Reportage: Peut-on accélérer les demandes d'asile sans réduire les réfugiés au silence ?

Le nouveau projet de loi sur les demandes d’asile, présenté par Bernard Cazeneuve, prévoit une accélération de la procédure. Pourtant, à la Cour National du Droit d’Asile de Montreuil, le temps manque déjà pour écouter les requérants souvent en état de souffrance psychique.

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Le 23 juillet, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve présentait le nouveau projet de loi sur les demandes d’asile. L’objectif : réduire les délais de traitement des dossiers de deux ans à neuf mois et débouter un maximum les « faux » demandeurs d’asile. Une idée que les exilés qui demandent l’asile en France apprécieraient s’ils avaient l’assurance d’être véritablement entendus et compris.

Menacés, torturés, ils ont parfois tous les éléments nécessaires pour demander l’asile, sauf le récit. Les raisons qui les ont poussé à quitter leur pays et le long périple qu’est la traversée jusqu’en France laissent des stigmates qui parfois effacent les mémoires ou modifient leurs souvenirs.

Stress post-traumatique, souffrance psychique, autant d’éléments qui empêchent les requérants de raconter correctement leur histoire, pourtant essentielle à la demande d’asile. A l’heure où les institutions réduisent leur temps de parole et se font de plus en plus méfiantes à l’égard des nouveaux arrivants, l’inquiétude est à son comble.

« Je suis parti pour sauver ma vie »

Il a le visage d’un enfant perdu, cherchant ses mots devant la Cour. Sa paire de baskets Nike et son sweat à capuche font de lui un jeune parmi les autres, malgré ses difficultés à s’exprimer et ce dossier corné qu’il traîne de bureau en bureau depuis des mois. Raji répète qu’il n’a pas demandé à être là et qu’il donnerait tout ce qu’il a pour retourner dans sa famille, auprès de sa mère. Les mots sont durs. La moquette de la Cour usée par les va-et-vient des exilés.

Chaque jour, ils sont des dizaines à être entendus par les juges à la Cour National du droit d’asile (CNDA) à Montreuil, où les audiences sont publiques. Ils racontent leurs histoires les uns après les autres, relatant toujours les mêmes faits, la même horreur. Venus pour prouver que leur vie est en danger, ils réclament l’asile en France, là où quelque part sur leur chemin on leur a dit d’aller avec la promesse d’y trouver hospitalité, répit et abondance. Alors ils traversent les frontières, restent parfois bloqués dans un pays pour une semaine ou quelques mois, pour finalement raconter leur histoire en détails devant une cour qui teste la véracité de leurs propos. Car la précision fait la fiabilité d’un dossier : des dates, des lieux, la couleur de l’uniforme du bourreau. Autant d’éléments qui prouvent que la vie du demandeur est menacée, quand bien même torture et traumatisme ont eu un effet amnésique sur ces souvenirs que l’on empêche d’être refoulés.

« Mon père et mes oncles étaient militants pour le Balochistan National Party. J’ai grandi dans cet univers donc quand j’étais au lycée, j’ai décidé d’y adhérer à mon tour, » raconte Raji, un bangladais de 21 ans arrivé en France l’an dernier. « Au bout d’un an au parti, je suis devenu secrétaire général de la section de mon école. » Puis le cauchemar a commencé.

Après six mois à son poste, Raji est accusé du meurtre d’un camarade de classe, un ancien ami appartenant au parti adverse. Pris de panique, il fuit et laisse tout derrière lui avant d’être rattrapé par les autorités. Libéré sous caution, il est arrêté un mois plus tard pour violence en réunion. Il nie les faits, puis cède sous la torture avant de fuir à nouveau : « Ils n’arrêtaient pas de me frapper. Je suis parti pour sauver ma vie. » Depuis, sa famille vit sous pression policière. Sa mère, que le jeune homme de 21 ans appelle régulièrement, le conjure de ne pas revenir : « Elle dit qu’ils me tueront. »

Aujourd’hui, Raji est entendu pour la deuxième fois. Lors de sa première audition à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), qui examine les dossiers en première instance, son dossier avait été refusé pour « déclarations non circonstanciées » et « incohérences ». Des raisons « communes » de refus à l’Ofpra, qui rejette près de 80% des demandes d’asile. C’est alors à la CNDA d’évaluer le dossier, de questionner le demandeur et d’annuler, ou non, la décision prise en premier lieu.

La France, une terre d’asile sous conditions

La France est le premier pays à avoir reconnu la valeur constitutionnelle du droit d’asile. Inscrit dans la Constitution de 1793 et rappelé dans le Préambule de la Constitution de 1946, ce droit garanti que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République.»

Un droit utilisé massivement jusqu’à la fin des années 1970, lorsque la procédure d’attribution du statut de réfugié est devenue plus longue et plus tatillonne. Certains exilés sont alors soupçonnés d’emprunter le chemin de l’asile afin de contourner les mesures restrictives en matière d’immigration adoptées pendant la crise économique de 1973.

En 2003, de nouvelles lois restreignent d’autant plus l’asile en transférant la compétence en matière de décision d'attribution du ministère des affaires étrangères au ministère de l'Intérieur, en charge de l’immigration. L’ère est à la suspicion. Il n’est plus question de laisser passer les migrants économiques pour des réfugiés.

Les effets du traumatisme

Entre les lois restreignant l’immigration et le devoir d’accorder un refuge aux exilés, l’étau se resserre et oblige les institutions à intégrer des procédures plus longues dès les années 1980. Pour tester la véracité des témoignages, les questions se précisent, sans devenir un sérum de vérité. Elles ne peuvent tester la bonne foi des demandeurs dont la santé mentale a parfois anéanti les souvenirs.

