La municipalité de Plogoff dans le Finistère a pris un arrêté interdisant l'accès à une partie du site de la pointe du Raz, en raison de la présence de pétrole dans un bunker de la seconde guerre mondiale. Ces déchets d'hydrocarbure proviennent du pétrolier le Boehlen qui avait fait naufrage en 1976 au large d'Ouessant.
Ce 31 décembre, Joël Yveno, maire de Plogoff, appose sa signature sur un arrêté municipal. Le document interdit l’accès du public à un bunker de la pointe du Raz. " Il y a des déchets d’hydrocarbure stockés en 1976 et 1977, donc on met en sécurité cette zone pour éviter que le public y ait accès" explique l’édile.
Dans la journée, des rubalises et des panneaux d’interdiction devaient également être posés à proximité des lieux.
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Des centaines de tonnes de pétrole enfouies dans les bunkers
À l’intérieur de ce bunker, se trouve, en effet, une quantité non négligeable de pétrole. Celui-ci provient du pétrolier le Boehlen, qui avait fait naufrage au large de la pointe en 1976.
En mai 1977, face à l’ampleur de la marée noire, et à l’impossibilité d’incinérer la trop grande quantité de pétrole récupéré sur le littoral, l’administration décide d’enfouir les centaines de tonnes d’hydrocarbure dans différents sites désaffectés, comme des carrières ou des bunkers.
Environ 120 tonnes d’hydrocarbure, ainsi que le matériel utilisé pour son extraction, ont notamment été déposés dans le bunker de la pointe du Raz.
Connus de tous les témoins de cet épisode dramatique, ces déchets n’ont depuis jamais été traités. Et les bunkers étaient encore accessibles à ceux qui s’y aventuraient.
Si ces dépôts sont anciens, leur histoire et les problèmes environnementaux et sanitaires qu’ils posent, sont revenus sur le devant de la scène après la publication d’un article dans le quotidien Le Télégramme en ce début de semaine. Celui-ci révèle que le sol du bunker "est recouvert d’un mazout noir et visqueux".
Une mauvaise publicité pour ce site naturel classé "grand site de France" et géré par le conservatoire du littoral.
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Réaction des administrations
Suite à ces articles, la préfecture ainsi que le conservatoire du littoral et le département du Finistère ont tenu à réagir dans un communiqué de presse, ce 30 décembre :
"Les autorités tiennent à rappeler que des lieux de stockage de pétrole issus de différentes marées noires existent dans toute la Bretagne. Le BRGM (bureau de recherches géologiques et minières) a recensé l’ensemble des sites connus. Ces informations sont en libre accès sur internet."
Le BRGM met, en effet, à disposition du public des informations sur les pollutions des sols. Ils sont consultables sur le site georisque.gouv.fr.
Des associations, en particulier Les Robins des Bois, ont également édité des cartes, recensant les lieux de stockage des déchets pétroliers des différentes marées noires. C’est d’ailleurs grâce aux actions menées par ces militants écologistes et aux différentes plaintes déposées, qu’un inventaire sur les déchets dangereux avait été mené en 2009.
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Dangerosité du site ?
Concernant la dangerosité du site, le communiqué des autorités indique : " le site avait été jugé inaccessible. Face au risque pour les promeneurs d’accéder à un site par ailleurs dangereux du fait de sa topographie, le maire de Plogoff interdira demain [31 décembre, NDLR], l’accès par arrêté et pose de barrière."
Aucune mention n’est cependant faite de l’éventuelle toxicité des matières présentes.
Nicolas Tamic, directeur adjoint du CEDRE (Expert en pollutions accidentelles des eaux) explique ne pas avoir été sollicité pour intervenir sur ce site. Il précise donc ne pas le connaître, mais estime que 50 ans après son dépôt, " les fractions volatiles du pétrole, et ce qui est dangereux, ont vraisemblablement disparu".
Pour autant, aucune affirmation sur la non-dangerosité de ces déchets n’est possible, avant d’avoir procédé à des analyses précises.
Dans leur communiqué, la préfecture, le département et le conservatoire du littoral précisent cependant que " la gestion de ces sites pollués se fait au regard de l’usage qui en est fait. La Préfecture, le Conservatoire du littoral, propriétaire du site, et le Département, qui, à compter du 1ᵉʳ janvier 2025, en reprendra la gestion, s'associeront avec la mairie début 2025 pour réaliser une première évaluation technique de la dangerosité de ce stockage pour les promeneurs et l’environnement avant de prendre toute décision ".
Un autre site, celui de Men Tan, déjà fermé au public
Cette affaire est directement liée aux différends qui opposent la mairie de Plogoff à l’ASPH Men Tan, l'association de sauvegarde du patrimoine historique du Men Tan.
En effet, cette dernière s’est émue la semaine passée d’un premier arrêté municipal interdisant l’accès à Men Tan, un autre site côtier de Plogoff.
Un site que les bénévoles de l’association ont entrepris de nettoyer il y a un an et demi, pour le rendre accessible au public. À cette occasion, ils ont même mis au jour des vestiges inconnus des historiens.
À l’été 2024, le projet a pris de l’ampleur et l’ASPH a organisé différentes visites de quelques-uns de ces vestiges, dont un des bunkers qui abrita le plus grand système radar de la seconde guerre mondial. Pas moins de 3000 personnes sont ainsi venues découvrir ce lieu insolite.
C’est à ce moment-là que les relations se sont envenimées avec la municipalité, gestionnaire de cet espace. Celle-ci a voté en novembre la fermeture du site de Men Tan. "Nous avons pris cet arrêté en concertation avec la Préfecture pour assurer la sécurité en attendant de clarifier qui fait quoi sur ce site. On n'est pas là pour tout bloquer, mais aujourd'hui, si quelqu'un se blesse sur place, c'est le maire qui est responsable", se défend Joël Yvenou.
À cette interdiction, l’association du Men Tan avait répondu, devant des journalistes : "Pourquoi fermer le MenTan ? On l’a dépollué et sécurisé. Allez faire un tour à la pointe du Raz, la situation est bien plus critique. On entre dans les blockhaus comme dans un moulin et ils contiennent du pétrole du Boehlen."
Nos confrères du Télégramme sont effectivement allés sur place et ont pu se rendre compte de la réalité de la situation. Le pétrole glissé sous le tapis il y a 50 ans et un peu oublié là, vient subitement de remonter à la surface.