Soupçons de conflits d’intérêts concernant la future usine d’enrobage à Montans

ENQUÊTE FRANCE 3 OCCITANIE. Déjà particulièrement décriée par des opposants, l’usine d’enrobage de Montans (Tarn) pourrait être de nouveau prise dans la tourmente. Des soupçons de conflits d’intérêts pèsent sur le président de la communauté d’agglomération Gaillac/Graulhet et l'entreprise Laclau TP. Explications.

L’usine d’enrobage à Montans (Tarn) n’est pas encore sortie de terre qu’elle essuie déjà énormément de critiques. Depuis de nombreuses semaines d’abord, de la part de nombreux riverains qui ne veulent pas de cette implantation près de leurs habitations.

Les frères Laclau et Paul Salvador associés

Mais ce projet pourrait faire l'objet d'un nouveau débat : celui de soupçons de conflits d’intérêts de la part d'un élu. Peu en parlent, mais beaucoup le savent. Le maire de Castelnau-de-Montmiral, Paul Salvador, est associé depuis plusieurs années à des acteurs incontournables du monde économique du Tarn, les frères Laclau, de l’entreprise de travaux publics du même nom.

Au cœur de ce dossier : une société nommée Grésigne Résidences. Plusieurs figures locales ont investi dans ce projet de résidences de standing créé en 2012 sur la commune de Castelnau-de-Montmiral (Tarn), nommé le Domaine de la Durantie.

Parmi la quinzaine d'actionnaires, le maire de la commune, Paul Salvador, mais également les entrepreneurs Jean-Marc et Sylvain Laclau, à travers leur société JMS Group. Rien d’anormal jusque-là. Mais le conflit d’intérêt se joue ailleurs, dans l'usine d'enrobage de Montans.

Ce projet est soutenu par la communauté d'agglomération et par son président, un certain Paul Salvador.

La collectivité a désigné une société pour porter cette installation : Matériaux et enrobés du Pastel (MEP). Les actionnaires de MEP sont au nombre de deux : NGE et Laclau TP, comme l'indique sans détours le site internet de la communauté d'agglomération.

L'infographie suivante reprend visuellement le rôle des acteurs et des entités dans ce projet d'usine.

En juin 2022, la communauté d’agglomération se réunit pour délibérer à propos de la vente de deux parcelles en faveur de MEP - qui accessoirement est une entreprise qui n'existe pas au moment de la vente puisqu'elle ne sera créé officiellement que le 11 octobre 2022. Une vente d'une valeur proche des 660.000 euros. Cette séance est présidée par Paul Salvador. Il prend part au vote et signe la délibération.

Problème, le maire de Castelnau-de-Montmiral, n'aurait pas dû participer à ce vote en raison de ses liens financiers, au sein notamment de Grésigne Résidences, avec les propriétaires de Laclau TP.  

D'ailleurs, un an plus tard, le lundi 22 mai 2023, lors d'un nouveau conseil de la communauté d'agglomération, une nouvelle "délibération rectificative", précisant certains détails de la cession des deux parcelles préalablement vendues à la société MEP, est mise au vote.  

"Monsieur Salvador m'a dit qu'il pouvait y avoir un problème s'il votait"

Cette fois-ci, même s'il est présent, Paul Salvador décide de se "déporter" au profit de Martine Souquet, vice-présidente de la communauté d'agglomération et maire de Gaillac. Monsieur Salvador ne prend pas part au vote. "Monsieur Salvador m'a demandé de présider la séance car il pouvait y avoir un problème s'il votait" explique Martine Souquet.

"Il m'a dit : on pourrait me reprocher un conflit dans ce dossier. Je ne veux pas avoir de problèmes" rapporte-t-elle. "Il n'a donc pas voté cette délibération." Finalement, c'est Martine Souquet qui signe la délibération. 

Contacté, Paul Salvador nous a transmis une réponse par écrit via sa directrice de cabinet. Dans un long message, il revient en détail sur le déroulé des évènements. Il confirme ces informations, en apportant quelques précisions. "Il faut savoir que la délibération de 2023 annule et remplace celle de 2022" amorce-t-il.

