Appel du 18 juin : " Ma mère est la première femme à avoir rejoint de Gaulle "

En juillet 1940 quelques jours après avoir entendu le Général de Gaulle appeler les Français à le rejoindre à Londres, Mathilde Bravery fut la première femme à s’engager dans les Forces Françaises Libres. A 88 ans sa fille raconte son histoire. 
 

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Des histoires de résistants de la Seconde Guerre Mondiale, il en existe des centaines sur les étagères des libraires. Des vies de personnes en apparence ordinaires, dont la force de caractère, le destin, le courage ont hissés au rang d’extraordinaires. Cette histoire ci n’a jamais été racontée dans les livres, uniquement à des proches, des membres de la famille, dans quelques revues d’anciens combattants. Un choix délibéré car « le devoir à la Nation » n’a pas besoin de publicité estimait Mathilde Bravery. Le 1er juillet 1940, elle est la première femme à avoir rejoint les Forces Françaises Libres à Londres aux côtés du Général de Gaulle.

Mai/Juin 1940 : de Paris à Bordeaux

Quelques mois plus tôt, au printemps, Mathilde Bravery est en charge du secrétariat bilingue dans la société d’import-export Mezière et Compagnie. Elle habite à Saint-Cloud (Hauts-de-France) avec sa fille, Tilly, et son mari Charles Herbert Bravery, officier anglais engagé dans la Cavalerie britannique lors de la guerre de 14-18, et devenu expert-comptable par la suite. Le couple s’était rencontré dans la Somme lors de la Grande Guerre. La mère de Mathilde faisait des crêpes pour les soldats qui partaient au front, parmi ces militaires, Charles, qu’elle épouse en 1920.

 

 

Pressentant la capitulation de Paris et craignant d’être emprisonnés à Fresnes en tant que binationaux, les Bravery quittent Paris pour rejoindre Bordeaux vers fin mai 1940. A ce moment, Tilly Bravery a 8 ans. Elle se remémore 80 ans après ce voyage décidé en quelques instants par sa mère : "mon père avait déjà été muté à Bordeaux, ma mère est rentrée à la maison et m’a dit ‘on part’, elle a pris une valise déjà prête, fermé la maison, mis la clé sous un vase, et nous avons pris la route pour Bordeaux"

 

 

Avec la débâcle militaire sur le front de l’est, des millions de réfugiés convergent vers la Gironde. "On parle d’encombrements aujourd’hui mais ce n’est rien par rapport à ce qu’on a vécu à ce moment. C’est inimaginable. Vers Poitiers je suis descendue de la voiture pour acheter à manger, j’ai cru ne pas retrouver maman tant il y avait de voitures". Si les souvenirs sont parfois flous, un détail accompagne chaque récit de Tilly Bravery, l’amour et l’admiration envers sa mère qui aura tout fait pour elle et pour la patrie.

Arrivée à Bordeaux, après 28 heures de route, Mathilde Bravery écrit une lettre à sa sœur restée à Alfortville, pour lui expliquer les conditions de leur départ : "Je suis partie précipitamment, je n’ai même pas eu le temps de me changer et je pensais pouvoir téléphoner au Café Lavigne, comme j’avais déjà fait. Malheureusement celui-là ne fonctionnait plus et je n’avais pas eu le temps de vous mettre un télégramme, car il faut les porter au Commissariat de Police où on fait une queue infinie. Dans tous les cas, Mr. Mezière m’a emmené en voiture jusqu’à Bordeaux. Tout le derrière de la voiture était chargé avec les affaires du bureau. Le dessus avec les valises. J’ai eu Tilly sur les genoux tout le temps. J’en ai encore des marques aux cuisses. Mes jarres, elles m’étaient rentrées dedans".

 

 

Juin 1940 : de Bordeaux à l'engagement avec le Général de Gaulle

Quelques jours plus tard la famille embarque à bord d’un charbonnier avec des réfugiés polonais, belges, français, anglais pour rejoindre l’Angleterre. "Je ne me souviens pas de la durée du voyage, mais je sais que je suis restée debout, tassée, les joues complètement abîmées par le sel de la mer", raconte Tilly Bravery.

Arrivée à Falmouth, dans le sud-ouest de l’Angleterre, la famille est mise dans un camp de réfugiés britanniques. Après quelques contrôles les Bravery sont autorisés à quitter le camp et décident de se séparer. Charles va à Liverpool rejoindre son ancien régiment de King Edwards Horse, Mathilde et Tilly se retrouvent à Malden à la périphérie de Londres. Seules, sans rien, la mère et la fille sont logées par des habitants de la ville

 

Fin juin, à la sortie de l’église Mathilde rencontre la vicomtesse de Lapanouze, présidente du comité de Londres de la Croix Rouge française, qui la met en contact avec la résistance naissante à Londres. Nous sommes quelques jours après l’appel du 18 juin du général de Gaulle, Mathilde est présentée à Émile Muselier, amiral français qui vient tout juste de rallier Charles de Gaulle à Londres. 

