France 3 Paris Île-de-France consacre une série d’articles sur les coulisses du doublage des films en français. Pour celui-ci, nous nous sommes rendus dans un studio de doublage : Imagine, à Issy-les-Moulineaux, dans les Hauts-de-Seine afin de mieux comprendre les étapes de réalisation d’une VF.
Nous avons tous été amenés au moins une fois à regarder un dessin animé, un film, une série ou encore un téléfilm étranger…en langue française. Cela tient à la magie de la version française, la célèbre VF. Une magie rendue possible grâce à tout un processus très précis mêlant technique et art. Dans l’industrie du doublage, la France se situe parmi les meilleures au niveau mondial.
Pour en savoir plus, nous nous sommes rendus à Issy-les-Moulineaux dans le studio Imagine, l’un des nombreux studios de doublage et de voix off que compte l’Île-de-France. A l’origine spécialisé dans l’édition et la production de musique, il s’est ensuite orienté dans le doublage, avec une spécialisation dans les séries, les documentaires et les téléfilms. Il a récemment eu pour tâche de doubler la série "Le serpent" ou encore celle à succès venue de Corée du Sud disponible sur Netflix : "Squid Game".
Le studio a également doublé des émissions de télé-réalité. Par rapport à ce dernier point, il est nécessaire de préciser qu’il existe deux types de doublage en français — en dehors de la voix off (voix que l’on entend par exemple dans les publicités).
Deux types de doublage
Le premier est dit "voice over". Il consiste à superposer la voix originale par un texte traduitsans tenir compte des mouvements de bouche — comme par exemple dans les émissions de télé-réalité ou les documentaires. On entend ainsi la voix de l’acteur original, puis celle du comédien de doublage par dessus, sans pour autant que la première soit complètement masquée. Celle-ci est juste atténuée.
Le second est le doublage "voice synchrone". Il vise à remplacer la bande originale par celle produite dans la langue souhaitée — dans notre cas en français. Elle tient compte, cette fois-ci, du mouvement des lèvres et est davantage dédié pour ce qui est de la télévision. On la retrouve dans les films, séries et dessins animés. C’est sur celle-ci que nous allons nous concentrer. Créer une VF nécessite toutefois de respecter quelques étapes.
Décrocher le contrat et préparer le travail
La première est d’ordre commerciale : décrocher le contrat, auprès de la maison de production détenant les droits d’exploitation du film original, pour réaliser la version française. "En tant que commercial, mon travail va être de me mettre en relation avec mes clients pour sonder leurs éventuels besoins en terme de travaux de doublage. En fonction des deals que j’arrive à faire tomber, moi ou mes collaborateurs, le client va nous confier la réalisation de la version française", explique Jean-Philippe Content, directeur commercial du studio Imagine. Ce dernier indique qu’après avoir décroché la possibilité de faire la VF, "le client va nous envoyer des éléments de la version originale et de la version internationale. C’est à dire le fichier image en version originale du programme, le script VO, la musique et les effets sans les dialogues (…) ces éléments constitueront notre base de travail pour faire la VF".
Il y a également une vérification des éléments sonores, mais aussi visuels à prendre en compte. C’est le cas d’inscriptions ou des indications temporelles textuelles dans la langue d’origine qu’il va falloir mettre en français en respectant les polices d’écriture.
Répartir les tâches
Une fois vérifiés, tous ces éléments sont confiés à un chargé de production en charge du suivi des travaux de doublage (CP). Il va contacter un directeur artistique (DA) dont la mission va être de diriger la réalisation de la version française. C’est ce(tte) dernier(e) qui va choisir et diriger les comédiens qui vont prêter leur voix. Un peu comme un metteur en scène au théâtre.
"Le DA choisi les comédiens en fonction de leur sensibilité artistique, mais aussi en fonction de leur timbre de voix. L’idée étant d’être le plus raccord possible avec la version originale"
Jean-Philippe CONTENT
Le CP devra aussi contacter un "auteur" qui, à partir du script VO, va écrire la version française en tenant compte des éventuelles exigences d’ordre éditoriales que peuvent nous transmettre nos clients, explique Jean-Philippe Content, comme "par exemple, ne pas faire l’apologie de l’alcool, de la cigarette, etc.)". Cet auteur se livre ainsi à un gros travail dit d’adaptation qui prend entre trois semaines et un mois. Il ne s’agit pas seulement de faire de la traduction. Il faut faire en sorte que la voix colle tout en conservant l’idée originale du texte VO en prenant en compte toutes les contraintes évoquées précédemment. Le texte de l’auteur sera ensuite posé sur une "bande rythmo virtuelle" calligraphiée qui défilera à l’écran et qui va servir au comédien.
Relecture par le client
Une fois que le texte en français est écrit, il est envoyé au client. Celui-ci "va le relire, et apporter d’éventuelles corrections ou non", poursuit Jean-Philippe Content. Une fois que l’adaptation est faite, il y a un ingénieur du son qui fait un montage son de manière à ce que la version internationale soit raccord avec le texte de l’auteur. Il faut y coller le plus possible.