Paul Salvador confirme s'être déporté, "pour ne pas alourdir les griefs d'opposants"

Il reconnaît s'être déporté volontairement en mai 2023 conscient des risques. "Les opposants au projet de la centrale d’enrobage ont souhaité porter à la connaissance du préfet la nullité de la première délibération" avance-t-il. "Ils ont fait valoir que certains des porteurs du projet de la société MEP étaient en relation professionnelle avec moi dans le cadre d’opérations de sociétés privées (qui n’ont rien avec le sujet de la centrale)" poursuit-il. C'est pourquoi, il a décidé de ne pas voter "afin de ne pas alourdir les griefs des opposants à l’encontre de ce projet".

Mais pour Paul Salvador, il n'y a au fond pas de problèmes car "l’agglomération n’avait qu’un seul acquéreur sur ce terrain", la société MEP. L'élu rappelle également le prix de vente : 660.168 €, au lieu de 295.250 € correspondant à l’estimation des domaines de référence pour les collectivités. "Comment peut on imaginer que la société MEP a été favorisée sur cette opération ?" s'interroge-t-il en guise de conclusion.

Selon un juriste, "on est à l’évidence dans une situation de conflits d’intérêts"

Mais cette défense laisse perplexe un membre du collectif NO Bitume. "Une question au moins qui se pose : est-ce normal de pouvoir attribuer une vente de terrains dans ces conditions ?" s'interroge-t-il. "Ça me questionne, sur les liens qu’il peut y avoir" ajoute-t-il, en position d'attente dans cette affaire.  

Autre élément étonnant : la déclaration d'intérêts de Paul Salvador à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Une obligation légale. Celle du vice-président du Conseil départemental du Tarn a été modifiée en novembre 2022, intégrant une déclaration de participations financières directes dans le capital de Grésigne Residences. Dans les précédentes déclarations de Paul Salavador, aucune référence n'a jamais été faire à la société de résidences de luxe, pourtant créée en 2012.

Dans ce genre de dossier technique, l'association ANTICOR fait figure d'antenne d'expertise pour déterminer factuellement un conflit d'intérêts. Pour Clarence Bothia, juriste à ANTICOR, il y a peu de doutes sur ce dossier d'usine d'enrobage. "On est à l’évidence dans une situation de conflits d’intérêts" reconnaît-il, en apprenant les éléments par téléphone. Il tient à distinguer deux volets : l'administratif et le pénal. 

Seule la prise illégale d'intérêts est condamnable juridiquement

Aucune infraction pénale n'existe pour le conflit d'intérêts. Sur le plan administratif, la sanction la plus forte peut être l'annulation de la délibération en cause. C'est la prise illégale d'intérêts qui peut être poursuivie juridiquement, à savoir un bénéfice qui serait tiré de ce conflit d'intérêts. "On peut y réfléchir, se poser la question s'il y a prise illégale d'intérêts mais c'est plus complexe. C'est au juge de définir cela" rappelle Clarence Bathia. 

La procureure de la République a la possibilité d'ouvrir une enquête. "Le parquet n'enquête pas automatiquement s’il estime que l'infraction n’est pas suffisamment caractérisée" indique le juriste d'ANTICOR, qui assure que les magistrats sont "assez attentifs à ces questions-là" de manière générale, mais qu'ils peuvent souffrir "d'un manque de moyens inhérent à l’ensemble de la justice". Contactée, la procureure de la République d'Albi n'a pu répondre avant la publication de cet article. 

Clarence Bathia n'est pas vraiment étonné d'apprendre l'existence de ce genre d'opérations. "C'est quelque chose que notre association rencontre assez fréquemment malheureusement" remarque-t-il en repensant à d'autres cas dans plusieurs collectivités territoriales du pays.

Pour rappel, cette usine de production d'enrobé à Montans doit permettre de limiter la distance entre le lieu de production de l’enrobé et le lieu d’application dans le secteur.

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