Depuis le début du confinement, Jean-Louis Etienne s’est réfugié dans sa maison de famille à Vielmur-sur-Tarn. Même si le grand explorateur rêve déjà à une prochaine expédition, il devra encore patienter. Contraint comme nous tous à respecter le confinement.
A bord d’une station Océanographique ou d’une montgolfière, Jean-Louis Etienne a mené de nombreuses expéditions arctiques et antarctiques. Médecin et explorateur dans l’âme, l’infatigable défenseur de la planète nous livre dans cette entretien son analyse sur la crise du covid19. Lui qui a connu le « confinement polaire » dans une solitude absolue partage avec nous son ressenti sur cet épisode d’enfermement. Une situation hors norme qu’il nous conseille de vivre comme un apprentissage à la recherche du temps perdu et de nos émotions.
Depuis le début du confinement, Jean-Louis Etienne vit avec sa famille dans sa maison à Vielmur-sur-Tarn. Une maison située dans les bois où il a la chance de voir pousser avec ses enfants le printemps. "Il y a pire comme situation", avoue l’explorateur, "nous sommes des privilégiés même si deux mois ça commence à faire long!"
Etre confiné c’est réapprendre à vivre avec soi
L’explorateur a vécu ce qu’il appelle le "confinement polaire", en voulant atteindre le pôle nord en solitaire en 86. Devant la difficulté, d’un projet qui le dépassait il n’avait qu’une envie "trouver un moyen honorable d’abandonner" mais à force de persévérance, il a réussi à tenir et à relever le challenge.Il compare cette expérience au confinement dû au coronavirus : c’est la même chose, "il faut rompre avec ses habitudes, il faut réapprendre à vivre avec soi c’est ce que j’ai appris dans mon expédition.j’ai essayé de vivre le plus possible au présent, de faire ce que je peux chaque jour et en fait je me suis rendu compte qu’au bout de 3 semaines j’avais oublié les automatismes, le monde, les autres j’étais entré dans mon histoire.
A le recherche du temps perdu
Deux mois de confinement c’est long, alors que faire de tout ce temps ? C’est toute la difficulté du confinement nous explique Jean-Louis Etienne, comment laisser passer le temps sans avoir l’impression de le perdre ?Rien n’est minuscule pour qui sait regarder
C’est toute cette construction personnelle qu’il faut mettre en place.
Il faut apprendre à vivre avec des choses pour lesquelles on avait aucun regard, aucune attention, des choses qui font partie du décor de nos vies mais que l’on ne voit pas ou plus. Si l’on sait regarder cet infiniment petit c’est là un apprentissage, il faut réapprivoiser le décor ordinaire.
Quand Jean-Louis Etienne est rentré du Pôle nord il a compris "que l'on ne repoussait pas ses limites mais qu'on les découvrait. Selon lui, lorsque l’on est confronté à la réalité, il faut de la résilience, de la persévérance, et beaucoup de tolérance, c'est le chemin à prendre pour apprendre de soi.
Jean-Louis Etienne encourage aussi tout confiné à écrire,
Aller chercher le mot juste, les mots qui raisonnent, chacun doit les trouver pour décrire l’émotion.
Ecrire un journal de bord pour décrire ses émotions et les partager : parler de faits ordinaires c’est très constructif pour soi et cela perdurera.
l’Etat et le coronavirus : un explorateur qui pilote à vue
Mainte fois chef d’expéditions, Jean-Louis Etienne mesure la difficulté pour le gouvernement de gérer cette crise, "piloter plus de 60 millions de personnes avec toutes les inconnues, c’est très complexe, j’ai beaucoup d’indulgence vis à vis de cette gestion du collectif."Il dit se méfier des tweets, des réactions spontanées sur les réseaux sociaux, un avis qui répond à une émotion en instantané sans prendre le temps de la réflexion. "C’est pas simple, un pilotage à vue, il y a une attente énorme, on a tous envie de sortir, mais encore faut-il savoir comment organiser le déconfinement."
L’homme fait émerger des virus en détruisant des écosystèmes
C’est le médecin, le scientifique qui parle de la responsabilité des hommes face à cette épidémie mondiale."Nous sommes immergés dans un tas de virus, nous avons 100 000 fois plus de virus dans le corps que de cellules, les virus sont partout, par exemple dans un millilitre d’eau de mer il y a entre 10 et 100 millions de virus, ce sont des micro-organismes qui sont partout, une minorité sont pathogènes comme le virus de la grippe et donc il y a dans la nature ce qu’on appelle des porteurs asymptomatiques."
Aujourd’hui nous sommes en train de donner un coup de pied dans cette fourmilière virale, on fait émerger des virus en détruisant des écosystèmes, des virus qui étaient planqué dans des porteurs sains.
Selon Jean-Louis Etienne, notre impact sur la nature est colossal, en déréglant les écosystèmes nous faisons émerger des virus meurtriers comme le covid 19, face auquel on ne sait pas grand chose.
Le monde d’après : la nature au coeur des décisions
Le virus n’a pas de frontières climatiques, il est partout. L’explorateur est conscient que tous les états veulent remettre la machine économique en marche : "bien sûr il faut que l'économie reprenne mais c’est peut-être l’occasion de ne pas faire les même erreurs. Réchauffement climatique, déséquilibre des écosystèmes et aujourd’hui le coronavirus, la nature est une grande mutuelle et là nous sommes de très mauvais cotisants. On s’en sert avec une ingratitude totale, il faut vivre avec plus de conscience collective et moins de compétitivité personnelle."De nature optimiste, l’explorateur de 73 ans veut croire à un monde meilleur. Ce confinement est une expérience unique, l’occasion de redonner du sens aux choses et aux choix que l’on fait, "rien n’est minuscule pour qui sait regarder", la vérité n’est pas forcément ailleurs.
Cela ne l'empêche pas pour autant de poursuivre ses rêves, Jean-Louis Etienne prépare actuellement sa prochaine expédition pour une exploration de l’océan autour de l’antarctique.
Voir l'interview de Jean-Louis Etienne