Le télétravail, la vie de couple, l’école à la maison... Notre vie de confiné a été passée au crible par une multitude de vidéos sur les réseaux sociaux. Mais qui se cache derrière ces images? Et comment interpréter ce foisonnement de vidéos qui nous ont fait souvent rire ?
Enfermés entre 4 murs et pour beaucoup, accrochés à nos téléphones portables, elles nous ont fait sourire ou rire, échapper à notre quotidien ou nous sentir un peu moins seuls partageant les mêmes vicissitudes. Une multitude de vidéos a été partagée sur les réseaux sociaux pendant le confinement.
Le télétravail selon Hugues Lavigne
Sa vidéo sur le télétravail nous a fait mourir de rire. Avec plus de 5 millions de vues, elle a fait le tour des réseaux sociaux et même des plateaux télé. Son créateur : le comédien Hugues Lavigne, ancien géo et animateur dans des clubs de vacances. « C’est là que j’ai découvert la scène, et que je me suis dit, il faut que j’en fasse mon métier » explique t-il. Installé à Paris, il suit les cours de l’EHAS, l’Ecole d'humour et arts scéniques. Lauréat de plusieurs concours d’humour, il se fait peu à peu connaître.Avec l’épidémie, retour au bercail pour cet humoriste de 28 ans. Pas question d’arrêter de travailler. « Je me suis mis au télétravail en fabriquant des vidéos ». Sa mère, son père, son frère. Toute la famille a été mise été à contribution : maquilleur, cadreur, assistant, accessoiriste, comédiens. « Ma mère a été derrière et devant la caméra ! et là, ça a été compliqué ! Elle veut toujours faire sa grande actrice » ! rit-il. « De vrais moments de rigolades et de partage familial », confie-t-il.Confiné dans ma famille, c’était une nécessité de continuer
Apéro skype, retour des enfants à l’école, exploration de la faune ménagère, l'ennui, le confinement en famille… Hugues Lavigne a partagé son quotidien. Notre quotidien. Mais derrière ces éclats de rire, il y a beaucoup de travail. Pas de place à l’improvisation. « Je n’improvise pas, tout est écrit à l’avance. Les textes sont ficelés. Tout comme la lumière, les cadrages ou le bruitage », détaille t-il. « Pour la vidéo du télétravail, j’ai observé ma mère qui y était elle-même. Il a fallu s’approprier un vocabulaire que je ne connaissais pas forcement ».
Retrouvez d'autres vidéos de Hugues Lavigne sur son compte Facebook
Pour lui, le confinement a été moment riche, professionnellement et émotionnellement avec ses parents. « Nous n’avions jamais vécu une situation comme celle-ci et il fallait en tirer le maximum et bien évidement en rire ».
Aujourd’hui, il prépare son prochain spectacle qui sera joué à l’Apollo Théatre à Paris cet automne dès que les théâtres pourront rouvrir. Ses vidéos lui ont également permis de rejoindre une émission jeunesse diffusée par France Télévision : Allo Okoo.
Les détournements des Creustel
Les Creustel, comme on les appelle, contraction de leurs 2 noms respectifs, Marion Creusvaux et Julien Pestel nous ont offert sur les réseaux sociaux de vrais petits bijoux de créativité et de rire. Comme celui-ci, un détournement du film de Steven Spielberg, Jurassic Park.La bonne idée des Creustel : parodier des scènes de films populaires. La Boom, Manon des sources, Le Parrain 2, Independance day, Lalaland et Mary Poppins pour finir cette longue série, vidéo parue le jour du déconfinement. « On avait très envie de faire des détournements depuis longtemps et le confinement nous en a donné l‘occasion » explique Julien Pestel. « Nous nous sommes confinés avec notre petite fille et notre micro », ajoute Marion Creusvaux.
Ses deux comédiens parisiens se sont donc lancés dans la réécriture et le doublage d’extraits de films populaires et nous ont offert au total 42 pastiches partagés sur Instagram. (@Creustel) « On cherchait des scènes cultes, que l’on découpait en 1 minute, le format Instagram. Puis on écrivait les dialogues en fonction de la détection labiale. Après chacun notre tour, nous doublions les scènes ». Au total, 5 heures de travail par vidéo sans oublier le bruitage le mixage et les biberons de leur petite fille!
« Elles n’étaient pas destinées à avoir autant d’audience. On a ouvert un compte instagram sans trop d’ambition. C’est là que nous avons posté nos petites bêtises. Nos amis les ont vues en premier et rapidement, elles se sont propagées. Aujourd’hui 350 000 personnes nous suivent » s'amuse Julien Pestel !Au début, les vidéos n’étaient destinées qu’aux copains.
Certaines d’entre elles ont été saluées par "les vrais acteurs" comme Hyppolite Girardot qui donne la réplique à Emmanuelle Béart dans Manon des Sources !
"Je pense que ces vidéos ont fait du bien aux gens qui étaient confinés qui avaient beaucoup moins accès à la culture, au théâtre, au cinéma. Je pense aussi à ceux qui était tout seul chez eux. Cela a permis d’avoir la possibilité de rire de cette situation. Une sorte d’exutoire.
Les Creustel déconfinés vont continuer à nous faire rire, ils produiront un détournement inédit dans l’émission "Je t’aime etc" de Daphné Burki.
3 questions à Dominique Wolton, directeur de la revue internationale Hermès (CNRS), Directeur de recherche au CNRS en sciences de la communication.
►Comment expliquer la profusion des vidéos qui ont été partagées sur les réseaux sociaux pendant le confinement ?
Je pense que ces vidéos sont une manière de se réapproprier la réalité. Les nouvelles étaient mauvaises, angoissantes. L’humour a été un moyen d’introduire de la distanciation. L’invention est un court-circuit ! Dans cette situation angoissante face à ce déferlement d’informations de toute nature et souvent contradictoires, la création de petites scénettes plus ou moins drôles ou intelligentes ont été un moyen de se réapproprier la réalité en disant, « on ne fait pas que subir. On est aussi acteur ».
►Les vidéos ont elles été un moyen de se montrer d’être vu, et de poursuivre des relations sociales inexistantes en raison du confinement ?
En effet ! Premièrement, cela signifie, j’existe. Deuxièmement, cela signifie également comme je l’ai dit précédemment que l’on peut faire autre chose que subir et le virus et les informations. Même enfermés, nous avons la capacité d’inventer, de créer, de « se décaler » et engendrer d’autres relations sociales. C’est un échappatoire.
L’humour comme rempart au désespoir ?
Oui, l’humour est l'un des remparts au désespoir. Au-delà de la situation actuelle, dans les régimes totalitaires, je dis souvent qu’il faut étudier les formes d’humour. Quand il n’y a plus de libertés publiques comme dans les dictatures, l’esprit critique se manifeste par l’humour. C’est très important de prendre en compte les mille formes de résistance et de créativité qui s’expriment.