À l'approche des fêtes, les installations lumineuses se multiplient en Ile-de-France et attirent des dizaines de milliers de spectateurs. Cette année, un nouvel événement s'est installé au parc floral du bois de Vincennes : "Les sentiers lumineux", qui parcourent vingt-deux oeuvres monumentales pendant près d'une heure. L'occasion de se détacher du réel par la lumière.
Le fuchsia tranche sur la nuit noire. Sur le lac du parc floral du bois de Vincennes (Paris 12e), les lys géants viennent d'un autre monde. En arrière-plan, l'orée bleue termine l'illusion, celle de ne plus être tout à fait sur Terre en cette veille d'hiver. Depuis près d'un mois, les visiteurs s'empressent dans ce jardin botanique, chaque soir, de 17h30 à 21h, ils viennent parcourir ces deux kilomètres de rêverie, têtes levées dans le jardin des lasers, les yeux rivés vers les bonsaïs XXL et autres arbres chanteurs.
Les sentiers lumineux est le nouveau spectacle de lumière de cette période de fêtes, il s'ajoute au Lumières ! de la Villette, aux Mini-mondes du jardin des Plantes et aux scénographies du parc de Saint-Cloud. Des créations a priori en décalage avec les nécessités de sobriété de l'époque, mais éco-responsables, elles s'insèrent dans l'environnement à frais énergétiques réduits. Elles approvisionnent surtout un besoin vital chez tout à chacun, celui de fiction et d'ailleurs dans un monde qui force aux pieds sur Terre.
Redimensionner la nature
À la différence des créations exposées à la Villette, ces sentiers lumineux sont payants : 22 euros pour une place adulte, 14 euros pour un billet enfant. Des tarifs élevés - surtout qu'aucun prix réduit n'est proposé - mais pour ceux qui peuvent se le permettre, la rêverie est longue, riche de vingt-deux œuvres éparpillées sur une large partie des 35 hectares du parc. Elle démarre par ces formes géométriques bourrées de couleurs, le Tetra Park du collectif australien Mandylights, avant que de hautes pivoines hautes comme des maisons prennent la suite, signées par les français de Tilt.
Ainsi, sur deux kilomètres, les créations font la part belles aux végétaux : muguets titanesques, coquelicots volants, papyrus hallucinatoires, les plantes se déploient en musique, lumière plein phare sur les promeneurs. "La nature est notre inspiration principale", raconte François Fouilhé, "nous jouons de ces formes si parfaites, en décuplant les tailles, faisant passer une tige de fleur de quelques centimètres à une hauteur équivalent à plusieurs étages d'immeubles". Et l'artiste insiste sur sa création la plus délirante, l'Echynodermus, un arbre hirsute de plus de 12 mètres de haut : "l'enjeu est de se déconnecter du réel, de plonger dans la lumière dans ce cadre magnifique, loin de la vie urbaine".
La lumière, inspiration éternelle
"La lumière a toujours été une fascination pour les hommes", explique de son côté Céline Delavaux, autrice de Lumière - la lumière dans l'art contemporain (Palette éditions). L'essayiste remonte à la préhistoire, où les torches dans les grottes permettaient déjà de jouer avec cette matière "impalpable et mystérieuse". L'utilisation de la lumière artificielle date quant à elle des années 1950, peu ou prou en même temps que la naissance de l'art contemporain.
Des premiers tubes fluorescents de Dan Flavin aux installations immersives d'Olafur Eliasson à la Tate de Londres, c'est des décennies de lumières sculptées, modelées, projectées qui baliseront ensuite l'art contemporain. Il n'est donc pas surprenant pour Céline Delavaux de voir ces spectacles fleurir un peu partout ces dernières années, "nous passons nos vies devant des écrans, rien d'étonnant à ce que les artistes s'emparent plus que jamais de ces diodes pour prendre leur pouvoir à leur compte". L'engouement de la France pour ces light shows est cependant tardif selon François Fouilhé, "ces spectacles ont le vent en poupe depuis un moment à l'étranger, en Angleterre surtout".
L'art lumineux au temps de la sobriété
Mais comment créer en pleine crise énergétique, lorsque la lumière artificielle est notre outil ? À l'heure où les Français sont priés d'éteindre derrière eux et de réduire consommation, ces deux kilomètres de lumières grandioses peuvent paraître hors-sol. "Nous n'avons pas attendu la crise énergétique pour nous adapter sur le plan technique", place toutefois Aurélie Gandilhon, la productrice de l'événement qui espèrent 85.000 visiteurs pour cette première édition. "Les sentiers lumineux se sont déjà produits à l'étranger, nous réfléchissons à ces problématiques depuis longtemps, la quasi-totalité de l’installation est en éclairage led par exemple". François Fouilhé aussi tient à en finir avec les idées reçues, "ce n'est pas parce que c'est grand que ça use beaucoup, chacune de nos pivoines, aussi grosses soient-elles, n'ont une facture énergétique que d'un euro par jour". Et à l'artiste de placer un argument bien à propos : "nous, on éteint déjà autour de nous avant de venir avec des pinceaux de lumière, on est donc aussi au service d'une nouvelle vision".
Au vu du contexte cependant, de nouvelles mesures ont dû être prises : cinq dates ont été annulées en janvier (l'événement se termine le 2 au lieu du 7) et les portes ferment une heure plus tôt que prévu. Se pose alors forcément une question fondamentale, délicate, quasi philosophique : peut-on demander à un artiste d'être sobre ? "Je ne suis pas inquiète pour les créateurs", répond du tac au tac Céline Delavaux, "l'artiste saura toujours faire feu de tout bois".