 

 

Le 1er juillet 1940 elle est la première femme engagée volontaire dans les Forces Françaises Libres. Son état de service indique qu’elle est affectée au Cabinet militaire de l’Amiral Muselier en tant que « secrétaire sténo-dactylo bilingue », jusqu’en 1941 quand elle est promu « chef du service des télégrammes des F.N.F.L Londres » dans le quartier général de la France Libre au 4 Carlton Gardens.

 

 

Engagée selon ses mots pour « la construction de la paix », Mathilde Bravery côtoie régulièrement le Général de Gaulle dont elle admire la détermination et la force de caractère. Un sentiment de respect qui ne la quittera pas jusqu’à sa mort  le 21 juillet 1992.

 

 

Son action pour la France Libre la fera rester à Londres sous les bombardements. Une époque dont sa fille se souvient très bien. Scolarisée chez les religieuses, elle se remémore ces bombes qui tombaient nuit et jour : "c’est indescriptible. Il faut le vivre pour savoir ce que c’est. Nous étions entassés dans des refuges et maman passait quand elle pouvait en voiture juste pour voir si l’école était encore debout".

 

 

 

1943 : De Londres à Alger

En septembre 1943, après le débarquement allié en Afrique du Nord, la famille Bravery part en Algerie. Elle est une nouvelle fois contrainte de se séparer. Charles est affecté à Philippeville (aujourd’hui Skikda) à 471 km d’Alger. Mathilde est chargée de constituer les futurs Services féminins de la flotte (SFF) de la Marine à Alger. Des femmes recrutées par voix d’appel ou d’engagement. Après une formation de six semaines, ces volontaires devenaient secrétaires, infirmières, ambulancières, radiotélégraphistes, écouteuses de fond, chiffreuses, couturières… Le groupe comptera 2800 femmes à la fin de la guerre. Tilly est quant à elle scolarisée à Kouba, dans la banlieue sud-est de la capitale.

 

 

Mathilde restera en poste un an avant de rentrer à Paris en septembre 1944. Un retour chaotique, marqué par une séparation douloureuse, dont le récit est encore source d’émotion pour sa fille. 

 

 

1944 : le retour à Paris

Réunis en France fin 1944, ils découvrent que leur maison de Saint-Cloud a été occupée par des collaborateurs. Les Bravery ne peuvent plus rentrer chez eux.

 

Mathilde reste engagée comme officier principal commandant des services féminins de la Flotte jusqu’en 1949. Elle se consacre finalement activement au secrétariat des F.N.F.L.  jusqu’en 1976.

Médaille de la résistance en 1946, Médaille de la France Libre et des Engagés Volontaires de la guerre 39/45, Croix de Chevalier de la Légion d’Honneur en 1951, Croix d’Officier de l’Ordre National du Mérite… autant de récompenses dont elle ne parvient pas à se glorifier. Tel un mantra elle n’aura de cesse de répéter à sa fille qu’elle n’avait fait "que son devoir". "En ça je pense qu’elle tenait la même rigueur que le général de Gaulle avec son fils. Il y avait une forme de distance quand je l’encourageais à savourer ces instants de gloire. Elle me disait sans cesse qu’elle n’avait fait que son devoir et l’argument était clos"

 

 

 

Si le chemin de Mathilde Bravery et du Général Charles de Gaulle se sont séparés après les années passées à Londres, elle aura toujours éprouvé une forme de nostalgie de ses années. Une période unique de l'histoire, en pleine guerre, sous les bombardements constants mais avec l'objectif de libérer la France puis le monde de la tyrannie. 

 

 

 

 

En 1952, Tilly Bravery est embauchée à l'Unesco. Au cours de sa carrière elle a eu l'occasion de revoir une fois le Général de Gaulle. En 1966, le Président de la République y prononce un discours à l'occasion du vingtième anniversaire de l'Organisation. Face à elle, le Président ne dira pas un mot.  

 

 

Durant ces années, Tilly n’aura de cesse de "gâter" sa mère. Des voyages autour du monde, un Paris-Rio à bord du Concorde pour voir le Carnaval "c’était ma manière de lui dire merci". Près de 30 ans après son décès, le courage de Mathilde résonne encore dans les mots de la fille. Rarement une famille aura porté aussi bien son nom, Bravery, courage en anglais. 

 

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