Le documentaire "Tsiganes, le grand silence" nous emmène à Montauban dans le Tarn-et-garonne, à la rencontre d'Alain et Maria Daumas. Français et Tsiganes, toute leur vie, ils ont lutté contre les injustices dont ils sont victimes. En quête de réponses sur leur propre histoire familiale, le couple décide de faire le voyage en camping-car jusqu'à Auschwitz, cheminant sur les traces d'un génocide oublié.
"Tsiganes, le grand silence", un film de Catherine Bernstein à voir le jeudi 8 février 2024 à 22h50. Une coproduction France 3 Occitanie et les films de l’aqueduc, avec la participation d’Histoire TV et le soutien de la Fondation pour la mémoire de la Shoah.
Un homme visionne des archives de la seconde guerre mondiale et de la déportation, lorsque la caméra se fixe sur une photo. Celle d’une fillette qui apparaît dans l’entrebâillement d’une porte d’un wagon de marchandises. Sa tête est entourée d'un grand foulard blanc.
Une photo tristement célèbre (révélée notamment dans le film Nuit et Brouillard d’Alain Resnais), car elle a longtemps été un symbole de la souffrance des juifs, jusqu’à ce qu’un journaliste découvre en 1994 l’identité de la jeune fille : elle s’appelait Anna-Maria Settela Steinbach, elle avait 9 ans. Elle était Hollandaise et en réalité, Tsigane. Settela était son prénom Sinti. Elle est morte à Auschwitz en août 1944, avec sa mère, ses frères et sœurs.
Les Sinti, sont des Tsiganes vivant majoritairement en Allemagne, Autriche et Italie du Nord. 85 % d’entre eux furent exterminés par les nazis lors de la seconde guerre mondiale.
C’est la pelote de cette mémoire, celle de leur famille, victime du génocide tsigane, qu’Alain et Maria Daumas vont tenter de dérouler, pour remonter le fil de leur histoire. Tous deux sont Français et Tsiganes. Ils vivent à Montauban dans le Tarn-et-Garonne, entourés de leurs enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. Alain est Sinti par son père et gitan par sa mère. Il fut un temps où ils étaient appelés les Nomades. Aujourd'hui, ils sont appelés les Roms.
Sur les traces du génocide tsigane
Toute leur vie, Alain et Maria ont lutté contre les injustices dont ils sont victimes. Alain est devenu un grand défenseur des droits de l’homme. Aujourd’hui, à plus de 70 ans, et après une vie passée sur les chantiers de construction, il prend enfin sa retraite. Il n’a désormais plus qu’une seule envie : se rendre à Auschwitz, sur les traces du génocide, pour comprendre et rechercher des traces de son passé familial.
Occultées et ignorées de l’histoire et de la justice, exclues de la mémoire collective, les victimes du génocide tsigane se sont renfermées dans leur mutisme. Il a fallu attendre soixante ans, pour que la parole se libère enfin. Face aux atrocités subies, comme la plupart des survivants de l’horreur nazie, ils se sont tus, par honte et culpabilité. Mais, un 3ème facteur a contribué à maintenir ce silence pendant si longtemps. Il s'agit d'un aspect de la culture tsigane, où les morts occupent une place particulière, On n’en parle pas ! Ou du moins, dans un contexte soumis à des rites particuliers, tous empreints d’une forte tradition.
Pendant la deuxième guerre mondiale en Europe, entre 250 000 et 500 000 Tsiganes, hommes, femmes et enfants ont été exterminés par le régime nazi.
De Montauban à Auschwitz
Dans leur maison à Montauban, la carte étalée sur la table, Alain et Maria suivent du doigt le chemin qu’ils vont parcourir en camping-car, jusqu’à Auschwitz en Pologne. Un trajet de 2300 kilomètres parsemé de différentes étapes comme : Montpellier, Marseille, le camp de Struthof, Strasbourg, Heidelberg, Nuremberg.
Ce que nos parents ne nous ont pas dit, on va essayer de le découvrir.
Maria Daumas
Un des petits-enfants demande "Papou, ton père et ta mère, ils étaient où pendant la guerre ?". "Ma mère était à Noé internée dans un camp, explique Alain et mon père avait pris le maquis du côté de Figeac". Alain poursuit son histoire, racontant à son petit-fils comment, ils ont été dépouillés de tous leurs biens, des caravanes, jusqu'aux chevaux, et comment une fois libérés, ne pouvant rien récupérer, ils ont dû repartir de zéro.
Un road-movie au cœur de la mémoire
C’est le jour du départ et le moment des "au revoir". Les enfants sont là. Tandis qu’Alain fait démarrer le camping-car, on devine Maria essuyer une larme.
Tout au long de la route, les souvenirs remontent. Retour en 1971. "J’avais à peine 18 ans" raconte Alain. "Mon père m’a abandonné là. Ça a été un moment fort de ma vie. Même pas une petite pièce pour m’acheter à manger. Rien. C’était débrouille-toi". Il montre à Maria depuis la route, l'endroit où il a ensuite travaillé à Marseille.
Les paysages défilent. Sur le chemin, parmi les rencontres prévues, il y a Rosette. Déportée juive en 1944 dans le camp d’Auschwitz elle a assisté à la venue de tous les Tsiganes. Sera-t-elle en mesure de leur donner quelques réponses ?
Rosette apparaît sur le pas de la porte. "C’est vous qui êtes Rom ? Ça ne se voit pas dit-elle à Alain. Mais vous alors…", s'adressant à Maria, avant de se lancer dans un récit, fort en émotions. Alain sort de sa poche, son ancien carnet de circulation, qui était imposé aux forains et Tsiganes français. Toutes celles et ceux qui en étaient munis, devaient pointer tous les 3 mois au commissariat de police ou à la gendarmerie. Il n’est plus en vigueur aujourd’hui, mais Alain l'a toujours à portée de main. À l’intérieur, il garde précieusement la photo de Settela qu'il montre à Rosette :"Je suis à la recherche de sa mémoire, cette petite, c’est un peu tout ce qu'il nous reste".
La route se poursuit. Struthof, Auschwitz, Birkenau, jusqu’où cette quête va-t-elle les mener ? Alain et Maria pourront-ils ressusciter le passé pour rétablir la mémoire et s’apaiser enfin ?