Le 9 août 1982, un groupe terroriste faisait 6 morts et 22 blessés rue des Rosiers, en plein coeur du quartier juif de Paris. Quarante ans après cet attentat, une commémoration officielle aura lieu ce mardi. En présence de plusieurs rescapés et d'habitants du quartier.

D’ordinaire très fréquentée, la rue des Rosiers est quasi déserte en ce lundi du mois d’août. Les riverains sont en vacances, les boutiques ont baissé le rideau. Seuls les touristes étrangers arpentent cette artère pavée historique en plein cœur du Marais.

Parmi eux, des retraités allemands. Ils visitent Paris au pas de course avec un guide-conférencier et ne s’arrêtent que quelques secondes devant le magasin de vêtements situé au numéro 7. "Vous voyez cette devanture jaune ? C’est ici qu’a été tourné le film très célèbre avec Louis de Funès, Rabbi Jacob." Hochements de tête, sourires. Fin des explications. Pas un mot sur l’ancien restaurant Jo Goldenberg, véritable institution de la cuisine juive d’Europe centrale qui a fermé ses portes en 2006. Pas un mot sur l’attentat antisémite qui a fait ici six morts et 22 blessés dont 9 grièvement il y a 40 ans, comme le rappelle la plaque commémorative apposée discrètement sur la façade en damier. "Je suis là pour raconter des jolies histoires aux touristes, pas pour les effrayer", se justifie Lorens dont le groupe poursuit déjà ses pérégrinations.

Il faut dire que depuis 40 ans, d’autres attentats ont endeuillé Paris. Qu’en 40 ans, le quartier s’est métamorphosé pour devenir l’un des plus branchés de la capitale. Et que même rue des Rosiers, rares sont ceux qui ont conservé la mémoire de ce tragique événement à l’instar de Brigitte Lévy, 61 ans. "Je suis née ici. On habitait au-dessus du restaurant avec mes parents. Je me souviens très bien de Jo Goldenberg avec ses chiens", raconte la restauratrice en balayant sa terrasse. Ce 9 août 1982, à 13h15, elle était chez elle avec son nouveau-né lorsqu’un premier groupe de terroristes lance une grenade dans l’établissement. Puis qu’un deuxième pénètre à l’intérieur pour tirer sur la cinquantaine de clients avec des pistolets mitrailleurs. "On s’est tous mis à l’abri. Mais à l’époque, il n’y avait pas internet, pas de téléphone, on n’a pas compris tout de suite ce qui se passait. C’était la première fois que nous étions visés."

Brigitte Lévy se souvient surtout des jours qui ont suivi, du deuil, de l’angoisse. Comme Alain Korcarz, 71 ans, à la tête d’une boulangerie historique de la rue. "C’est gravé à vie, ça a été très difficile. On a tous essayé de trouver des armes : des scies, des couteaux, des revolvers, pour se protéger. Mais de qui ? On ne le savait pas." Ce jour funeste d’août 1982, sa mère livrait du pain dans le restaurant Goldenberg au moment de l’attaque. 

C’était une rescapée d’Auschwitz, elle a eu le réflexe de se cacher dans la cuisine. Puis quand elle s’est enfuie dans la rue, les terroristes ont couru derrière elle pour tirer en rafale. Mais elle a réussi à avoir la vie sauve.

Alain Korcarz

Une chance que n’ont pas eu Mohamed Benemmou, André Hezkia Niego, Grace Cutler, Ann Van Zanten, Denise Guerche Rossignol et Georges Demeter.

 "J’avais 16 ans et l’envie de continuer de vivre"

Guy Benarousse avait 16 ans à l’époque. Lui a été grièvement blessé dans l’attentat. "Je marchais tout simplement dans la rue, j’étais un adolescent à des années lumières de toute violence et je suis rentré dans une dimension irréelle." Le jeune-homme croit d’abord à un jet de pétards puis il voit des victimes à terre et court pour trouver un refuge. "Un des terroristes m’a vu et m’a tiré dessus pour me pulvériser la jambe. Je suis resté une vingtaine de jours à l’hôpital et des mois en rééducation. A l’époque, il n’y avait pas de prise en charge par la sécurité sociale, pas de fonds de garantie. Mes parents ont dû contracter un prêt pour payer toutes les factures d’hospitalisation. J’ai dû tout réapprendre, ma vie a été très compliquée. Mais j’avais 16 ans et l’envie de continuer de vivre. J’ai positivé. J’ai pu remarcher, mais bancal. Faire du sport, mais bancal." 

Aujourd’hui encore, Guy Benarousse est suivi pour ses douleurs à la jambe et un syndrome de stress post traumatique qui s’est aggravé à défaut d’avoir été traité il y a 40 ans. Des cauchemars, des insomnies, une hyper vigilance et des difficultés d’élocution avec lesquelles il a appris à vivre et dont il souhaite témoigner lors de la commémoration de ce mardi présidée par le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti, la première officielle. Guy Benarousse attend surtout que les coupables de ce crime soient enfin jugés. 

"Il nous faut des réponses. Vous ne pouvez pas vivre dans une société où il y a des sanctuaires pour les terroristes. Quand vous avez un déni de justice, vous n’avez plus rien."  

Guy Benarousse

L’attentat de la rue des Rosiers a très vite été imputé au groupe d’Abou Nidal, des membres du Fatah-Conseil révolutionnaire palestinien. Mais il a fallu attendre 2020 pour qu’un premier suspect, soupçonné d’être l’un des tireurs, le norvégien Walid Abdulrahman Abou Zayed, ne soit placé en détention provisoire. Il est actuellement dans l’attente de son procès en France. Les juges d’instruction pensent également avoir identifié trois autres suspects, deux localisés en Jordanie, dont le cerveau présumé de l'attentat, et un troisième en Cisjordanie. La Jordanie a refusé à plusieurs reprises leur extradition.

"On a le sentiment que la justice a du mal à faire son travail, ce qui empêche par conséquent les victimes de faire leur travail de deuil, regrette Yonathan Arfi, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). Nous souhaitons que l’on aille désormais au plus vite vers un procès. Que la France pèse diplomatiquement pour que les suspects soient extradés. Et que l’on comprenne pourquoi cela a pris autant de temps. Que l’ensemble des archives soient ouvertes. 40 ans ! Il y a encore un certain nombre de victimes. Il est important que cela soit jugé."

Une volonté partagée par les anciens du quartier dont Alain Korcarz. "Même 40 ans après, c’est important. Il y a des gens qui souffrent encore aujourd’hui. Il n’y a pas de prescription pour ça."

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