Depuis trois mois, cette mère de famille tarnaise est toujours portée disparue. En parallèle, l'enquête piétine alors que le public suit les événements de près et partage de nombreuses hypothèses. Autant d'éléments qui favorisent la popularité de cette affaire dans la société.
Affaire. Quand ce mot s'associe à un fait divers, l'aura des événements a déjà pris une grande ampleur. L'énoncé des faits et des rebondissements passionne les lecteurs, qui prêtent une attention toute particulière à l'histoire des individus concernés plus qu'aux autres faits d'actualité.
Depuis trois mois, le destin mystérieux de cette jeune mère de famille tarnaise défraie la chronique en Occitanie, et même au-delà de ses limites. De grands quotidiens nationaux comme Le Parisien ou Libération se sont emparés de cette "affaire". Ils publient régulièrement les dernières nouvelles venues de Cagnac-Les-Mines.
À l'Université de Franche-Comté, Lucie Jouvet-Legrand travaille sur ces questions depuis de nombreuses années déjà. Cette docteure et maîtresse de conférence en socio-anthropologie a publié deux ouvrages en rapport avec la criminologie. Elle s'est notamment intéressée à l'attrait du public sur ce genre d'actualité.
"Ça peut m'arriver aussi"
Selon cette sociologue, la popularité des faits divers par rapport aux autres articles dans nos journaux s'explique par le fait qu'ils représentent "une actualité qui est accessible par tous, contrairement à certains faits politiques ou économiques." C'est-à-dire que l'énoncé des faits, et le suivi de l'affaire sont à la portée de chaque lecteur, auditeur ou téléspectateur.
D'autant que les faits divers permettent "de se projeter dans l'histoire. Ça peut m'arriver aussi, se disent les témoins des événements. Émotionnellement, les affaires sont marquantes : chaque mère peut se dire que cela peut aussi arriver à leurs enfants."
Tout le monde "peut se reconnaître dans la victime par procuration, et la douleur des proches dépeintes dans les articles ou sujets télévisés donne de l'empathie" au public.
Une popularité due à plusieurs facteurs
Concernant la disparition inquiétante de Delphine Jubillar, l'ampleur médiatique est encouragée par l'intérêt grandissant du public. Cette affaire s'est fait connaître du fait de plusieurs paramètres combinés selon Lucie Jouvet-Legrand. Premièrement, une affaire non-résolue acquiert de la popularité.
Le fait qu'une affaire reste indéterminée favorise le mystère, et ce dernier donne de l'importance aux faits aux yeux du public. Plus la durée est longue, plus l'affaire revient, et plus elle devient fameuse.
L'affaire Grégory en est le parfait exemple selon la chercheuse : quarante ans après les faits, elle est toujours autant présente dans le débat public. Et le nombre d'articles de presse à son sujet est innombrable.
De plus, le contexte actuel favorise la visibilité de la disparition de Delphine Jubillar dans la presse. "Depuis un certain nombre d'années déjà, la femme et l'enfant acquièrent un statut qui prend de la valeur dans la société."
Sans faire de parallèle hasardeux avec les événements de Cagnac-Les-Mines qui n'indiquent aucune piste sérieuse, la sociologue estime que "le meurtre de Marie Trintignant par Bertrand Cantat aurait eu un tout autre traitement médiatique aujourd'hui, plutôt que celui d'un malheureux geste de colère comme il avait été décrit" en 2003.
La responsabilité des médias
Enfin, d'autres facteurs peuvent encourager l'importance de certains faits divers parmi d'autres dans l'espace public. Il y a ce que Lucie Jouvet-Legrand décrit comme des "mythes collectifs" : le cas des joggeuses agressées lors de leur footing par exemple.
La surmédiatisation des faits crée un sentiment artificiel d'insécurité : les femmes sont plus craintives à l'idée d'aller courir seule de nuit ou dans des espaces reculés, alors qu'elles ont plus de risque de mourir tuées par leur conjoint lorsqu'on regarde les analyses de féminicides.
Cet emballement médiatique autour de certains faits de société provoque "une déformation de la perception du danger des citoyens, et modifie leur regard sur les choses." D'autres événements ont provoqué sensiblement les mêmes effets : les mutilations de chevaux ces dernières années, ou encore les accidents de train après la catastrophe de Saint-Jacques-de-Compostelle en 2013.
Selon Lucie Jouvet-Legrand, son illustre prédécesseur Pierre Bourdieu avait une phrase résumant cet état de fait : "les faits divers font diversion". Ils détournent le regard des citoyens des questions de société plus importantes, au grand regret de l'un des plus grands sociologues du siècle dernier.
L'affaire Jubillar n'a donc pas fini de faire parler d'elle en Occitanie et ailleurs, tant qu'elle n'aura pas été résolue.