« Votre demande a été rejeté à cause de contradictions dans les dates, d’un manque de réalisme de votre histoire et d’un certain nombre de contradictions dans votre récit, » déclare le juge assesseur, en charge de la demande de Raji. « Quand êtes-vous entré au parti ? » Raji bégaye, se gratte la tête. Son traducteur répète la question. « Quand j’étais au collège… Au lycée. » Il tremble.

Le magistrat enchaîne: « Quand avez-vous été arrêté par la police ? Qui vous a prévenu que vous étiez recherché ? » Le jeune homme est perdu. « J’ai été arrêté le 6 mai, je crois. C’est ma mère qui m’a prévenu, pendant que j’étais au marché. » Son avocate souffle. Un peu plus tôt dans l’après-midi, dans la salle d’attente où il se trouvait avec deux amis, elle lui avait répété les dates et faits pour qu’il ne répète pas ses erreurs. Le président lui rappelle son témoignage : « Vous aviez dit à l’Ofpra qu’un ami vous avez prévenu le 12 juin et que vous avez été arrêté deux jours plus tard. »

Raji ne parvient pas à répondre convenablement aux questions. Et la situation est fréquente à la CNDA. Parfois, parce que le requérant déguise la réalité, d’autres fois car des épisodes de vie ont été oublié parce qu’ils sont loins, traumatisants ou refoulés.

La santé mentale des demandeurs d’asile

Tous ne développent pas des symptômes dus à la torture. Une partie des souffrances psychiques observée ne relève pas du traumatisme mais est associé à l’environnement et l’accueil, le rejet et le racisme, auxquels les réfugiés sont confrontés sur le chemin de l’exil et lorsqu’ils arrivent en France.
« Ces personnes ont vécu une ou plusieurs expériences terrifiantes qui les ont poussées à quitter leur pays. Leur parcours migratoire est souvent semé d'embuches et ponctué de situations dangereuses ou du moins insécurisantes » explique Marion Béroud, psychologue en charge de l'accompagnement des demandeurs d'asile en situation de détresse, à l’association Espoir d’Asile.

Et l’arrivée en France n’est pas de tout repos : « ces personnes vivent pour commencer une période de grande précarité, souvent extrême, sans hébergement, sans ressource, dans un contexte d'incompréhension liée à la langue et aux codes socio-culturel puis à la complexité de la procédure, » ajoute t-elle.

Pour que la santé mentale des demandeurs d’asile soit prise en compte lors des audiences de la CNDA, les certificats médicaux font office de preuves en ce qui concerne les troubles du sommeil, de l'alimentation ou du comportement. Régulièrement, des ordonnances de psychotropes, d’antidépresseurs et d’anxiolitiques sont présentées à la Cour comme preuve des troubles psychiques des demandeurs. Cependant, la méfiance vis-à-vis des médecins n’est pas des moindres.

Un univers de suspicion

Pour le docteur Claire Mestre, cette méfiance à l’égard des médecins est un frein au bon déroulement de la procédure. Dans un essai publié dans la revue L’Autre, la psychiatre, en charge des exilés souffrant de traumatismes, affirme le lien direct entre stress post-traumatique et incohérence dans le récit.

Le soignant aussi est sous pression. Dans ce contexte particulier, la position du rédacteur du certificat n’est pas autonome. « Les demandes de statut d’étrangers malades évolue dans un contexte très restrictif. Les médecins sont suspectés de ne pas respecter la loi et de faire grimper les chiffres ».
La CNDA assure pourtant qu’aucun quota n’est prévu pour l’Ofpra ou la Cour. Cependant, celles-ci doivent veiller au respect du statut de réfugié afin que les migrants économiques n’en abusent pas.

Pour rassurer le requérant et le mettre en confiance, des huit-clos peuvent être demandé afin de s’assurer que le demandeur parle librement sans craindre de représailles de la part de la communauté ou des familles comme c’est notamment le cas lorsque des jeunes femmes ont  été violées.

Un cadre restrictif

Si le traumatisme est désormais reconnu, les exilés font face à une nouvelle barrière : celle des politiques restrictives en matière d’immigration. Dans son livre « Le droit d’asile », le président de section à la CNDA Jean-Michel Belorgey estime qu’ « on assiste aujourd’hui à un délitement, si ce n’est un dépérissement du droit d’asile » à cause d’un abus des restrictions politiques. D’après le magistrat, le durcissement des procédures est lié « à la volonté des Etats européens, dont la France, de se retrancher derrière des fortifications pour faire obstacles aux migrations venant du Sud. »

Au fur et à mesure que la peur d’être trompé augmente, le récit prend une place plus importante à la CNDA : « Il faut que le demandeur sache décrire ses lieux de détention, leur implantation précise, le nombre de repas qu’on lui a servis, le nombre de passage à tabac ou le type de tortures qui lui ont été infligées (…) faute de quoi il risque de s’entendre opposer que ses narrations sont elliptiques, évasives, stéréotypées, entachées de contradictions ou ne comportant pas d’éléments contextuels convaincants. »

Une politique restrictive, plus de précisions, plus de traumatismes, moins de statut de réfugié accordé : un cercle vicieux qui accentue la vulnérabilité des requérants. Une situation d’autant plus compliquée que le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, est bien décidé à faire passer sa réforme afin que les procédures d’asile soient accélérées. Une requête impossible si l’on accorde réellement le temps nécessaire à chaque demandeur de raconter son histoire.

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