Au cimetière du Père-Lachaise, les tombes les plus insolites entre rituels, légendes urbaines et symboles ésotériques

Alors que les allées boisées du Père-Lachaise attirent de nombreux Parisiens et touristes tout au long de l'année, Bertrand Beyern, "nécrosophe", continue d’y proposer régulièrement des visites guidées. L’occasion de partir à la recherche des sépultures les plus étonnantes du cimetière.

"On s’y perd. Le Père-Lachaise, c’est l’éloge de la surprise… On met un quart d’heure à le traverser, mais une vie à en faire le tour", prévient Bertrand Beyern en entrant dans ce labyrinthe de chapelles et de stèles, qui compte 15 kilomètres d'allées. Conférencier et écrivain, il se présente comme nécrosophe, spécialiste des cimetières. "Probablement personne dans le monde n’a vu plus de tombes que moi", explique-t-il.

Après avoir parcouru une multitude de sites funéraires partout en France et autour du globe, cette encyclopédie vivante accepte de nous faire découvrir les tombes les plus insolites du lieu. Jim Morrison, Edith Piaf, Frédéric Chopin, Edith Piaf… Au-delà de ses locataires les plus connus, le Père-Lachaise accueille environ 70 000 tombes. Avec, parmi elles, des monuments étranges ainsi que des histoires curieuses et parfois méconnues.

La pyramide de Félix de Beaujour

La promenade commence par "le plus haut tombeau de France" : la sépulture du diplomate Félix de Beaujour (division 48), mort en 1836, qui ressemble de loin à un phare. "Ça mesure 21 mètres de haut, c'est très ithyphallique. Quand j'étais gosse, Félix de Beaujour était un inconnu, aujourd'hui il est wikipédié. La tombe a été conçue à sa demande, de son vivant, à l'endroit le plus éminent du cimetière, ça domine la capitale", raconte Bertrand Beyern.

"On l'aperçoit depuis la tour Eiffel, la tour Montparnasse, ou encore le Sacré-Cœur. Il y a peut-être ce désir de voir le cimetière comme une session de rattrapage, pour s'assurer une postérité - et le pari est gagné, on continue de citer son nom. Peut-être, aussi, l'envie de nourrir certains complexes", ironise-t-il.

Les dolmens du spirite Allan Kardec et de son successeur Pierre-Gaëtan Leymarie

La tombe d’Allan Kardec (division 44), fondateur du mouvement spirite et auteur du Livre des Esprits, est, elle, "la plus fleurie" du Père-Lachaise. "Il est mort en 1869, ou plutôt il s’est désincarné, selon les mots du spiritisme, retrace le nécrosophe. Son dolmen est orné d'un buste à l'expression très magnétique, qui est visité en permanence. Côté gauche, on ne dépose jamais de fleurs, les gens sont nombreux à vouloir poser leur main sur l'épaule du buste en formant des vœux, et en espérant que ça va favoriser l'intercession. C'est un rituel qui s’est développé par mimétisme, les cimetières sont des lieux de codes et de signes."

100 mètres plus loin, on trouve la sépulture du continuateur de l'œuvre d'Allan Kardec, Pierre-Gaëtan Leymarie (division 70), mort en 1901. "Le monument, qui est aussi en forme de dolmen, rappelle celui du maître, mais en proportions réduites. Le fleurissement est relativement discret en comparaison", remarque Bertrand Beyern.

Le navire d’Imre Nagy

Contrairement à la plupart de ses voisines, la tombe d’Imre Nagy (division 44) est vide. "On appelle ça un cénotaphe. Imre Nagy était un premier ministre réformateur hongrois dans les années 50, qui a tellement réformé son pays que les chars soviétiques sont intervenus à Budapest en octobre 1956. Il a été exécuté. Le monument représente le navire de la liberté, dont le mât s'est brisé", explique le spécialiste.

Le pilote Léon Théry, au volant de sa tombe

"C’est un petit monument de kitsch, sourit Bertrand Beyern en passant devant la sépulture de Léon Thery (division 91). C’était un pilote automobile français, mort d’une maladie avant ses 30 ans, en 1909. Il est représenté avec son casque, ses lunettes, sa moustache typique de l'époque et ses manches bouffantes, le tout à son volant… Au cimetière, l’essentiel ce n’est pas la mort mais le souvenir. Devant cette tombe, on n’est pas triste : le monument nous révèle que cet homme a vécu. Les morts le sont moins quand on dit encore leur nom."

