REPORTAGE. À la ZAD de Saclay, la recherche d’un mode de vie, bien loin des laboratoires

Depuis près de deux ans, des militants écologistes occupent légalement un terrain agricole du plateau de Saclay dans l’Essonne. Ils s’opposent à la ligne 18 du futur métro du Grand Paris Express. Une ZAD – zone à défendre, mais avant tout un lieu de vie, à seulement quelques mètres des laboratoires de recherche et des grandes écoles.

Après les affrontements de Sainte-Soline, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé la création d’une "cellule anti-ZAD" dans un entretien au JDD. Sur le plateau de Saclay, une ZAD subsiste depuis un an et demi, bien que désormais menacée d'expulsion début juin.

Une petite parcelle de terrain isolée au beau milieu des champs sur la commune de Villiers-le-Bâcle (91). Dans la cabane principale, Fanny*, 22 ans, fait le tour de ses comparses pour décider quoi écrire sur la banderole de la prochaine manifestation contre la réforme des retraites. "ZAD de Saclay ? Zaclay ? Mais avec les autres, on sest dit quon ne voulait pas se revendiquer en tant que ZAD", expose-t-elle, avant de proposer l’ajout d’une fausse citation attribuée au ministre de l’Intérieur : "Zaclay, zone à risque de radicalisation G. Darmanin". Une jeune militante lui rétorque : "Tu as envie de tafficher avec cette phrase en dessous ?".

"ZAD de Saclay ? Zaclay ? Mais avec les autres, on s’est dit qu’on ne voulait pas se revendiquer en tant que ZAD"

Fanny*

militante écologiste

À l’entrée du camp, des petites pancartes pour chaque lettre clament : "Terres en péril !". Mais ce qui attire l’attention de chaque visiteur : "Fais comme chez toi ici, cest ouvert à tout le monde !", peuvent ressasser les militants avant de proposer une visite des lieux. À "Zaclay", le bois compose l’essentiel du campement. Chacun déambule alors sur un cheminement de palettes qui permet de relier les différentes cabanes entre elles. Elles sont toutes établies autour d’une cabane collective principale. À deux pas, trois panneaux photovoltaïques trônent fébrilement sur l’une des cabanes. "Cest de la récup et on utilise des batteries de voiture. Tu y charges facilement ton ordinateur ou plusieurs téléphones", indique Fanny*.

Au fil des palettes qui craquent sous ses pas, elle n’hésite pas à montrer le matériel pour leur prochain atelier collectif de fabrication d’une grange "grande et symbolique" en mai prochain. "Cest notre travail du moment, cest un peu le bazar !". Au quotidien, leur objectif est de faire vivre le lieu, par des conférences et des activités. "On aimerait que la grange soit utile pour lAMAP ou pour proposer les légumes du potager à prix libre. On veut montrer dautres modes de partage".

"On aimerait que la grange soit utile pour l’AMAP ou pour proposer les légumes du potager à prix libre"

Fanny*

militante écologiste

Finalement, que peuvent-ils bien défendre ici ? À quelques centaines de mètres de là, une impressionnante poutre de lancement – un engin de chantier chargé d’assembler le viaduc du futur métro – achève les quatorze kilomètres du premier tronçon en aérien de la ligne 18. Cette première phase de la ligne doit "désenclaver" le plateau de Saclay en le reliant à l’aéroport d’Orly dès 2026.

Le plateau de Saclay, tiraillé entre son urbanisation et la protection de ses terres agricoles

Le plateau de Saclay et ses terres sont parmi les plus fertiles d’Île-de-France. Mais choisir entre sa longue tradition agricole et son urbanisation, c’est une histoire qui dure depuis plus de cinquante ans. Les laboratoires du CNRS et le CEA – le Commissariat à l’énergie atomique – lancent la dynamique en s’y implantant dans les années 1950. Suit HEC – l’école des hautes études commerciales de Paris – en 1964 et l’université Paris-Sud l’année suivante – devenue depuis l'université Paris-Saclay. Des installations qui pousseront même la prestigieuse École polytechnique à quitter le centre de Paris pour le plateau. Jusque-là, les grandes écoles s’implantent sans réelle cohérence et contribuent à l’étalement urbain, au grand dam des terres agricoles.

