Emmanuelle Cosse est toujours au coeur de la polémique pour rester conseillère régionale malgré son entrée au gouvernement. Injuste et exagéré. Pourquoi est-elle devenue un bouc émissaire? Tentative de réponse en forme de plaidoirie.
"Merde à la fin !". Devant les caméras du Petit Journal, Emmanuelle Cosse perd ses nerfs. Pas bien, coassent en choeur les grenouilles gardiennes de la morale publique.
Et si Emmanuelle Cosse avait raison ? Et si on la laissait tranquille ? Quel est son crime ? Frauder le fisc avec des comptes en Suisse ? Financer sa campagne électorale avec l'argent des HLM ? Falsifier ses comptes de campagne pour masquer des dépenses somptuaires en vin bio et canapés de tofu ? Non. Rien de cela. Elle exerce la fonction de ministre du logement tout en étant conseillère régionale d'opposition en Île-de-France. Une insulte à la démocratie, un soufflet à la vie publique, une honte indélébile sur nos institutions. Emmanuelle Cosse symboliserait tout ce qui ne va pas dans la politique française.
Pourquoi ? Parce qu'elle cumule. Elle a beau répéter que cela est faux, personne ne l'entend. Reprenons donc. Non, Emmanuelle Cosse ne cumule pas. Elle a un seul mandat électif. Elle n'enfreint donc aucune loi française même pas celle qui s'appliquera à la classe politique en 2017. Sa seule faute est de ne pas respecter un usage non écrit, encore trop récent pour être considéré comme une tradition mais assez ancien pour avoir déjà valeur de règle absolue.
Un usage rappelé par François Hollande lors du fameux débat présidentiel. "Moi président de la République, les ministres ne pourront pas cumuler leur fonction avec un mandat local, parce que je considère qu'ils devraient se consacrer pleinement à leur tâche", avait, alors, promis le candidat du PS. Clairement, Emmanuelle Cosse ne respecte pas cet engagement de campagne. On notera que ce n'est pas le sien. On y reviendra plus loin.
Mais est-elle la seule dans ce cas au gouvernement ? Tout le monde sait que Jean-Yves Le Drian est également président de la région Bretagne. On sait moins que Jean-Marie Le Guen vient régulièrement signer une feuille de présence au conseil de Paris dont il est élu. Myriam El Khomri est moins présente mais elle est également élue parisienne. Michel Sapin est conseiller municipal d'Argenton-sur-Creuse. Sur le site même du ministère de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve est présenté comme conseiller municipal de Cherbourg. Il ne s'en cache donc pas. Jusqu'au premier d'entre eux, Manuel Valls qui est conseiller municipal à Evry.
Pourquoi alors harceler seulement Emmanuelle Cosse ? Pourquoi ne pas aller sans cesse demander à Manuel Valls, quand il prononce des discours à Evry, s'il n'a pas honte de cumuler ? Pourquoi ne pas se tourner vers François Hollande et lui demander sans cesse à Bruxelles ou à l'Elysée pourquoi il ne fait rien pour respecter cette promesse de campagne ?
Parce qu'Emmanuelle Cosse appartenait à Europe-Ecologie et non au parti socialiste. Et les statuts d'EELV précisent bien le non-cumul des mandats. "Limitation stricte du cumul des mandats, internes et externes,occupés simultanément et/ou dans le temps" est-il écrit. Mais sauf erreur de ma part, rien n'est précisé sur l'usage quand on est membre du gouvernement. Peut-être un passage un peu vague dans la charte. "Respect du principe d’exemplarité dans le fonctionnement", peut-on y lire.
Clairement, Emmanuelle Cosse ne respecte pas les valeurs du parti. Encore une fois, est-elle la seule ? Non. Noël Mamère cumula mairie et assemblée, avant de s'éloigner d'EELV. ET si Cécile Duflot quitta le conseil régional quand elle entra au gouvernement, elle resta conseillère municipale de Villeneuve-Saint-Georges jusqu' en mars 2014.
Pour ses adversaires politiques, Emmanuelle Cosse mérite ce qui lui arrive. La faute à sa grande gueule. Elle n'avait qu'à pas présenter sa liste aux régionales comme étant "la seule garantie sans cumul". Pas faux. Sauf qu'une nouvelle fois, il s'agissait d'un cumul de deux fonctions électives. Clin d'oeil à la liste Pécresse, très "cumularde". Cosse en avait même rajouté une couche lors de la séance inaugurale du nouveau conseil régional. Normal que ses petits camarades ironisent. De même, on comprend que les membres d'Europe Ecologie soient les plus sévères à l'encontre de leur ancienne patronne. Mais nous journalistes, doit-on faire d'Emmanuelle Cosse le bouc émissaire d'une classe politique imparfaite mais humaine ?
L'histoire du cumul n'est qu'un prétexte. Ce qui fascine la meute médiatique, et je ne m'en soustrais pas ayant été l'un des premiers a écrire un article sur cette situation, c'est la trahison. Emmanuelle Cosse est une traître, condamnée à être rejetée par tous. A errer, sans patrie, sans repère, sans refuge. Derrière cette affaire, assez minuscule de cumul, c'est son acte transgressif qui lui est reproché et qui fait d'elle une paria.
Et c'est bien pour cela qu'elle reste conseillère régionale d'Île-de-France. Sans ce mandat, elle ne sera plus rien politiquement après 2017. Totalement fragile, totalement seule. Démissionner de ce poste aurait eu plus de panache. Mais si le manque de panache est une faute de goût, il n'est pas encore un crime.