Le principal syndicat des infirmières de l'Education nationale organise ce mardi un "Congrès nationale extraordinaire" afin de faire entendre la voix de ces professionnels, à majorité des femmes. Des actions sont également prévues devant les rectorats dans l'après-midi.
Après 9h de travail, Samia, 46 ans, vient de finir une journée harassante. 45 élèves sont venus la consulter dans le collège où elle travaille à Noisy-le-Grand (Seine-Saint-Denis) — dépendant de l’académie de Créteil. Samia est infirmière à l'Éducation nationale, l’une des 1300 que compte l’Île-de-France.
"Je m’occupe de 2000 élèves, de la maternelle à la 3e", raconte celle qui est également secrétaire départementale du SNICS-FSU, le syndicat majoritaire des infirmières de l'Éducation nationale. Elle exerce son métier depuis 2005… soit depuis 17 ans. Elle y décrit son quotidien : "tous les maux de la société reviennent en boomerang au sein de nos établissements. Chaque fois qu’on ouvre notre porte, on ne sait pas quelle situation on va découvrir au travers d’un maux physique ou psychique. C’est comme aux urgences".
Nous sommes là pour accueillir les élèves, les écouter, les orienter et les soigner.
Samia
Et face à tout cela "il faut qu’on soit sacrément équilibrés (psychologiquement, ndlr)", ajoute-t-elle. Car être infirmière dans un établissement scolaire ne se résume pas à donner un médicament pour un mal de tête ou guérir les bobos commis durant la récréation.
"On voit de tout : des violences physiques et verbales, des rumeurs poursuivant certains élèves, des enfants témoins de violences conjugales, des idées suicidaires à répétition, du visionnage de films pornographiques, voire de la prostitution via les réseaux sociaux…", liste Samia, indiquant que "sans interlocuteur, ces situations ne sont peut-être pas abordées, traitées. Nous sommes là pour accueillir les élèves, les écouter, les orienter et les soigner". Les infirmières de l'Éducation nationale dispensent aussi des actions de prévention à l’égard des élèves et étudiants : la lutte contre l’homophobie et le harcèlement, les informations sur la contraception, les notions de consentement ou encore internet et ses dangers.
"Valise roulante"
Samia est cependant confrontée, comme beaucoup d’autres infirmières scolaires, à des difficultés sur le terrain "pour assurer un suivi correct et régulier des jeunes qu’on a pris en charge, notamment du fait d’un manque de moyens. Une urgence en chasse une autre. C’est une situation qui n’est pas tolérable. Ce qui nous manque, ce sont des créations massives de postes". Prenant l’exemple de l’Académie de Créteil, elle explique qu’"on a tendance a redéployer plutôt que de créer un poste". "Cela entraîne une perte de sens. Une souffrance au travail. On a l’impression de colmater, de saupoudrer, au lieu de faire un vrai travail de suivi", martèle-t-elle.
Samia évoque par ailleurs les "problèmes de formation" des infirmières de l'Éducation nationale et des outils. "J’ai pas d’imprimante ou d'accès à la photocopieuse. Je dois trimbaler un ordinateur portable tous les jours. Je suis obligée d’avoir une valise roulante avec tous mes avis infirmiers, mes documents. Je n'ai même pas un clou pour fixer des affiches ou le tableau des examens pour la vue. On travaille de façon nomade et assez précaire", indique-t-elle.
"Congrès national extraordinaire"
Devant cette situation, les infirmières de l'Éducation nationale ont décidé de faire entendre leur voix. Dans un communiqué, le SNICS-FSU les appelle à se réunir en "en congrès national extraordinaire", dans la matinée de ce mardi 22 mars. Ce congrès prend la forme d’une conférence de presse en visioconférence. Elle rassemble plusieurs autres syndicats de l’éducation tels que le VL, l’UNEF, la FCPE, FSU mais aussi des "experts".
Le SNICS-FSU a également appelé à des actions devant les rectorats dans l’après-midi pour l’Île-de-France : les académies de Paris, de Versailles et de Créteil. Elles "visent à demander des moyens supplémentaires de manière à pouvoir répondre aux besoins des élèves", précise Sylvie Magne, secrétaire générale adjointe du syndicat SNICS-FSU. Les infirmières dénoncent un manque de moyens "alors que les besoins explosent". "Alerté depuis de nombreux mois, le gouvernement se refuse à mettre en œuvre un véritable plan d’urgence pour l’école", poursuit le communiqué du SNICS, ajoutant que "la santé physique et psychique des jeunes se dégrade et avec elle l’avenir de notre société."
Un état de santé qui s’aggrave
"Nous demandons plus de moyens pour pouvoir renforcer les consultations infirmières dans les établissements scolaires. Nous avions réalisé 18 millions de consultations à la demande des élèves d’après des statistiques de 2018/2019. Donc on voit qu’il y a une demande", explique Sylvie Magne, secrétaire générale adjointe du syndicat SNICS-FSU. Elle indique que "toutes les études montrent que l’état de santé des élèves s’est aggravé avec la crise sanitaire, la guerre en Ukraine et d’autres éléments anxiogènes".
Nous demandons des créations massives de postes. Mais pour cela, le métier doit être attractif. Or, nous sommes parmi les infirmières les moins bien payées de France.
Sylvie Magne, secrétaire générale adjointe SNICS-FSU
Devant cette situation, "on demande qu’il y ait à minima un poste d’infirmier par établissement de façon que les élèves aient accès à cette possibilité-là. On est au plus près de leur lieu de vie et nous sommes parfois le premier recours quand l’accès aux soins est difficile", ajoute la secrétaire générale adjointe du SNICS. "Nous demandons des créations massives de postes. Mais pour cela, le métier doit être attractif. Or, nous sommes parmi les infirmières les moins bien payées de France", ajoute-t-elle.
Selon les chiffres avancés par le syndicat, le salaire "moyen" d’un ou une infirmière scolaire est de 1331 euros par mois, soit 15 972 euros par an. Des chiffres différents de ceux avancés par l'Education nationale sur son site internet. "On voit des collègues qui quittent l’Education nationale ou ont cherché ailleurs parce que les conditions de travail se sont dégradées et que les salaires ne suivent pas".
Autre revendication, "la création d'un master infirmière - conseillère de santé (ICS) au sein des INSPE, qui permettrait la reconnaissance de la spécialité infirmière à l'Education nationale", ajoute Samia.