Un rapport sur l'accueil des femmes victimes de violences dormait dans les tiroirs de la préfecture de police. Ce dossier, commandé en 2018 au Centre Hubertine Auclert, a finalement été mis en ligne en toute discrétion. Il dresse un tableau déplorable.
L'enquête date de plus de deux ans. Dans trois commissariats de Paris et de sa petite couronne, "choisis par la préfecture", le centre pour l'égalité femmes-hommes Hubertine Auclert a observé pendant plusieurs mois les conditions d'accueil des femmes victimes de violences. Mais voilà que ce rapport, pourtant commandé par la Préfecture de Paris pour 18.000 euros, ne sort pas publiquement. Longtemps resté confidentiel, il lui aura fallu deux ans pour être mis en ligne face à la pression d'élues, d'associations féministes, et d'un article du magazine Causette. En toute discrétion donc, sans communiqué de presse ni explications, la préfecture de police l'a finalement rendu accessible le 19 janvier dernier.
De nombreux dysfonctionnements
Et au vu des 24 pages de synthèse, on comprend mieux ce silence. Les résultats sont affligeants. "Manque de confidentialité à toutes les étapes du pré-accueil", "posture professionnelle souvent inadaptée face aux difficultés spécifiques des femmes victimes" ou encore "manque de suivi interne des dossiers" : les dysfonctionnements relevés sont nombreux.
Ayant connaissance de ce rapport, l'élue EELV au Conseil de Paris, Raphaelle Rémy-Leleu, avait interrogé le préfet de Paris Didier Lallement à ce sujet le 17 novembre dernier. "Quand comptez-vous publier le rapport ? Il est indispensable pour agir avec méthode, protéger les victimes et assurer aux personnels de police et de gendarmerie que leur travail est pris au sérieux". Le préfet ne répondra pas, comme on peut le voir dans cette vidéo, à partir de 6h21.
En plus de leurs observations de terrain, le centre Hubertine Auclert a pu analyser des procès-verbaux de plaintes, de mains courantes et de comptes rendus d'intervention à domicile. L'analyse montre une prise en charge « très inégale » des plaintes pour violences conjugales. Souvent incomplètes, ces plaintes sont donc des bases de travail difficiles ensuite pour la justice. "Dans 80% des plaintes, le comportement de l’agresseur n’est pas décrit clairement", explique le rapport.
La confidentialité est aussi remise en cause, car ces plaintes sont souvent réalisées dans des bureaux partagées. Les conséquences psychologiques sont aussi régulièrement mises sous le tapis. Dans 44% des cas, aucune question n'a été posée à la victime pour savoir si elle avait peur pour sa vie (ce qui pourrait appuyer la mise en place d'un dispositif « grave danger »).
Un manque de formation
Pour le Centre Hubertine Auclert, le constat est donc clair : dans la majorité des cas, les violences conjugales ne sont repérées qu'en cas de "violences physiques graves". Un constat qui va dans le sens de ces milliers de tweets accompagnés du hashtag #DoublePeine, et du sondage du collectif NousToutes révélant que 66% des victimes de violences conjugales ou sexuelles font état d'une mauvaise prise en charge au moment du dépôt de plainte.
Le rapport émet donc toute une série de recommandations pour améliorer la prise en charge des victimes : salle d'audition confidentielle, utilisation d'une trame de plainte, grille d'évaluation du danger pour protéger la victime ou encore facilitation du lien avec les associations spécialisées… "Nous savions très bien comment ça se passait dans ces commissariats... mais ce qu'il y a de positif tout de même, c'est de voir que les policiers et les gendarmes qui nous ont accueillis étaient demandeurs de formation", souligne Marie-Pierre Badré, la présidente du centre Hubertine Auclert.
"Un nouveau rapport va être commandé"
Et à Marie-Pierre Badré de pointer du doigt la défaillance de l'Etat sur cette question : "nous avons eu des enveloppes de 200.000 euros de la Région Ile-de-France pour effectuer des formations. C'est très bien... mais ce n'est pas à la région de s'occuper de ça. Le ministère de l'Intérieur devrait assumer un minimum de formation".
Contacté de son côté, la préfecture de police de Paris nous renvoie à son compte Twitter. Dans une série de tweets, l'institution affirme que "ce rapport ne décrit pas la réalité actuelle de la prise en charge dans les commissariats parisiens" et qu'un "travail de fond" a été réalisé depuis.
La préfecture ajoute qu'un nouveau rapport sera commandé au centre "afin de mesurer l'évolution des dispositifs et ses effets". Il faudrait actualiser le dossier en somme... En espérant que celui-ci ne soit pas à nouveau mis au placard.