« La France est un pays extrêmement fertile, on y plante des fonctionnaires et on y récolte des impôts. » Cette phrase de Georges Clemenceau est une des savoureuses citations à retrouver dans « Histoire mondiale des impôts, de l’antiquité à nos jours » signé Eric Anceau et Jean-Luc Bordron. Ni manuel fiscal ni guide du contribuable, les deux auteurs signent un ouvrage passionnant truffé d’anecdotes. Alors que les contribuables sont invités à remplir leur déclaration de revenus, Eric Anceau, maître de conférences à Sorbonne Université nous en dit plus sur un sujet qui a grandement contribué à la construction des États.
Quelle a été votre motivation pour écrire ce livre ?
Eric Anceau : Il y avait un vide historiographique. Vous constatez par exemple quand vous allez à la Bibliothèque nationale de France (BNF) une production gigantesque sur les impôts, et en même temps il n’y avait pas sur le marché un livre à la profondeur historique aussi longue. Après avoir étudié l’État sous différents régimes du 19ème siècle, la laïcité ou le rapport entre les élites dirigeantes et les citoyens, je devais un jour ou l’autre m’intéresser à l’impôt car on est au cœur de l’État. Jean-Luc Bordron est spécialiste du monde anglo-saxon et moi du 19ème siècle. On a voulu avoir une vue panoramique mondiale.
Qu’est-ce qui vous a frappé en vous penchant sur ce sujet des impôts ?
Eric Anceau : Des récurrences apparaissent du tableau que nous avons dressé : l’impôt va se nicher partout mais on franchi depuis le 20ème siècle plusieurs seuils intéressants. Il y a une moralisation par l’impôt que l’on retrouve avec les taxes sur la santé par exemple, avec la tabagie ou les taxes environnementales. Il y a des projets pour les généraliser à l’échelle mondiale d’ailleurs. Il y a la protection sociale, le welfare state (État providence) aussi. Et ce qui est très neuf également c’est l’impôt comme régulateur de la vie économique pour essayer d’atténuer les effets des cycles économiques quand on est en dépression ou quand le moteur économique va trop vite.
" Il y a une moralisation par l’impôt que l’on retrouve avec les taxes sur la santé par exemple, avec la tabagie ou les taxes environnementales"
Eric Anceau
L’impôt signifie-t-elle forcément une intrusion dans la vie privée des gens ?
Eric Anceau : Les impôts existent depuis 5 000 ans, depuis que les États existent, et on remonte d’ailleurs dans le livre jusqu’à l’Egypte pharaonique ou aux cités sumériennes. Les États ont toujours eu une tendance à être intrusif dans la vie des sujets d’abord, des citoyens ensuite mais on a franchi un seuil à l’époque contemporaine. Ce seuil a été franchi par le consentement (théorique) des citoyens par le biais des représentants du peuple et de ce fait vous avez une véritable inflation des impôts et des taxes. En France il y en a 480, c’est le record du monde. Ils vont se nicher partout : l’abri de jardin qu’il faut déclarer et qui est taxable, la propriété est taxée, dans les nouvelles déclarations de revenus on va même introduire le descriptif précis et le nombre de pièces des biens immobiliers. Pourtant, les Français ont pendant très longtemps été rétifs à l’intrusion de l’État à tel point que nous sommes un des derniers grands pays occidentaux à avoir mis en place l’impôt sur le revenu. Imaginez qu’il était dans l’air depuis un siècle au 19ème et qu’il faudra attendre le lendemain de la guerre 14/18 pour qu’il soit instauré car les Français ne voulaient pas faire une déclaration de revenus. Ce stade a été largement dépassé car les déclarations sont aujourd’hui de plus en plus détaillées et intrusives.
Est-ce qu’il y a eu des impôts spécifiques à Paris ou à l’Ile-de-France ?
Eric Anceau : Je ne dirais pas spécifique. Mais la taxe sur les ordures ménagères par exemple que payent les propriétaires et locataires a été instaurée à Paris avant de se généraliser à l’ensemble du territoire. La centralisation française depuis nos monarques capétiens et puis après la révolution française a amplifié le phénomène : on regarde d’abord ce qu’on peut mettre en place à Paris avant de l’imposer à la totalité de la France. Ce qui est décidé à Paris s’applique très vite ailleurs, sauf exception par exemple à nos territoires ultra-marins.
Il n’y a jamais eu autant d’impôts dites-vous et d’aucuns trouvent qu’il n’y a jamais eu aussi peu de service public en France ?
Eric Anceau : Je ne dirais pas qu’il y a moins de services publics parce qu’il y en a plus qu’au 19ème siècle : à cette époque on est dans un État libéral qui se déchargeait des services d’éducation ou de santé en grande partie sur d’autres, comme les notables ou l’Eglise. Sous la 3ème république en France, l’État s’affirme et la notion de service public se développe. Et encore plus au 20ème siècle. Mais aujourd’hui c’est vrai, on a le sentiment qu’on paye de plus en plus d’impôts. Imaginez qu’à la veille de la première guerre mondiale les impôts et les taxes en France représentaient 10 % du PIB contre 46% aujourd’hui. La France est un cas extrême mais je dirais que c’est une évolution générale. C’est peut-être pourquoi on a l’impression que les services publics fonctionnent mal, parce qu’il y a de la déperdition. ll y a peut-être des administrations pléthoriques par rapport au nombre d’agents véritablement tournés vers le service public. On a aussi une protection sociale conséquente et il faut la payer par le biais des impôts. Imaginez qu’entre le début de la 5ème république et aujourd’hui, la protection sociale est devenue universelle.
"il y a eu en Russie l’impôt sur la pilosité !"
Eric Anceau
Quels sont les impôts les plus insolites que vous avez découverts ?
Eric Anceau : Parmi ces taxes originales il y a l’impôt sur la pilosité mis en place par Pierre Le Grand à l’époque de la Russie des Tsars. Il voulait occidentaliser son pays et trouvait que les Popes et les seigneurs portaient des barbes trop longues et hirsutes. Comme il avait voyagé en occident, il avait noté que la mode pour les notables était d’être imberbe. Dans un premier temps il a interdit la barbe et il y a eu une telle levée de bouclier qu’il est revenu en arrière en disant « vous pourrez porter la barbe mais il y aura un impôt sur elle ». Autre exemple insolite, en Suède : dans les années 60 et au début des années 70 vous aviez une exemption de taxes pour ceux qui portaient des vêtements excentriques et qu’on ne pouvait pas porter dans la vie quotidienne. Le groupe ABBA s’en est servi pour se faire confectionner des tenues très chères et très originales et qu’il a porté à l’Eurovision 1974. Je ne dirais pas que c’est la cause de son succès de la chanson Waterloo mais cela y a peut-être un peu contribué.
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