REPORTAGE. Pour séduire ses futurs usagers, le Grand Paris Express ouvre ses chantiers au tourisme industriel

A Palaiseau dans l'Essonne, un petit coin de campagne est en pleine mutation. Sur le Plateau de Saclay, une gare et un viaduc ferroviaire du Grand Paris Express vont remplacer une ancienne zone céréalière. Un bouleversement pour les habitants. Partagés entre tristesse de voir leur paysage dénaturé et intérêt du futur métro qui désenclavera leurs villages, ils sont invités à venir visiter les chantiers.

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Elle n'est pas très grande, ensevelie sous un grand gilet de chantier orange fluo, mais sa voix articulée et limpide assure son éloquence. Carmen Atias est médiatrice culturelle scientifique et technique, et conférencière sur les chantiers du Grand Paris Express. Une visite confidentielle captivante pour cinq touristes locaux venus découvrir le chantier de la future gare de Palaiseau. Ce projet monumental est situé sur la ligne 18 d'un métro qui sillonnera tout le pourtour du nouveau Grand Paris à l'horizon 2030.

Entre prouesse technologique et clin d'œil au métro parisien

Carmen commence par un petit quizz pour gagner son public. "Savez-vous comment on appelle les ouvriers qui travaillent sur les chantiers de ces ouvrages d'art ?, questionne-t-elle. "On les appelle des compagnons". Les visiteurs l'écoutent attentivement remonter le temps, depuis les origines du terme ouvrage d'art employé dès la construction des cathédrales. Carmen fait aussi le lien avec les expositions universelles :"Le Grand Paris Express est une nouvelle vitrine des républiques, dit-elle. A l'instar des expositions universelles, tout le savoir-faire français, architectural et artistique, a été convié."

Bernard, retraité d'Antony, en est à sa troisième visite. "J'ai déjà visité le chantier de Massy-Opéra et le tunnelier Caroline", raconte-t-il, gardant son appareil photo pendu à son cou. Ancien informaticien, il s'intéresse beaucoup aux grands projets technologiques et aux systèmes d'automatisation. Pour Bernard, même s'il faut chausser les bottes, "visiter un chantier c'est fantastique, j'avais jamais vu ça."

Tenant fermement une carte du réseau du Grand Paris Express, Carmen situe la gare de Palaiseau sur le tronçon aérien de la ligne 18, qui assurera la correspondance entre l'aéroport d'Orly et Versailles. C'est une ligne hybride de 35 km, des tunnels seront reliés par un viaduc de 7 km perchés à 10,6 mètres de hauteur. Carmen interpelle les visiteurs et pointe son doigt vers le ciel : "Ce sont 32 voussoirs plats (pierres de taille) qui vont soutenir cette partie aérienne", un tronçon qui va enjamber la Nationale 118. "Les 200 piles du viaduc s'enfoncent à plus de 15 mètres de profondeur", ajoute-t-elle. La construction d'un viaduc était la seule solution sur ces terres meubles et gonflées d'argile, un terrain qui n'autorise pas le passage d'un tunnelier. Carmen commente ce choix du maître d'ouvrage, La SGP, Société des Grands Projets : "le viaduc coûte moins cher à construire, mais doit être perpétuellement entretenu, alors qu'un tunnel à une durée de vie de 300 ans."

L'Atelier Novembre, cabinet d'architectes choisi pour la réalisation des trois gares du Plateau de Saclay, s'est inspiré des lignes 2 et 6 du métro intra-muros. Le design des gares de ce tronçon est un clin d'œil au métro parisien. Cette portion du Grand Paris Express, "un EPIC, établissement public à caractère industriel et commercial" comme Carmen tient à le répéter dans son commentaire, convoiera entre 50 000 et 100 000 voyageurs par jour.

"Au début, j'étais contre..."

Sur ces rails de la ligne 18 circuleront des VAL, voitures automatiques légères. "Chaque rame de trois voitures pourra transporter 350 passagers", répond Carmen Atias à l'un des visiteurs. Les VAL, pilotées depuis le centre d'exploitation de Palaiseau, passeront à 3 minutes d'intervalle. Une révolution pour le plateau de Saclay difficile d'accès.

