Pendant dix ans, Caroline a été victime de violences conjugales. Aujourd'hui, elle a réussi à se soustraire à l'emprise de son mari et vit dans la Maison des femmes d'Albi (Tarn). Elle raconte son histoire, pour que l'on ne "minimise" plus les violences psychologiques.
Caroline a 41 ans. Ce mercredi 24 novembre 2021, dans le salon de la Maison des femmes d'Albi dans le Tarn, elle raconte son histoire. Ou plutôt, son calvaire. Sa voix est calme, posée. Elle ne cille jamais.
Ce n'est que récemment qu'elle a pu mettre des mots sur ce qu'elle a vécu. Pendant dix ans, elle a été victime de violences psychologiques de la part de son mari. Si elle accepte de témoigner à visage découvert, c'est parce que "l'on parle souvent des violences physiques, mais beaucoup de femmes et d'hommes sont victimes des violences psychologiques. Je crois qu’on le minimise, et c'est un tort".
Car "cela créé des séquelles toutes aussi importantes" que les violences physiques, estime-t-elle. "La reconstruction est longue pour reprendre confiance en soi et comprendre qu'on a le droit d'être entendu".
"Il a pris possession de mes choix"
Pour Caroline, l'emprise a commencé dès les fiançailles. "Mon mari m'a fait comprendre que certaines choses devaient rester entre nous". Puis, tout s'est accéléré. "Il a pris petit à petit possession de mes choix et de mes décisions". Son mari refuse "catégoriquement" qu'elle travaille. Elle doit lui demander la permission de sortir, lui rendre des comptes sur ses rencontres.
"Il ne m'a jamais enfermée, mais je ne sortais plus. Il me disait que ce n'était pas nécessaire pour moi d'avoir une vie sociale". Peu à peu, Caroline s'isole dans son petit hameau de l'Ariège, jusqu'à perdre contact avec sa famille et ses amis.
Cette emprise s'est cristallisée "au travers de jeûnes répétitifs". Trois jours sans boire ni manger, quarante jours sans nourriture... "Je devais le suivre dans tous ses jeûnes, même les plus longs, les plus durs, les plus extrêmes". Malgré les réticences de Caroline, son mari parvient toujours "à la convaincre".
Pourtant, elle assure "être quelqu'un qui dit ce qu'elle pense". Mais, aux côtés de son mari, "je ne me sentais pas comme une femme adulte et indépendante. Plutôt comme une personne qu'il faut épauler, car elle n'est pas capable de s'en sortir seule". Mais surtout une personne qui, quoi qu'elle fasse, ne sera jamais à la hauteur. "Malgré tout ce que j’essayais de faire pour lui plaire, ce n'était jamais bien. C'était une grosse torture", souffle Caroline.
"Je suis passée de confinée à surconfinée"
Cette violence psychologique "est faite de manière si insidieuse, qu'on ne s'en rend pas compte au quotidien. Comme on a personne à qui parler, on n'a pas de regard extérieur de personnes qui pourrait nous dire 'ce n'est pas normal'".
Les choses se sont "compliquées" avec l'arrivée de son premier enfant. Lui est plus âgé, et a déjà eu des enfants d'une première union. Caroline espère alors pouvoir se reposer sur son expérience de papa. "Mais, à cause de ses nouvelles convictions religieuses, il agissait d'une manière totalement différente avec mes enfants". Les jouets, les anniversaires, les fêtes de Noël ou les sorties en famille... Tout est interdit.
Caroline est contre. Elle se rebiffe. "Du moment que j’allais dans son sens, il n’y avait pas de problèmes. Dès que j'exprimais ce que je souhaitais réellement, cela devenait un sujet de conflits entre nous". Alors, "pour que son couple marche", "je voulais être soumise, je prenais sur moi, je n'exposais pas mes inquiétudes. Même lorsque cela concernait la santé de mes enfants". Ce qui a eu des conséquences "catastrophiques" pour son deuxième fils, qui a eu des problèmes de santé, faute de suivi médical.
Il me rabaissait constamment dans mon rôle de maman. Au début, je me fiais à ce dont je savais qu'il accepterait, mais il pouvait changer d'avis en un quart d'heure. J'étais perdue. On a l’impression d'être bon à rien, comme il nous le répète constamment.
Carolineà France 3 Occitanie
Les années passent. Les violences psychologiques sont toujours là. Caroline accouche de son quatrième enfant. Elle doit s'occuper de ses enfants "24 heures sur 24, 7 jours sur 7", et reconnaît qu'elle n'aurait elle-même jamais voulu vivre leur enfance "pourrie" et isolée. "Il a fallu des mois pour me rendre compte que, moi aussi, je vivais en prison", ajoute-t-elle.
"Mon entourage devenait très inquiet, mais attendait que la démarche vienne de moi". Le déclic arrive lors du premier confinement, en mars 2020. "Je suis passée de confinée à surconfinée", note-t-elle. Son mari lui interdit de sortir faire les courses : c'est à lui de s'exposer au virus.
Lorsque j’ai entendu tous ces Français râler pour le peu de liberté qu’on leur enlevait, je me suis dit qu’ils n’aimeraient pas ma vie. Et je me suis dit que moi aussi, je n’en veux plus.
Carolineà France 3 Occitanie
Vient enfin ce jour de janvier 2021. Caroline appelle une amie de très longue date, qui vient la chercher et l'héberge elle et ses enfants. Le temps que Caroline trouve refuge à la Maison des femmes d'Albi, une association et un centre d'hébergement venant en aide aux "femmes victimes de violences tant physiques que morales ou en état de détresse". L'une des premières choses qu'elle fait en arrivant dans le Tarn, c'est d'emmener sa fille de huit ans faire son premier tour de manège.
"Vous méritez d'être heureux"
Aujourd'hui, Caroline est en procédure de divorce, suivie par un psychologue, entourée d'autres femmes et "se reconstruit petit à petit". Elle a retrouvé un emploi en temps partiel. Mais elle a perdu la garde de ses enfants de fait de sa situation précaire. "Aujourd'hui, je me bats pour les récupérer". Elle reste inquiète pour eux : "J'ai vu combien il avait pu m'influencer, alors que j'étais une adulte consentante. Alors je n'imagine pas l'influence qu'il a sur mes enfants".
L'important, c'est que cela ne m'a pas détruite. Je ressens aujourd'hui comme une renaissance.
Carolineà France 3 Occitanie
Elle se souvient d'une femme, dans son groupe de parole, qui a vécu une situation similaire à la sienne. Caroline lui avait alors dit : "Est-ce que tu te souviens de la personne que tu étais avant de rencontrer cet homme ? Cette femme, heureuse, c’est celle que tu es vraiment. Parce qu’on oublie." Car, ne pas oublier qui on est au fond, c'est le plus important. Et elle souhaite que toutes les personnes victimes de violences garde cela en mémoire, quoi qu'il arrive. Caroline conclut : "Vous êtes libre de faire vos propres choix, vous méritez d'être heureux".
Si vous êtes victime de violences, ou si vous êtes inquiet pour une membre de votre entourage, il existe un service d'écoute anonyme, le 3919, joignable gratuitement 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. D'autres informations sont également disponibles sur le site du gouvernement, où il est également possible de déposer un signalement.