En 2007, le candidat Sarkozy annonce devant les étudiants de Supélec "un projet d'aménagement, avec les transports appropriés [] où se croiseraient étudiants, chercheurs et enseignants". Une promesse de campagne entérinée dans les mois qui suivent par le lancement du projet d'aménagement par le président Nicolas Sarkozy.

"Avec le lancement par l'État de l'opération d'intérêt national Paris-Saclay à la fin des années 2000, la volonté a été de donner une cohérence à cet ensemble", affirme Yann Cauchetier, vice-président de la communauté d'agglomération Paris-Saclay chargé de l'aménagement, des grands projets urbains et de la vie de campus, et maire de Gif-sur-Yvette (91). "Ce plan a pour objectif de rassembler à terme 20% de la recherche scientifique française sur le plateau". Élu maire de Gif-sur-Yvette le 15 avril dernier, le natif de cette commune à cheval entre plateau et vallée, se dit "fier" du rayonnement de son territoire à l'international.

"La volonté [de l'État] a été de donner une cohérence à cet ensemble"

Yann Cauchetier

vice-président de la CPS, chargé de l'aménagement et maire de Gif-sur-Yvette

L'ambition est alors la création d’un pôle d’excellence scientifique et universitaire majeur, une "Silicon Valley à la française". Aujourd'hui, Paris-Saclay représente déjà 15% de la recherche nationale en 2023. La loi de 2010 relative au Grand Paris ancre définitivement le projet. Elle crée une zone de protection naturelle, agricole et forestière (ZPNAF) qui doit permettre de sanctuariser les 2 469 hectares de terres agricoles comprises dans le périmètre. Pour Yann Cauchetier, les élus locaux, attachés à un développement scientifique et économique du plateau de "manière raisonnée et écoresponsable", sont à l'origine de cette "sanctuarisation" sous la forme d'une ZPNAF "inscrite dans la loi, ce qui est unique en France".

"Dès le lancement de l’opération d’intérêt national, nous avons demandé à ce que le projet s’inscrive dans une dynamique de protection des espaces naturels"

Yann Cauchetier

vice-président de la CPS, chargé de l'aménagement et maire de Gif-sur-Yvette

Cette loi crée également un établissement public d’aménagement pour le développement du plateau, mais elle organise aussi, et surtout, son "désenclavement" : une ligne de métro en aérien traversant le plateau d’est en ouest est alors imaginée. Cette ligne, numérotée 18, devient alors une garantie pour les grandes écoles parisiennes qui souhaitent s’installer sur le plateau, comme pour l’École Centrale Paris – devenue depuis CentraleSupélec – installée en 2017 ou Télécom Paris en 2019. "La ligne 18 du métro automatique du Grand Paris Express est nécessaire" insiste Yann Cauchetier. "Elle offrira, à terme, une alternative pertinente et décarbonée aux déplacements automobiles et à l’embolie de nos infrastructures routières". Pour le maire fraîchement élu, l'insertion de la ligne 18 doit se faire "dans le respect de notre environnement et de la ZPNAF", avant de conclure : "La ligne 18 est destinée à relier les différentes polarités de l’opération d'intérêt national, dont celles yvelinoises".

"Nous avons pleinement conscience du formidable atout que représente l’agriculture pour notre territoire et cherchons à la préserver"

Yann Cauchetier

vice-président de la CPS, chargé de l'aménagement et maire de Gif-sur-Yvette

Au-delà de la lutte, autosuffisance et mode de vie priment

À Zaclay, si l’hiver a été rude, les premières lueurs du printemps permettent à Issa, 28 ans, et Mahieu, 27 ans, de se remettre les mains dans le potager. "On vient de planter des petits pois. Ils sont censés grimper, donc lidée est de tendre plusieurs fils, confie Issa qui tente d’arrache-pied de fixer deux tuteurs dans le sol. On ne met pas de produits. Là, je suis en train dessayer lagriculture syntropique". Cette pratique se caractérise par la création d’un système de culture dense visant à établir un équilibre entre les plantes et obtenir une récolte abondante.

