Lutte contre les violences faites aux femmes : « tout reste à faire » pour le procureur de la République de Nîmes, Erick Maurel

« La situation des femmes a régressé et régresse encore ». Le constat est glaçant et il est dressé par le procureur de la République de Nîmes, après trente-six ans de vie professionnelle. Dans son nouveau livre, Erick Maurel exhorte les hommes « aujourd’hui, on ne peut pas être homme et ne pas être féministe".

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Selon une étude de l’Institut d’études opinion et marketing (IFOP) pour la Fondation Jean-Jaurès, en France, 58% des femmes interrogées expliquent avoir déjà été exposées à des comportements déplacés,

Tous les chiffres sont alarmants. Les services de police et de gendarmerie ont enregistré une hausse de 10% des violences conjugales en 2020, a annoncé lundi 22 novembre le service statistiques du ministère de l'Intérieur. Celles-ci ont concerné 159 400 personnes, tous sexes confondus. Environ 87% des victimes de violences conjugales sont des femmes. 

Le confinement a aggravé la situation

Le confinement a aggravé la situation avec une hausse de 30 à 40 % des plaintes pour violences conjugales. . « On voit bien que la courbe est exponentielle, » confirme le procureur de la République de Nîmes où la hausse atteint même 100% en un an. Erick Maurel s’attarde sur ce phénomène inquiétant dans son nouveau livre. « C’est un ouvrage technique puisque juridique mais il est d’abord destiné aux femmes elles-mêmes qui sont victimes de violence, de façon à d’abord les informer sur les textes qui existent, les sensibiliser sur des infractions dont on n’a peut-être même pas idée. Et à la lecture de ce livre, se rendre compte qu’elles sont bien victimes de viol, de harcèlement au travail, victimes de discrimination et autres. Et puis dans une autre partie de l’ouvrage, l’idée c’est de leur montrer tous les dispositifs qui existent pour les protéger ».

 102 femmes tuées par leur conjoint

Depuis le 1er janvier, 102 femmes ont été tuées par leur conjoint, selon le décompte du collectif "Féminicides par compagnon ou ex"(au 23 novembre 2021).  « L’homicide conjugal est souvent le point culminant d’une trajectoire de violence qui a augmenté en sévérité et en intensité au fil du temps », explique Erick Maurel. Les violences physiques sont celles dont on parle le plus. "La famille et l’entourage proche constituent le premier espace dans lequel se produisent les agressions".     

Pour 32% des personnes interrogées, à l’origine d’un viol, il y a souvent un malentendu

Association Mémoire traumatique et victimologie sur le viol

IPSOS

Les convictions des Français sur ces violences faites aux femmes sont inquiétantes. En 2019, une étude réalisée par l’IPSOS pour l’Association Mémoire traumatique et victimologie sur le viol indiquait que 42% des personnes interrogées considéraient que si la victime a eu une attitude provocante en public, cela atténue la responsabilité du violeur. En langage plus familier, qu’elle l’aurait bien cherché. Pour 32%, à l’origine d’un viol, il y a souvent un malentendu. Enfin 18% pensaient qu’une femme pouvait prendre du plaisir à être forcée et 17% que beaucoup de femmes pensent oui quand elles disent non à une relation sexuelle. Il faut là juste rappeler que le viol est puni de 15 ans de réclusion criminelle ou 20 ans si des circonstances aggravantes sont retenues.

«C’est un problème de société et c’est avant tout un problème d’éducation dans les familles, la manière dont les parents éduquent leurs enfants dans le respect du corps de l’autre. Et ce n’est pas forcément à l’éducation nationale de se substituer. C’est aussi un problème culturel. Aujourd’hui, notre société est composée de personnes arrivant de tous horizons avec des cultures différentes et il est important que chacun se reconnaisse dans le creuset républicain.

On ne peut pas affirmer aujourd’hui le triptyque « liberté, égalité, fraternité » en oubliant qu’il ne concerne pas que les droits de l’homme mais les droits humains et les droits de la femme

Erick Maurel

Certaines valeurs qui sont les nôtres n’existent pas ou ne sont pas reconnues comme telles ailleurs. Tout le travail que nous devons faire ensemble, c’est précisément de travailler sur ce creuset républicain. On ne peut pas affirmer aujourd’hui le triptyque « liberté, égalité, fraternité » en oubliant qu’il ne concerne pas que les droits de l’homme mais les droits humains et les droits de la femme". 

Parallèlement, les critiques fusent sur l’accueil proposé aux dépôts de plaintes pour violences sexuelles dans les commissariats. Pourtant Erick Maurel l'assure : « les violences conjugales donnent désormais lieu à des formations spécifiques pour les magistrats, juges, procureurs, gendarmes et policiers."