Cette enclave du Sud-Ouest parisien est pourtant un pôle économique majeur en Île-de-France. Au sein de l'université Paris-Saclay travaillent 65 000 étudiants et 15 000 chercheurs. L'Hôpital Paris-Saclay, quant à lui, offrira des soins médicaux de pointe sur un territoire de 650 000 habitants dès le milieu de l'année 2024. Il abritera également le service de médecine nucléaire du CEA, le centre d'études atomiques.

Si la Société du Grand Paris (SGP) double sa communication sur le terrain, c'est parce que ce projet a longtemps suscité la controverse. Une ZAD, installée par des mouvements écologistes, a occupé le site jusqu’à son déménagement en mai 2023.

Jeunes retraités habitant Saclay Val d'Albian, Corine et Christian sont venus voir comment évolue leur commune. "Au début, j'étais contre, avoue Christian. Des terres agricoles remarquables ont été détruites, Beaucoup de gens ont perdu leur emploi." Etaient cultivés ici du blé et du maïs principalement. Des piles de bétons remplacent peu à peu les tiges de céréales. Face au dessin d'une maquette de la gare de Palaiseau, Corine et Christian s'inquiètent du peu de places de parking, mais essaient de positiver : "Si ce nouveau transport en commun peut nous permettre de mieux circuler et rejoindre l'aéroport d'Orly facilement, ça sera un sacré avantage". Pour dissiper les craintes Carmen l'assure, "la gare de Palaiseau sera l'épicentre d'un quartier où rayonneront commerces, bibliothèques, théâtres, parking à vélos et voitures."

Un nouveau métro pour mon pass Navigo ?

Au-delà d'un essor au niveau local, la gare de Palaiseau s'imbrique dans le plus vaste projet d'une grande métropole qui souhaite fédérer sa puissance économique. Le Grand Paris Express rassemblera tous ses pôles économiques entre eux et permettra de fluidifier un trafic urbain dense. Le Grand Paris compte 7,5 millions d'habitants répartis sur 131 communes. Ils représentent 17% des usagers Franciliens qui circulent en pendulaire, "tous ces passagers qui prennent les transports matin et soir pour aller au travail, depuis et vers les banlieues", définit Carmen. Il permettra donc de circuler en Île-de-France sans avoir à traverser la ville intra-muros, désengorgeant ainsi la station Châtelet-Les Halles dans laquelle se croisent quotidiennement 750 000 usagers.

Le travail du génie civil est terminé à Palaiseau. Reste le coffrage, l'aménagement intérieur de la gare de 1172 mètres carrés, ainsi que la pose des rails. Carmen s'impatiente de pouvoir traverser "cette gare qui comportera deux entrées, un rooftop de 280 mètres carrés, et qui sera recouverte d'une structure osseuse métallique blanche offrant une alternance d'ombre et de lumière dans le hall".

Laurent aussi est impatient, lui qui a vécu ici jusqu'à l'âge de 20 ans. Ce chauffeur de bus de la RATP conduit le Noctilien sur la ligne N63, qui va de la gare Montparnasse à Palaiseau : "J'ai vu des pylônes sortir de terre, ça m'a interloqué". Il a grandi non loin de la Ferme de la Vauve, le nom que porte désormais le terminus de sa ligne de bus et qui se situe à 500 mètres de la future de gare de Palaiseau. "Moi qui ai grandi en pleine campagne, ça a beaucoup changé depuis deux ans", se souvient-il avec nostalgie.

Le tronçon Massy-Palaiseau - CEA Saint-Aubin de la ligne 18 sera mis en service en 2026, et prolongé jusqu'à l'aéroport d'Orly en 2027. Les Franciliens devront attendre 2030 pour pouvoir circuler sur l'ensemble du réseau du Grand Paris Express. Une question revient souvent dans la bouche des visiteurs : "Est-ce que je pourrai utiliser mon pass Navigo ?". Carmen n'a pas encore la réponse. Elle l'aura peut-être prochainement, ses visites commentées des chantiers du Grand Paris Express se poursuivent jusqu'au 18 avril 2024.

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