De son côté, Mahieu, prépare la terre pour planter des pommes de terre. "En ce moment, jessaie de mautoformer sur beaucoup de sujets, souvent connectés au contexte du plateau de Saclay", confie cet ancien doctorant, s’intéressant à la résilience des territoires – la capacité d’un territoire à s’adapter au changement. Il a rejoint Zaclay en septembre 2021 et a participé à des assemblées organisées dans la grange des Vandame, la famille d’agriculteurs qui leur prête le terrain. "Les Vandame, ce sont les premiers concernés. Ils nous ont surtout permis de concrétiser la ZAD", explique Mahieu. Avec le geste de ces exploitants agricoles, les militants croient alors peu au démantèlement de leur ZAD, même si une procédure a été lancée par la préfecture de l’Essonne à leur encontre. Les Vandame font partie de ces agriculteurs dont les terres sont menacées par la ligne 18.

"Cette famille d'agriculteurs nous a permis de concrétiser la ZAD"

Mahieu

militant écologiste et ancien doctorant

En décembre dernier, ils ont interpellé la Première ministre Elisabeth Borne dans une lettre ouverte. Sur le deuxième tronçon, le métro passera en surface, et non en viaduc : ils sont alors inquiets du devenir de leurs terres qui seront alors coupées en deux. Justement, Issa a connu la ZAD par hasard, en travaillant pour l’exploitation des Vandame.

"Ma mère habite à côté, et elle participe à lAMAP. Jai eu envie de mintéresser aux grandes cultures céréalières, précise-t-elle. Jai contacté les Vandame qui font partie de lAMAP et j’ai commencé par moissonner un champ". Elle souhaitait s’intéresser à son alimentation, mais surtout en les rouages. "La manière dont était produit ce que je consommais me gênait. Je ne voulais plus être seulement dans la critique".

"La manière dont était produit ce que je consommais me gênait. Je ne voulais plus être seulement dans la critique"

Issa

militante écologiste

Pour la ZAD, Issa confie n’avoir "pas vraiment fait attention" à l’existence du lieu. "Dans ma vie, cest choses-là nexistaient pas vraiment. Je ne me sentais pas concernée", confie celle qui a finalement trouvé son havre de paix. Pour elle, son premier intérêt dans la ZAD est l’expérimentation d’un mode de vie alternatif, bien devant la lutte contre la ligne 18. "Je ne pense plus à cette ligne, sinon je deviendrais folle. Au quotidien, je fais du jardin, on vit ensemble".

Malgré la menace d'un démantèlement par la préfecture de l'Essonne, les occupants de la Zaclay ne comptent pas lever le camp pour autant. "Le camp et ses occupants ne créent aucun trouble à l'ordre public" assurait Guillaume Valois, maire de Villiers-la-Bâcle, dans une interview à nos confrères du Parisien. "Je n’ai pas à commenter une éventuelle décision. Je me contenterai de rappeler que, dans un état de droit, il appartient à chacun de respecter les règles qui fondent notre République et qui permettent le bien-vivre ensemble", indique Yann Cauchetier, vice-président de la communauté d'agglomération Paris-Saclay chargé de l'aménagement. Le Collectif contre la ligne 18, à l'initiative du campement, appelle dans une lettre au soutien "pour rendre possible une agriculture paysanne aux portes de Paris".

Issa assure n’avoir qu’une critique générale de cette ligne de métro, notamment sur le fait de ne pas être écoutés, par les élus ou la Société du Grand Paris (SGP) qui conduit le chantier. Issa relève un déni de démocratie plus large "dans notre société", de quoi faire écho avec l’actualité. "Ce sont ceux qui ont du pouvoir qui imposent leur projet. Cest le symptôme du moment, et la lutte quon a ici". Les militants de la ZAD de Saclay revendiquent alors une remise en cause d’un système, bien au-delà du lien, de l’autosuffisance… et de la ligne 18.

(*) Le prénom a été modifié.

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