L'Eglise catholique va béatifier samedi à Paris cinq religieux exécutés pendant la Commune de Paris, une célébration qu'elle ne souhaite pas "polémique", mais qui ravive la "mémoire conservatrice" de cette période, selon un historien.
L'église Saint-Sulpice de Paris, qui peut accueillir 2.000 à 2.500 personnes, a été choisie pour cette célébration: seront béatifiés Henri Planchat, prêtre de la congrégation de Saint-Vincent-de-Paul, Ladislas Radigue, Polycarpe Tuffier, Marcellin Rouchouze et Frézal Tardieu, quatre religieux de la congrégation Picpus.
Leurs exécutions intervinrent à la fin de la révolte populaire de 1871, démarrée le 18 mars et écrasée dans le sang au bout de 72 jours par le gouvernement de la IIIe République naissante, réfugié à Versailles.
Les cinq prêtres ont été tués par balle le 26 mai 1871, lors de la "semaine sanglante" qui a vu plusieurs massacres dans la capitale. Ils avaient été retenus prisonniers plusieurs semaines par les communards. Quatre religieux, 36 gendarmes et quatre "mouchards" supposés sont également exécutés ce jour-là.
En novembre 2021, le Vatican a reconnu le "martyre" de ces ecclésiastiques car ils sont "morts en haine de la foi", ouvrant la voie à leur béatification.
Une bannière avec les portraits de chacun d'eux sera dévoilée lors de la célébration, qui sera présidée par le cardinal Marcello Semeraro, représentant du pape François, avec l'archevêque de Paris Laurent Ulrich, en présence d'évêques et de membres de congrégations.
"C'est une grande joie", déclare à l'AFP Yvon Sabourin, religieux de Saint-Vincent-de-Paul, qui a défendu auprès du Vatican le dossier des cinq religieux.
- "Mémoires conflictuelles" -
Il met notamment en avant "le catholicisme social du père Planchat, son dévouement auprès des ouvriers et des plus démunis. C'est une fierté pour nous dans l'Eglise de montrer que des prêtres ont consacré leur vie à la jeunesse et aux milieux populaires".
Loin de lui l'idée que l'Eglise voudrait créer une "polémique": "il s'agit de béatifier cinq prêtres morts +au cours+ de la Commune de Paris", assure-t-il, rappelant que "des milliers de Communards ont (aussi) perdu la vie". Et indique qu'une "prière universelle pour tous les morts de la Commune" sera dite lors de la célébration.
Un argument qui ne convainc pas Eric Fournier, maître de conférences en histoire à Paris I Panthéon-Sorbonne et spécialiste de la Commune. Cette béatification, "à voix basse", "montre un retour d'une mémoire cléricale, conservatrice, de la Commune", juge-t-il.
Cela contraste selon lui, avec l'état d'esprit de l'Eglise en 1971, lors du Centenaire de la Commune: "l'archevêque de Paris avait opposé un refus catégorique à l'extrême-droite qui réclamait une messe solennelle" pour commémorer les ecclésiastiques.
"Tout cela participe aussi de cette tendance du moment de vouloir réconcilier les mémoires politiques conflictuelles, en tentant d'adoucir le discours. Une volonté vouée à l'échec. Aucun partisan de la Commune ne va trouver sympathique cette béatification", assure Eric Fournier.
Il y a deux ans, pour le 150e anniversaire de cet événement, des participants d'une procession religieuse en hommage aux prêtres avaient été pris à partie par des personnes hostiles --un petit groupe qui venait de la manifestation des partisans des Communards au mur des fédérés du cimetière du Père Lachaise-- faisant deux blessés légers.
Avec AFP