Dans le doublage : "Il faut savoir faire passer les émotions et surtout conserver le sens de ce qui est raconté"

France 3 Paris Île-de-France consacre une série d’articles sur les coulisses du doublage des films en français. Pour celui-ci, nous avons rencontré l’une des grandes voix françaises du doublage : Féodor Atkine.

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D’origine russo-polonaise, polyglotte, il est devenu un comédien à succès, tant au théâtre qu’au cinéma.

Né à Paris, il a joué devant les caméras des plus grands réalisateurs : Pedro Almodovar, Woody Allen, Sydney Pollack, Eric Rohmer ou encore Claude Lelouch. Mais c’est surtout dans le doublage que le grand public l’a découvert. Les cinéphiles l’auront entendu dans les sagas du Seigneur des Anneaux, du Hobbit ; dans des films comme Full Metal Jacket, V pour Vendetta, ainsi que certains opus de l’Univers cinématographique Marvel (MCU). Les plus jeunes, dans Aladdin. Les amateurs(trices) de série, dans Dr House. Une voix grave, ronde et chaude, qui a le don de maintenir l’attention de son auditeur. C’est celle de Féodor Atkine, 73 ans, un acteur comédien aux mille visages. France 3 Paris Île-de-France l’a rencontré à Vincennes, dans le Val-de-Marne.

Comment en êtes-vous venu à faire du doublage ? 

J’ai atterri dans ce domaine tout à fait par hasard. Il m’était arrivé dans les années 70, une seule fois, de doubler un film d’Éric Rohmer, avec lequel j’ai travaillé à plusieurs reprises par la suite. Il m’a alors demandé de doubler ‘La marquise d’O’. Il était venu me voir au théâtre et il avait trouvé que ma voix correspondait avec le personnage de Bruno Gantz, un formidable acteur allemand. Et c’est tout. Pendant quinze ans, j’ai fait du théâtre, du cinéma de la radio, mais pas de doublage. Et un jour, une comédienne, très connue dans les années 50-60, Perrette Pradier, est venue voir au théâtre une pièce dans laquelle je jouais. Elle m’a ensuite appelé pour que je passe des essais sur un doublage. Elle m’a dit ‘ça va être super !’. Elle me dit de rentrer dans le studio, m’accrocher à la barre, et m’a expliqué comment procéder. C’est là qu’elle me dit que c’est un dessin animé pour Disney, et que pour que le réalisme passe dans ce genre de film, il faut que la prestation soit très exagérée à l’enregistrement. J’en ai fait des tonnes. Je suis sorti en nage du studio et elle m’a dit : ‘Non Feodor, tu n’as pas compris. J’ai dit qu’il faut en faire des tonnes !’. Le film, c’était Aladdin, et je doublais le personnage de Jafaar. Le film a été un succès incontestable. Et c’est comme ça que tout a commencé.

Qu’est-ce qu’un bon doublage?

C’est un doublage qui ne s’entend pas. On doit avoir l’impression que le film que vous regardez a été tourné originellement en français. D’ailleurs, la France a le meilleur système de doublage à l’échelle mondiale. Dans d’autres pays, la synchronisation par rapport aux lèvres de l’acteur qu’on double existe très peu, ou pas du tout, comme en Italie.

Quelles sont les qualités principales indispensables pour un acteur qui fait de doublage selon vous ?

Je dirais la patience, la gourmandise, le plaisir qu’on a à jouer avec les mots et les inflexions, être téméraire également, ne pas avoir peur d’essayer de nouvelles choses et aussi, être authentique.

Y a-t-il un doublage qui vous a marqué ?

Ne citer qu’un doublage est impossible. Il y a par exemple, effectivement, le film emblématique devant lequel tous les comédiens qui pratiquent le doublage ‘bavent’, qui est V pour Vendetta, notamment avec la tirade de présentation avec tous les mots en V. Mais il y a beaucoup d’autres films que j’ai appréciés.

En tant qu’acteur, on est souvent amené à se mettre en immersion pour incarner un personnage. Qu’en est-il au moment de doubler d’autres acteurs ? Y a-t-il une méthodologie ou une stratégie à adopter ?

