Lors de l'ouverture du procès de l'affaire Celea à Marseille (Bouches-du-Rhône), l'un des avocats des prévenus a soulevé la question du non-respect du "délai raisonnable" dans ce dossier qui aura mis plus de 13 ans avant d'arriver devant un tribunal. Les résultats du manque de moyens de la justice pour Me Philippe Pressecq.
Depuis plusieurs mois, de nombreuses affaires sont annulées par les tribunaux. L'affaire du comité central d'entreprise d'Air France, le 16 mai, celle d'un Nantais accusé de six escroqueries contre des commerces et des établissements bancaires dans le Morbihan, le 11 mai, en sont des exemples les plus récents. Les lenteurs de la justice en sont la cause principale. L'affaire d'Air France aura mis 22 ans avant d'aboutir à un procès. Celle de l'escroc nantais, 11 ans.
Ce "délai raisonnable", Maître Philippe Pressecq, avocat de l'un des prévenus dans le dossier Celea actuellement jugé, en a soulevé la question devant le tribunal correctionnel de Marseille. L'enquête sur ce dossier de blanchiment d'argent et d'escroquerie impliquant une vingtaine de personnes aura duré plus de 13 ans. Inacceptable pour l'avocat tarnais.
France 3 Occitanie : Pourquoi avoir soulevé la question du non-respect du "délai raisonnable" à l'ouverture de ce procès ?
Maître Philippe Pressecq : C'est à la fois une question de droit, mais aussi une question sociétale et politique. Aujourd'hui, on demande aux juges et aux avocats de faire semblant. De faire comme si tout était normal. Comme si nous arrivions à l'audience dans un délai raisonnable qui est imposé tant par les règles européennes que par les règles françaises. Il y a des moments où l'on n'a pas envie de faire semblant. Le côté déraisonnable du délai est tellement criant qu'on a envie de dire au tribunal "allez ! On arrête de jouer !"
France 3 Occitanie : Plus de 13 ans entre le premier acte d'enquête de ce dossier et l'ouverture du procès. C'est trop long ?
Maître Philippe Pressecq : C'est non seulement trop long mais également déraisonnable. L'instruction a été extrêmement incomplète. Car il y a eu beaucoup de personnes qui n'ont pas été confrontées. Des recherches n'ont pas été faites en particulier sur les complicités bancaires. On a constaté que tous ces légionnaires ont eu des crédits avec de faux documents, de faux dossiers et des complicités bancaires évidentes. Cela n'a pas intéressé les juges d'instruction qui se sont succédés. Parfois, on dit que la justice est l'avocat de la société, mais elle est parfois l'avocat de la Société Générale.
France 3 Occitanie : Comment expliquer de tels délais ?
Maître Philippe Pressecq : C'est lié au manque de moyens de la justice. Il n'y a pas eu de magistrats qui ont mal travaillé, qui ont failli ou qui ont fauté. Il y a seulement cette question qui est lancinante pour les professionnels du droit que nous sommes et qui est que la justice n'a pas les moyens de travailler correctement. Il y a des magistrats instructeurs qui se sont succédés dans cette affaire et certains n'ont pas ouvert le dossier, car lorsqu'ils sont arrivés dans le cabinet d'instruction, il y avait toutes les urgences à traiter, toutes les affaires "chaudes" qui leur tombaient dessus. Là, nous sommes sur un "cold case" qui traîne depuis des années et qui prend trois armoires du cabinet d'instruction. Le magistrat est pris par d'autres taches. Le problème, ce n'est pas que ce dossier est d'une difficulté extrême, mais c'est un dossier qui est copieux, qui nécessite de la manutention.
France 3 Occitanie : Est-ce que la nature même de cette affaire, blanchiment d'argent et escroquerie, dans des territoires un peu éloignés avec des victimes de faible niveau social, peut expliquer un certain désintérêt de la part de la justice pour ce dossier ?
Maître Philippe Pressecq : L'intervention de la presse constitue un vrai moteur pour que la justice avance et mette les moyens qu'il faut. Là, la presse ne s'y est pas intéressée et la justice a laissé un peu faire. Ce n'est pas un dossier d'une complexité extrême, qui ne nécessitait pas des investigations incroyables. C'est une cavalerie aux immeubles. Dès le moment où Tracfin met le doigt dans ce dossier, tout le reste tombe automatiquement et quand le réquisitoire introductif est pris en 2008, on en sait déjà beaucoup. Il n'y avait aucune raison pour que cela dure une décennie entière.