Convocation des comédiens
Le DA convoque ensuite les comédiens qu’il estime nécessaire pour le travail de doublage. On parle ici de distribution. "Le DA choisi les comédiens en fonction de leur sensibilité artistique, mais aussi en fonction de leur timbre de voix. L’idée étant d’être le plus raccord possible avec la version originale", précise Jean-Philippe Content. Si, par exemple, l’acteur à une voix grave, on cherchera un comédien avec une voix grave, idem s’il a une voix fluette, rocailleuse, etc.
Il existe toutefois des comédiens qui savent très bien moduler leur voix et passer du grave à l’aigu. M. Content ajoute qu’on ne prend "jamais autant de comédiens que le nombre de rôles présents dans l’œuvre à doubler. Outre les rôles principaux, pour lesquels un casting est proposé, un même comédien pourra être amené a doubler plusieurs rôles, comme des rôles d’ambiances par exemple".
Budget et enregistrement
Une fois les comédiens choisis par le DA, on planifie les séances d’enregistrements. Tous les comédiens ne passent pas en même temps. Mais avant les séances, il y a une estimation du budget à déployer par les studios pour les comédiens qui vont intervenir. "Dans un 90 minutes, on compte en moyenne près de 1000 lignes. Et en France, on paye le comédien à la ligne. Donc pour estimer le budget du comédien, on doit calculer, pour chaque intervenant, le nombre de ligne qu’il va jouer", explique le directeur commercial d’Imagine. Toujours sur la rémunération, les syndicats du doublage et les professionnels ont passé un accord pour s’entendre sur un tarif défini par rapport au nombre de lignes. "Une à six lignes 106 euros ; sept à quatorze lignes un autre prix, etc", explique M. Content, précisant par ailleurs que le prix moyen à la ligne est de 5,26 euros hors charges lors de doublage de versions synchrones.
Outre les rôles principaux, pour lesquels un casting est proposé, un même comédien pourra être amené à doubler plusieurs rôles, comme des rôles d’ambiances par exemple"
Jean-Philippe CONTENT
Une fois le budget déterminé pour chaque comédien, on fixe un nombre de jours d’enregistrement. Pour cela, les studios prennent une décision en fonction du nombre de scènes à jouer et de leur complexité. "En moyenne, un 90 minutes va s’enregistrer entre 3 jours et demi et 5 jours", détaille M. Content, précisant que pour le cinéma "on prend plus de temps parce que ce ne sont pas les mêmes budgets et que les cachets comédien sont plus chers". Les journées d’enregistrement vont de huit à dix heures. Les films ne sont pas doublés selon leur chronologie. Les studios vont plutôt suivre les boucles et les passages de chaque intervenant.
Sauvegarde et envoi
Une fois l’enregistrement terminé, l’ingénieur du son va procéder au mélange des voix avec les sons et musiques de la VI. C’est l’étape du mixage dont sortira un mix VF 2.0 et/ou 5.1 qui sera recouché sur l’image du programme — image elle-même également francisée comme expliqué plus haut pour les inscriptions. Nous disposons alors d’un master numérique VF. "On l’exporte en format PAD [prêt à diffuser, ndlr] selon les normes correspondantes aux chaînes pour lesquelles le film/téléfilm ou la série est faite", explique M. Content. Il est ensuite envoyé au client après un ultime visionnage. Il s’agit alors de vérifier qu'aucun détail d’ordre éditorial ou technique n’est passé entre les gouttes. Une fois qu’il a reçu le PAD, le client fait ensuite un retour d’acceptation ou de refus au studio de doublage "en indiquant les éventuelles séquences, mots ou phrases qu’il souhaite modifier", signale le directeur commercial d’Imagine.
Piratage et sous-titres
Élément important : lors de l’envoi, "les studios de doublage doivent respecter des normes de sécurité établies en amont afin de lutter efficacement contre le piratage ou toute exploitation illégale du film", explique Jean-Philippe Content.
Dans le studio
Dans cet exemple, nous pouvons voir l’endroit où doi(ven)t se positionner le(s) comédien(s) qui double(nt). L’emplacement est marqué par un adhésif blanc. Cette distance n’est pas choisie au hasard. Elle est déterminée de façon à ce que le(s) comédien(s) puisse(nt) correctement voir les scènes et lire la bande rythmo virtuelle qui défilent à l’écran — qui se trouve à gauche mais que nous n’avons pas été autorisés à filmer. Le micro (ajustable) dans lequel les comédiens parlent se trouve en hauteur.
Du haut de son perchoir (sur la photo ci-dessus), le directeur artistique et l’ingénieur du son admirent la prestation et jugent si elle est validée ou à refaire.
Vous êtes maintenant incollable sur la conception d'un doublage en français à partir d'une version étrangère.