Trois mois de discussions, de nombreux ateliers, 62 auditions… Les conclusions de la CNDP (Commission Nationale du Débat Public) sur la qualité de l'eau en Île-de-France viennent d’être rendues publiques. Agnese Bertello, la présidente de ce débat public répond à nos questions.
De nombreuses interrogations et beaucoup d’inquiétude de la part du public et de certains acteurs du territoire ont ponctué ces 3 mois de travaux de la CNDP (Commission Nationale du Débat Public). Des questionnements qui témoignent que la qualité de l’eau potable (gestion des micropolluants, élimination ou non du calcaire et du chlore dans l’eau, exigences quant à la qualité de l’eau pour la consommation humaine) reste un enjeu majeur.
►Peut-on encore boire l'eau potable au robinet à Paris et en Île-de-France ?
Un projet pour obtenir une eau plus pure
La CNDP avait été saisie par le SEDIF, syndicat des eaux d'Ile-de-France ,qui alimente en eau 133 communes autour de Paris et 4 millions d’utilisateurs et d’utilisatrices, pour organiser le débat obligatoire sur son vaste projet de traitement de l'eau. En effet, le syndicat souhaite installer un nouveau procédé de traitement de l’eau dans chacune de ses 3 principales usines de production d'eau potable d’Ile-de-France.
Il s’agit d’un procédé de filtration de type "membranaire haute performance". Derrière ce terme technique, le système est présenté par le SEDIF comme plus efficace pour filtrer l’eau et ainsi obtenir une ressource encore plus pure, sans chlore et calcaire et en réduisant les concentrations de micropolluants.
Mais, selon certaines sources, le projet augmenterait la consommation électrique des usines, et le prix de l'eau (de 36 à 48 euros par an par foyer). Il impliquerait aussi une augmentation du prélèvement d'eau (d'environ 15%) et le rejet dans le milieu naturel des matières retenues par la filtration.
Ce projet est également porté par le gestionnaire du réseau de transport d'électricité français (RTE), dont la vocation serait d’acheminer l’énergie supplémentaire aux installations. Son coût : 870 millions d’euros.
Nous avons questionné à ce sujet Agnese Bertello, elle a présidé les 3 mois de ce débat public sur "l’eau potable en Île-de-France" .
Le public s’est-il mobilisé ainsi que les différents acteurs sur cette question de l’eau potable en Ile-de-France ?
Il y a énormément de questionnements. Résultat il y a eu une mobilisation importante d’un public averti et aussi de simples citoyens. Nous avons fait une vingtaine de débats mobiles pour expliquer ce projet de façon moins technique, pour que ce soit à la portée de chaque citoyen. Résultat, on a eu la possibilité de toucher un très large public.
Qu’est-ce qui ressort de ce débat public ?
Il y a des inquiétudes. C’est pour cela que l’on demande plus de précisions et d’informations par exemple sur l’impact sanitaire qu’il pourrait y avoir sur les micropolluants que l’on trouve dans l’eau. Jusqu’à maintenant nous n’avons pas d’informations très claires de l’impact sur la santé humaine.
Nous préconisons donc de continuer la recherche scientifique sur cette question et de mettre en place aussi parallèlement des programmes sur la protection de la ressource en amont. Ne pas avoir seulement une attitude curative, mais aussi une attitude préventive. Nous préconisons aussi que ces recherches scientifiques soient faites par des instituts indépendants.
Quelles sont les recommandations pour les acteurs de l’eau en Île-de-France au niveau environnemental ?
A la base, l’idée du SEDIF est d'obtenir l'eau la plus pure possible en enlevant les pesticides et les métabolites présents dans la ressource. Et pour cela ils veulent utiliser une technologie qu'ils estiment plus performante. Mais avec ce système, des concentrats (partie de l’eau qui ne passe pas par les membranes et qui se trouve concentrée en micropolluants et matières organiques), sont tout de même rejetés dans l’environnement, dans l’écosystème qu'est le cours d'eau.
Et donc au niveau des enjeux environnementaux, nous demandons au SEDIF de préciser l’impact du rejet des concentrats de chaque usine dans le milieu naturel. D’avoir aussi un programme intégré de protection des ressources de la Seine, de la Marne et de l’Oise et de renforcer la collaboration avec l’ensemble des acteurs (agriculteurs, industriels, collectivités…) et d’évaluer la mise en place d’un programme intégré de protection des ressources.
Et d’un point de vue économique, la question du coût de ce projet et du bénéfice pour la population est aussi soulevée ?
La technologie actuelle est très énergivore et entraînera forcément une hausse de la consommation électrique. Et d’un point de vue économique, ce n’est pas encore viable.
Sur fond d’inflation, le projet aurait comme conséquence une hausse moyenne de la facture d’eau de 36 à 48 € par an par foyer. Les enjeux socio-économiques ne sont pas à mettre de côté. Nous leur demandons de préciser les bénéfices économiques pour les usagers de ce projet, ainsi que son coût.
Finalement au-delà d’un enjeu local, ce qui ressort aussi c’est une prise en compte de manière plus globale de cette ressource en eau ?
En effet, cela va bien au-delà du projet du SEDIF, c’est une approche plus globale qu’il faut avoir. Les recommandations que l’on faites à la fin, c’est vraiment de donner la possibilité à toutes les autorités organisatrices, les opérateurs du secteur, d’avoir un moment pour échanger à l’avenir sur ces questions qui sont capitales et qui concernent évidemment tout l’écosystème.
Cette question relative à l’eau potable en Île-de-France est vraiment devenue cruciale au cours du débat. Certains participants ont même parlé de mettre en place un "Grenelle de l’eau", d’autres de dialogues, de concertations… Mais ce qui est remonté, c’est avant tout ce besoin d’un moment d’échange qui concerne tous les acteurs sur les différentes questions essentielles, et qui sont liées vraiment à la protection de la ressource et à la qualité de l’eau potable dans la région.
La dernière recommandation qu’on a faite, porte précisément sur cela : mettre en place un dispositif temporaire de dialogue rassemblant les acteurs de l’eau. Et ainsi de débattre de la redéfinition de la gouvernance de l’eau en Ile-de-France, voir à l’échelle de la France.
Suite à ce rendu, le SEDIF a 3 mois pour présenter ses réponses aux questions soulevées et aux demandes de clarification, conformément au Code de l’Environnement. Un débat qui a permis de confirmer l’intérêt que tous les publics accordent à leur eau potable, à sa qualité, son coût. Il a aussi confirmé que ce sujet n’est pas simplement celui des experts mais aussi celui du quotidien de chaque citoyen.