Oscar Wilde et le rituel du bisou

C’est l’une des tombes les plus fréquentées du Père-Lachaise : la sépulture d'Oscar Wilde (division 89). "C’était aussi la plus embrassée, avant d’être détrônée par celle d’Alain Bashung, indique le nécrosophe. Son corps a été transféré au Père-Lachaise en 1909, 9 ans après son décès. Le monument est très impressionnant, avec un ange qui rappelle les sphinx et les taureaux assyriens."

"Il y a une vingtaine d'années, un nouveau rituel est apparu : le bisou, le smack au rouge à lèvres à même la tombe, poursuit-il. Il y a eu une telle profusion que l'administration a installé une vitre pour la protéger. Désormais, les promeneuses, et parfois les promeneurs, embrassent la vitre.

L’entrejambe de Victor Noir, "la plus frotée" du cimetière

"Victor Noir, Yvan Salmon de son vrai nom, était un jeune journaliste, raconte Bertrand Beyern, un peu plus loin (division 92). C’est un martyr de la cause républicaine : il est mort en 1870, abattu à bout portant par le prince Pierre-Napoléon Bonaparte. La statue le montre allongé, après avoir été tué."

"Sauf qu'il y a une proéminence phallique parfaitement visible, ajoute-t-il. Ça n'a fait rire personne pendant un siècle. Et puis peu à peu, dans les années 70, une légende urbaine est apparue : venir frotter les attributs de Victor Noir favoriserait la fertilité et ranimerait les virilités défaillantes. Le bronze est également patiné au bout des chaussures, ainsi que sur le nez, les lèvres, le menton, et au niveau de l'impact de la balle sur la poitrine."

La chaise de Mireille Albrecht

Autre sépulture insolite, mais moins célèbre : la tombe de Mireille Albrecht (division 39), fille de la résistante Berty Albrecht. "Elle a été elle-même résistante. Cette femme a eu une vie très singulière, elle a notamment fréquenté Léo Ferré. Ce curieux monument, qui date de 2007, est, selon ses proches, à l'image de sa vie : en perpétuel déséquilibre, mais avec une base solide", résume le spécialiste.

Le temple grec de la famille Demidoff et l’arc de triomphe d’Elias Nahra

Perchée sur les reliefs du Père-Lachaise, la chapelle des Demidoff (division 19) est l’une des plus remarquables. "C’est une famille russe fortunée, dont l’un des fils a épousé la princesse Mathilde, la nièce de Napoléon, explique Bertrand Beyern. Ils avaient notamment des mines en Sibérie. Le soubassement est d’ailleurs orné de marteaux de batteurs d'or, mais aussi de martres de Sibérie, et de loups russes en guise de gargouilles. Au-dessus, c’est un temple grec."

La chapelle de la famille Demidoff, qui prend la forme d'un temple grec. @ Pierre de Baudouin

Autre sépulture qui tranche, mais beaucoup plus récente : l’arc de triomphe en marbre d’Elias Nahra (division 62), inauguré l’été dernier. "C’était un entrepreneur libanais, mort d’une crise cardiaque en 2020 à 49 ans. Il est statufié sur sa tombe. L’autre statue, c’est Saint Elias. Ce type de tombe spectaculaire est de plus en plus rare. L’arc de triomphe fait référence au nom de la société d'agents de sécurité qu’il dirigeait, Triomphe Sécurité", précise le spécialiste.

L’appareil photo géant d’André Chabot 

"C’est le plus grand photographe de tombes que l’on puisse rencontrer, et c’est un ami, raconte Bertrand Beyern devant la (future) tombe André Chabot (division 20), aujourd’hui âgé de 82 ans. Il est également plasticien. Il a remis en état cette chapelle, et a installé à l'intérieur un autel formé de deux cercueils - l'un pour lui, l'autre pour sa femme. La table de l'autel est un album, surmonté de son appareil photo, un Leica. Il vient régulièrement se regretter devant sa tombe, ou passer un coup de balai. Le monument, qui affiche un code QR qui renvoie vers son site, a été inauguré en 2013."

La "tombe énergétique" de Jean-Paul Clemente

Après presque deux heures de déambulation, Bertrand Beyern conclut devant la future tombe de Jean-Paul Clemente (division 62), un magnétiseur qui pratique la lithothérapie - une pseudo-science qui attribue des pouvoirs de guérison à certains cristaux.

"D’après l’épitaphe, il est né en 1951, note le spécialiste. Le monument est présenté comme une sépulture énergétique, qui doit favoriser l'ouverture des chakras. Elle est ornée de symboles ésotériques. Je ne me suis jamais prêté à l'expérience."

Les tombes du Père-Lachaise sont répertoriées sur une carte du site officiel du cimetière. Quant aux visites de Bertrand Beyern, les dates sont régulièrement annoncées sur son site.

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