Au deuxième jour du procès de Monique Olivier : l'intuition de la piste Fourniret dans la disparition d'Estelle Mouzin

La deuxième journée du procès de Monique Olivier devant la Cour d'assises des Hauts-de-Seine était consacrée aux auditions d'une enquêtrice belge et d'un ancien magistrat français. Tous deux ont eu l'intuition très tôt que le couple Fourniret-Olivier était lié à la disparition de la petite Estelle Mouzin. Pourtant, cette piste ne sera explorée véritablement qu'à partir de 2019.

15 mars 2005, à Dinant en Belgique. Monique Olivier est extraite de sa prison pour être une nouvelle fois interrogée. Depuis qu’elle a avoué en juin 2004 une dizaine de meurtres commis par son mari Michel Fourniret, elle continue d’être régulièrement entendue par les enquêteurs belges sur plusieurs affaires non élucidées. Il y aura plus de 120 auditions entre juin 2003 et décembre 2005. "Le profil de Michel Fourniret, le modus operandi nous faisait penser à d'autres victimes disparues et dont les corps sans vie ont été retrouvés", raconte à la barre l’inspectrice principale de la police judiciaire de Namur. Catherine Bauret, 58 ans, est celle qui qui a permis de confondre le couple avec deux de ses collègues.

Ce jour-là, l’entretien porte sur la disparition de la petite Estelle Mouzin à Guermantes en Seine-et-Marne. Les policiers belges ont notamment découvert que la photo de la petite fille a été consultée sur l’ordinateur du couple, peut-être involontairement. "Nous ne connaissions pas le dossier dans le détail mais il y avait une grosse médiatisation autour d’Estelle en Belgique", explique Catherine Bauret. Des membres de la DRPJ de Versailles sont présents dans le cadre d’une commission rogatoire internationale. Ce n’est pas la première fois car depuis l'arrestation du français Michel Fourniret, ils sont constamment associés à l’enquête.

Ce 15 mars 2005, Monique Olivier est interrogée sur l’emploi du temps de son mari le jour de la disparition de la fillette le 9 janvier 2003. Elle raconte que vers 20h, Michel Fourniret a appelé à deux reprises son fils aîné Jean-Christophe dont c’était l’anniversaire. Elle dit aussi ne jamais avoir téléphoné personnellement à Jean-Christophe qu’elle ne connait pas. Un alibi corroboré par des relevés téléphoniques. A 20h08, un appel d'environ une minute a bien été passé depuis le domicile du couple à Sart-Custinne en Belgique.

Egalement entendu, le tueur en série se montre quant à lui plus évasif. Il s'étonne d'avoir passé ce coup de fil, affirme ne plus avoir de relations avec son fils. Puis il se rétracte, comme souvent. "Alors qu’il avait une mémoire phénoménale, il ne se connaissait plus son emploi du temps. Avec le recul, j’ai l’impression qu’il nous a enfumés, lâche l'inspectrice. Qui tenait le téléphone ? Impossible à dire."

"Fourniret, il donne en fait beaucoup d'indices dès 2005"

Un revirement qui aurait dû alerter les enquêteurs selon Maitre Allali, un des conseils de la famille Mouzin. "Quand vous demandez à Fourniret s’il connait Guermantes, il répond non, à part dans les livres. Puis il dit qu’il a deux connaissances à Gournay-sur-Marne, juste à côté de Guermantes", relève l'avocate qui a entrepris de lister tous les indices qui auraient dû mettre les policiers sur la piste de Michel Fourniret, dès 2005. Il y a tous ces appels passés par Monique Olivier depuis son portable et qui n'ont pas abouti. "Le 9 janvier 2003, Monique Olivier appelle plusieurs fois le fixe de Sart-Custinne entre 15h et 16h mais personne ne répond. Cela veut dire que Fourniret n’est pas chez lui, ce que confirmera Monique Olivier." Il y a aussi cet appel passé au domicile par Selim, le fils du couple, à 16h15. Son père aurait dû aller le chercher à l'école mais personne n’est venu. "Fourniret, il donne en fait beaucoup d’indices dès 2005," remarque Marine Allali. Catherine Bauret hoche de la tête puis confie qu' "en Belgique, la porte est restée ouverte" . En Belgique mais en France. Saisis de l'enquête, les membres de la DRPJ de Versailles n'iront pas plus loin. Il faudra plus de 15 ans et les aveux de Monique Fourniret pour mettre en pièce l'alibi de Michel Fourniret.

D'autres ratés, l'affaire Mouzin en aura connu, comme le reconnait Francis Nachbar à la barre. Aujourd’hui retraité, l'ancien procureur de Charleville-Mézières a été appelé à témoigner à la demande de la famille Mouzin. En 2006, alors qu'il enquête sur plusieurs crimes commis par Michel Fourniret, il questionne le tueur en série sur le dossier d'Estelle. "J'avais cette obsession de trouver d'autres victimes. Et comme j'avais de très bons contacts avec Michel Fourniret, je l'ai interrogé."  L'Ogre des Ardennes lui fait alors des aveux "en négatif". Lui laissant entendre qu'il n'est pas étranger à la disparition de la petite fille. "Il y avait aussi d'autres indices, huit ou neuf que j'avais listé." Convaincu de son implication dans le rapt d'Estelle, le procureur écrit un courrier à la direction des affaires criminelles et des grâces le 20 juillet 2006. "Je ne peux pas dire s'il a été exploité mais on ne m'a pas dit :"Oui, c'est intéressant ce que vous dites". Je ne sais pas quel sort a été réservé à ce dossier." Devant la cour, l'ancien procureur dit simplement s'étonner que Michel Fourniret ait été écarté du dossier grâce à un alibi peu solide. 

Cet alibi, c'était ce coup de fil à son fils à qui il ne parlait plus, des conditions climatiques qui ne pouvaient pas permettre un déplacement. Comment des policiers aussi expérimentés, le SRPJ de Versailles quand même, ont pu se laisser avoir comme ça ? Cela s'appelle un déni de vérité

Francis Nachbar, ancien procureur

Une perte de temps qui aura été plus dramatique encore dans les dossiers d'assassinats de Joanna Parrish et de Marie-Angèle Domèce, également jugés à Nanterre. Malgré les aveux réitérés de Monique Olivier dès 2005, suivis d'un volte-face, ces affaires sont restées pendant de longues années dans des tiroirs. Le père de Marie-Angèle Domèce est décédé il y a dix jours après s'être battu pendant 35 ans pour connaitre la vérité. "Il y a eu un traitement anormal de ces dossiers par la justice française. On n'a pas suivi Fourniret comme on aurait dû le faire", regrette Maitre Didier Seban, l'avocat d'Eric Mouzin.

Maitre Corinne Hermann, qui accompagne les familles de victimes depuis vingt ans, va encore plus loin. Elle est très émue lorsqu'elle s'adresse au procureur Francis Nachbar : "Les victimes ont perdu 15 ans. Vous leur dites quoi aux victimes ici ? (...) Vous pouviez rester investi ! vous pouviez alerter des magistrats ! Qu’est-ce que vous avez fait ? Quand on a des convictions, on essaye d’aller jusqu’au bout, y avait des familles derrières. Mais là, on abandonne. Nous, on n’a jamais abandonné. On a été tous seuls pendant des années et il y avait une petite fille qui avait disparu."

"Je ne veux pas prendre la responsabilité de tout ce qui a été fait ou tout ce qui n’a pas été fait", rétorque agacé Francis Nachbar. Autant de failles qui seront une nouvelle fois abordées mardi avec les  auditions des enquêteurs de l'époque. 

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