EDITO - Hervé Brusini, Directeur des rédactions web de France Télevisions, aborde le thème de l'hyper connectivité des objets qui nous entourent. L'homme réussira-t-il à rester connecté avec lui même ?
Il est monté dans la voiture qui sentait le neuf. Il flânait, un concessionnaire avait aittiré sa curiosité. Peu lui importait marque et modèle. En l'occurrence, ce qui l'avait séduit c'était la commande automatique des rétros - pour cause de parking étroit et diablement coûteux ! - ainsi que le dégivrage des sus-dits ustensiles. (Il arrivait aussi qu'en déplacement, son automobile passe la nuit dehors). Le vendeur avait d'ailleurs largement vanté les mérites modernes de l'engin. Il y avait aussi le GPS intégré de même qu'une liaison immédiate établie entre le smartphone et la voiture. Et vint la phrase qui emporta le morceau : «Votre véhicule possède aujourd'hui plus d'électronique embarqué que le premier airbus A 300, il y a trente ans». D'un seul coup d'un seul, il était devenu acheteur, reconnaissant amoureusement ce qu'il recherchait (sans se l'avouer, mais comme tout un chacun désormais) : être connecté.
Il avait d'ailleurs vu que juste à côté, la grande surface spécialisée en électoménager proposait des réfrigérateurs dernier cri, qui appartenaient au même monde. Ils vous procuraient un compte rendu détaillé de la quantité et de l'état des aliments stockés. Pour la recette du dîner, il suffisait d'indiquer la cuisine souhaitée ou le plat envisagé, et le tour était joué. «Connexion du plaisir de manger», pensa-t-il en son for intérieur. Un peu plus loin, une curieuse machine le laissa sans voix. C'était une imprimante d'un genre nouveau. Elle était capable de restituer en "dur" des dessins en 3D de petits objets en plastique, par exemple. Bien sûr, pour l'heure le matériel était cher disait la video de la démo, mais rapidement on pourrait voir plus grand et moins honéreux.
«Les machines entraient donc à présent en inter-relation»
Il faisait beau et sur le trottoir, son esprit vagabondait tout émoustillé qu'il était par cette confrontation massive avec la technologie. Les machines entraient donc à présent en inter-relation. De fait ce qu'il pensait être des objets comme son frigo «devenaient» des machines par le jeu des liens. Ce qu'il constatait et pratiquait à longueur de journée sur internet s'exportait donc dans le domaine de l'inerte. Il se sentait à présent une âme de docteur Frankenstein capable justement d'animer - presque au plein sens du terme - un objet grâce au choc de la connexion. Un réseau se créait ainsi dans la voiture comme à la maison. Lui l'humain, il en était le centre par le truchement des écrans. Déjà on affirmait qu'il avait à sa disposition autant d'adresses virtuelles que d'étoiles dans le ciel ou de cellules dans son propre corps. En se reliant les unes aux autres les choses prenaient donc vie, puisqu'à force de devenir innombrable, la connexion elle même était LA vie numérique. Le nombre quasi incalculable et sa diversité rejoignait l'énigme de la vie, celle du vivant, alors même que l'homme en était l'inventeur.
Derrière son écran 15 pouces (la cause de son récent divorce), Il décidait de surfer sur le web pour savoir ce que la toile en pensait. Un site répondant au nom prédestiné de Atelier.net semblait vouloir le rassurer. Des universitaires américains de Pennsylvanie et de Pew internet, soutenaient l'idée que les technologies de la Com favorisaient l'ouverture des hommes entre eux. Les connectés seraient plus actifs et plus impliqués dans les associations comme dans le voisinage que les non-connectés. En particulier les blogueurs, mais les amateurs de réseaux sociaux , beaucoup moins.
Il cherchait d'autres pistes, d'autres réponses aux questions posées par l'univers relié qu'il savait être maintenant le sien. Le web lui faisait découvrir de nouvelles capacités d'enrichissement. Le futur immédiat de cette connexion en temps réel et partout allait le changer en acteur permanent d'une encyclopédie des lumières en mouvement perpétuel. Il fut pris d'un vertige soudain. Il manquait une connexion dans ce cablage sans fin et dématérialisé. Comment diable se connecter avec soi-même ?
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