On m’a confié le doublage d’acteurs américains ou étrangers que je double de façon récurrente, et aucun n’a la même voix. Je me focalise la plupart du temps pour trouver des éléments qui caractérisent la voix du personnage. C’est par exemple le cas pour William Hurt, qui parle avec un léger voile sur la voix. Il faut savoir faire passer les émotions et surtout conserver le sens de ce qui est raconté. Comme je parle un certain nombre de langues, parfois je m’énerve à la barre parce que je perçois les différences entre ce qui est dit à l’écran en version originale et ce qui est écrit dans la bande rythmo. Et je dis ‘attendez, mais je ne peux pas dire ça. C’est un contre-sens, ce n’est pas juste’. Pour des blockbusters qui nécessitent un travail en amont, il y a parfois une projection avant le travail de doublage. Mais ce n’est pas toujours le cas. Dans l’immense majorité des cas, on arrive et on ne sait pas ce qu’on va doubler. Et depuis quelques années, pour pallier les dangers du piratage, les films ne sont pas montrés, et très souvent dans les studios, la copie qu’on reçoit est barrée par un énorme bandeau sur lequel figurent des noms. Et c’est gênant, car parfois il y a une lettre qui brouille le visage de l’acteur qu’on double, et là c’est embêtant.

Il faut faire attention toutefois à ne pas pénétrer d’une façon totale un personnage jusqu’à se confondre avec lui. Ça peut être dangereux. On est alors dans le psychodrame. Ce n’est pas notre métier. Notre métier, c’est incarner, jouer un rôle. Tout est dit.

Qui commande sur un plateau de doublage ?

Généralement, c’est le DA (directeur artistique), qui prend les décisions. Pour qu’il y ait une sorte de cohésion et de cohérence entre le travail de chacun des acteurs — puisque le DA a une vision d’ensemble de l’histoire — je me plie à ce qu’il ou elle me dit. Parfois il m’arrive d’émettre un avis bien entendu. Et surtout, je fais très attention aux réactions de l’ingénieur du son, qui est le premier spectateur de ce qu’on est en train de faire, mais qui est aussi capable de magnifier ou détruire un boulot.

On a vu que des acteurs reçoivent une rémunération (parfois très) importante. Est-ce le cas aussi pour les acteurs de doublage ? 

Bien sûr que non. Il n’y a pas de relation de cause à effet entre le travail des comédiens qui pratiquent le doublage et les acteurs qui ont travaillé à l’écran. Il arrive, que pour des productions d’une certaine qualité, quand il s’agit non pas d’une série mais d’un film et en particulier un Blockbuster, et que l’acteur en question ne peut pas être doublé par quelqu’un d’autre, parce que les gens ont le son de la voix française dans l’oreille — comme celle du regretté Jacques Franz pour Robert De Niro ou Mel Gibson —, on fait un contrat gré à gré avec le distributeur du film. Mais on ne va pas toucher un million de dollar. Il faut par ailleurs savoir que les comédiens de doublage sont payés à la ligne.

Avez-vous un sentiment d’avoir des liens avec les acteurs que vous doublez ?

Il y a un rapport oui, mais qui est plus avec le personnage qu’avec l’acteur en lui-même. J’aurais plus tendance à être proche de Jeremy Irons, mais jusqu’à un certain point. Au-delà de ça, ça serait de la complaisance. 

Avez-vous déjà rencontré les acteurs que vous doublez (William Hurt, Hugo Weaving, Ben Kingsley, Hugh Laurie…) ? 

Non surtout pas. Il ne faut jamais rencontrer ses idoles. On m’a proposé à plusieurs reprises de rencontrer Hugh Laurie (Dr House), normal après 182 épisodes ! J’ai une grande tendresse pour cet acteur. Mais ce n’est pas possible. Je tournais un film néo-zélandais. Et la productrice, très liée au domaine de l’édition, me convie à un déjeuner avec un certain nombre d’auteurs connus dont Louis Aragon. Je venais de finir les cahiers du surréalisme. Pour moi c’était un monument absolu. Je me suis dit que des roses et des peintures célestes allaient sortir de la bouche de cet homme. Je me suis assis. J’étais quasiment face à lui. Et ce monsieur a parlé pendant une heure et demie de ses problèmes de prostate. Il y avait beaucoup moins de charme ! A partir de ce moment-là, je me suis dit que je ne rencontrerais plus aucun personnage que j’admire parce que je ne veux pas briser le mythe ou salir l’image de cette personne. Le seul que j’ai rencontré, pour des raisons professionnelles, c’était William Hurt, à qui j’apprenais à parler en français avec un accent russe pour un rôle qu’il devait jouer. J’étais alors en plein tournage d’un film Néo-Zélandais.

Féodor Atkine a accepté de se livrer une improvisation d’un personnage qu’il a doublé. Après réflexion, il a choisi le personnage de V, dans le film « V pour Vendetta ». Ladite scène de la tirade — évoquée plus haut — avec une multitude de mots en « v ». A retrouver dans la vidéo ci-dessous.

durée de la vidéo : 00h00mn53s
Le comédien Féodor Atkine a prêté sa voix au personnage de "V", du film "V pour Vendetta". ©Elie SAIKALI

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