Dans le Tarn-et-Garonne, des dizaines de professionnels du social ont suivi une formation sur la prévention de la prostitution des jeunes. Quels signaux doivent alerter ? Comme réagir pour venir en aide aux mineurs et jeunes majeurs qui, sous emprise, se prostituent ? Témoignages d'intervenants engagés dans l'accompagnement des victimes.
Leur rencontre paraît anodine. Il repère Alice, 14 ans, alors qu’elle est fragilisée. Il la réconforte. "Si tu veux, on va manger un truc. Là au coin de la rue." Il l’écoute quand elle se plaint des parents, du collège. De jour en jour, il gagne sa confiance. Jusqu’au moment où c’est lui qui a besoin d’elle. "Une histoire de thunes." Elle se sent redevable. L’emprise est en place.
À travers des scènes de théâtre interactives, Le mouvement du Nid et la compagnie L’école citoyenne sensibilisent des professionnels du médico-social à la prévention de la prostitution des ados et des jeunes majeurs. Comment tombent-ils dans le piège ? Comment les aider à en sortir ? Questions primordiales pour faire face à un sujet encore tabou.
"Faire cheminer ces jeunes sur la prise de conscience"
"Actuellement, il y a une centaine de jeunes en situation de prostitution, qui ont été repérés sur le département de la Haute-Garonne", indique Emmanuelle Vrignault, directrice de l’Amicale du Nid 31. L'association, implantée sur la Haute-Garonne, a créé il y a deux ans une structure dédiée à l'accompagnement des mineurs, en partenariat avec de nombreux acteurs comme les services de protection de l'enfance.
Lors des premiers échanges avec les jeunes confiés à l'association, Emmanuelle Vrignault souligne comme une forme de déni. "Il n'y a pas la reconnaissance de la prostitution. C'est quelque chose qui fait partie d'elles, qu'elles n'arrivent pas à verbaliser comme étant de la prostitution. Et le travail justement spécifique que l'on mène avec les autres acteurs, c'est de pouvoir faire cheminer ces jeunes sur la prise de conscience de leur situation."
Selon la directrice de l'Amicale du Nid 31, cette difficile prise de conscience peut être la conséquence d'un "engrenage qui se met petit à petit en place". Jusqu'à l'emprise. Et c'est là que l'entourage prend toute son importance. "Parents, amis, un prof de collège et tous les acteurs en lien avec les adolescents, ont un rôle à jouer pour mieux repérer les situations", estime Emmanuelle Vrignault. Encore faut-il savoir ce qui doit alerter.
"Les principales alertes ? C'est un cumul d'indicateurs qui permettra à un moment donné de nous questionner. C'est le questionnement qui est important. C'est repérer une jeune qui a de l'argent dont on ne connaît pas l'origine, qui a des vêtements hypersexualisés, une attitude qui change, un téléphone qui sonne sans cesse. La consommation de psychotropes ou de drogue. Tout ça fait un cumul d'indicateurs qui peuvent nous dire à un moment donné qu'il y a des choses qui ne vont pas", détaille Emmanuelle Vrignault.
"Signaler, c'est primordial"
Après le "repérage" des proches, des professionnels et travailleurs sociaux, le signalement est primordial. C'est ce que souligne Chloé Quantin, adjointe du service police judiciaire du Tarn-et-Garonne, lors de la séance de sensibilisation organisée à Montbéton. "Cette journée est importante parce que le phénomène de prostitution des mineurs et des jeunes majeurs est un phénomène qui est assez méconnu, estime le lieutenant de police. Moi, ma vocation aujourd'hui, c'est de fournir des éléments de bonne pratique, notamment pour savoir comment signaler des situations, et de donner quelques clés pour comprendre le déroulé des enquêtes en la matière."
Des enquêtes au long cours et pour lesquelles il n'est pas possible de faire un retour immédiat aux services et professionnels partenaires compte tenu du secret des investigations. "Il faut savoir que ce sont des investigations techniques qui supposent de recueillir des éléments de preuve matériels. Surveillance, contacts que la victime peut avoir avec des clients, un éventuel proxénète, avec tout un réseau dans lequel elle pourrait être impliquée. Ces éléments sont assez longs à recueillir", explique Chloé Quantin.
"Aujourd'hui, nous continuons à collecter des renseignements pour porter assistance aux victimes et mettre un terme aux activités de proxénétisme qui sévissent sur le territoire", affirme l'adjointe du service de la police judiciaire de Montauban.
Le mouvement du Nid et la Compagnie L’école citoyenne proposent ces temps de sensibilisation dans toute la région.
(Propos recueillis par Christine Ravier et Thierry Villeger)