Les violences psychologiques : "une entreprise de destruction" 

Mais la violence physique n’est qu’un aspect du problème. « L’homme qui va vouloir asseoir sa domination sur la femme, il va vouloir le faire par tous les moyens ».

Les violences psychologiques sont une véritable entreprise de dégradation, voire à terme de destruction de l’identité de la victime. La victime se sent  généralement coupable, inférieure, incompétente, ce qui l’empêche de penser que l’agresseur n’a pas le droit d’agir comme cela. La victime a le plus grand mal à se séparer de son agresseur.

« C’est le phénomène de l’emprise. Mais c’est la violence la plus difficile à prouver mais elle existe. Nous recueillons le témoignage de la victime. Il y a aujourd’hui des grilles d’interrogatoire qui permettent de faire émerger certaines réalités dont la victime elle-même n’a pas obligatoirement conscience. Il y a des enquêtes de voisinage. On interroge les amis, la famille et souvent les témoins de ces humiliations. Et puis nous avons aussi des psychologues ».  

La violence économique : une "arme"

La violence économique fait aussi partie de la violence conjugale. Un exemple : 30 à 40% des pensions alimentaires ne seraient pas réglées ou seraient payées irrégulièrement. « Une « arme » pour les hommes pour des motifs aussi différents que la rancœur ou la vengeance, le désir d’humilier la femme, la volonté de la maintenir là aussi sous une forme d’emprise".  

Face à ce tableau très morose, comment la justice tente-t-elle de faire face ? « Il faudra toujours plus de moyens, humains et techniques. Mais le Grenelle des violences conjugales (fin 2019) a marqué un tournant indéniable  Il a impulsé une véritable dynamique et nous n’avons jamais exposé autant de moyens qu’à présent ».

Une expérimentation : le contrôle judiciaire avec placement probatoire

Et le procureur de la République de Nîmes d’énumérer le téléphone grave danger, le bracelet anti-rapprochement, l’ordonnance de protection, l’interdiction de paraître… Une nouveauté dans le Gard : le contrôle judiciaire avec placement probatoire pour les auteurs de violences conjugales. « En clair, une personne susceptible d’avoir commis des violences conjugales est conduite devant un juge des libertés et de la détention. Ce juge la place sous contrôle judiciaire avec obligation de quitter le domicile conjugal et de résider dans un appartement qui est géré par une structure associative. Elle va l’accompagner sur le plan, professionnel, psychologique, de l’addictologie si besoin, par la participation à des groupes de parole sur la relation à l’autre, sur le respect dû à sa femme et que l’on se doit à soi-même.

Tout un travail qui a pris 4 ou 6 mois et force est de constater que ça marche. Nous avons un taux de réussite de 97%, c’est-à-dire de personnes qui se présentent à l’audience en ayant vraiment fait une introspection sur leur passage à l’acte et sur les conséquences sur les violences qu’elles ont commises et surtout qui n’ont pas récidivé. Pour nous, c’est une belle expérience qu’il convient de continuer ». Après Nîmes et Colmar, 8 nouveaux tribunaux vont l’expérimenter.

Un nouveau protocole avec les médecins

A Nîmes, toujours, un protocole a été signé le 24 novembre entre l’ordre des médecins et le parquet sur le signalement des violences conjugales. Il va permettre d'élargir les possibilités dans le traitement des cas. En conscience, quel que soit l'âge de la femme agressée, le médecin pourra faire un signalement au parquet sur une ligne téléphonique dédiée  « Le législateur nous a offert tout un panel de mesures. Nous les utilisons toutes, de façon à prévenir les faits ou les réitérations de faits et pour nous ce qui est important, c’est l’objectif : éviter un drame et que demain une femme succombe sous les coups de son mari ou d'un ancien compagnon".   

Aujourd’hui, on ne peut pas être homme et ne pas être féministe. Puissent les hommes trouver dans mon livre, aussi, un intérêt

Erick Maurel

Mais pour Erick Maurel, « le chemin est encore long. Tout reste à faire. Après 36 ans de parcours professionnel, j’ai tendance à considérer que si les droits de la femme n’ont jamais autant été exprimés, peut-être qu’ils sont en régression dans leur application. Et que dans l’entreprise, dans la vie du quotidien, dans le milieu sportif, culturel, dans la vie familiale tout court, il y a peut-être une forme de régression, de dégradation de la réalité des droits de la femme".   Et le procureur de la République de Nîmes de conclure : « Aragon disait : « l’avenir de l’homme, c’est la femme". Mais c’est la réalité. Aujourd’hui, on ne peut pas être homme et ne pas être féministe. Puissent les hommes trouver dans mon livre, aussi, un intérêt".      

Si vous êtes victime de violences, ou si vous êtes inquiet pour une membre de votre entourage, il existe un service d'écoute anonyme, le 3919, joignable gratuitement 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. D'autres informations sont également disponibles sur le site du gouvernement, où il est également possible de déposer un signalement.

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