la SNCM
devra rembourser 200 millions d'aides.
- 16 septembre et 7 octobre: la direction de la compagnie confirme l'option du
redressement judiciaire. Elle prévoit en outre le maintien de 800 à 1.000 emplois
sur un total de 2.000.
- 28 octobre: Direction, syndicats et actionnaires de la SNCM
se retrouvent pour une dernière réunion de médiation mais se séparent sur un constat
de désaccord. La perspective du redressement judiciaire se précise d'autant que
la société Transdev demande le remboursement des prêts octroyés.
- 3 novembre: La direction de la SNCM annonce aux représentants
des salariés qu'elle va déposer le bilan de la compagnie maritime, sans donner
de date précise.