Pas question de chômer pendant l'épidémie de la Covid-19. Les équipes s'affairent dans les réserves du musée où près d'un million de pièces sont entreposées. Un travail de conservation et de restauration titanesque.
L'endroit exact est tenu secret. Tout juste peut-on dire qu'il se situe quelque part en région parisienne. Pourquoi une telle discrétion ? Car le lieu héberge des centaines de milliers d'objets d'arts. Il va sans dire qu'il faut montrer patte blanche et franchir divers sas de sécurité pour y entrer.
"Ne vous perdez pas, vous le pouvez vraiment", prévient d'emblée Florence Bertin, responsable du département des collections du Musée des Arts Décoratifs. Car derrière les portes blindées se cache une partie des collections du musée.
Bien loin du prestige et de la beauté du Musée des Arts Décoratifs qui occupe une aile du palais du Louvre, le site visité - qui fait 5 000 m² - est l'une des trois réserves externalisées du musée. Elles regroupent des pièces textiles, de verre, de la publicité ou des jouets du Moyen-Âge à l'époque contemporaine.
À l'entrée, une collection d'armes anciennes côtoie des milliers d'affiches publicitaires. "Voilà une des plus belles collections de cloisonnées (une technique d'orfèvrerie, ndlr) de France, du XVIIIe et XIXe siècle, détaille Florence Bertin. Les objets sont posés sur des matériaux neutres et rangés dans des placards. Là on peut dire que les collections sont en sécurité, on peut les étudier, travailler dessus. C'est en ce sens qu'il s'agit du cœur du musée. C'est à partir de ce fond absolument incroyable que sont constituées la plupart de nos expositions".
"Exposer 350 000 objets, cela n'aurait aucun sens"
Car les visiteurs ne peuvent voir (que) 7 000 pièces lorsqu'ils visitent le Musée des Arts Décoratifs. "Exposer 350 000 objets, cela n'aurait aucun sens, personne ne serait intéressé pour voir autant de pièces. En revanche, cela permet de faire vivre la collection et permet des recherches passionnantes. Les musées dans lesquels toutes les œuvres sont exposées sont en général les châteaux-musées. Quand on commence à parler de dizaines ou centaines de milliers, ce n'est pas exposable en l'état. Pensez à l'archéologie, seuls quelques objets sur plusieurs millions recensés sont présentés", explique cette responsable du département des collections.
Mais n'allez pas croire que les œuvres sont simplement posées sur des étagères en attendant d'être exposées. Ici elles sont récolées, c’est-à-dire que toutes les informations concernant leur localisation, leur état de conservation et leur enregistrement dans la base de données sont vérifiées. Un travail gigantesque au regard de l'importance des fonds. Pour la collection de boiserie, il a fallu plus de 4 ans pour effectuer ce travail qui doit être mené tous les 10 ans pour l'ensemble de la collection. Outre l'examen de chaque œuvre, il faut parfois simplement les retrouver, ce qui peut prendre plusieurs heures.
Le récolement décennal permet aussi de vérifier l'état de conservation des œuvres du musée. Pour la collection des poupées Peynet par exemple, chaque jouet a droit à sa boîte en carton neutre pour empêcher l'acidité qui existe dans les cartons communs d'endommager les objets à long terme. "On a changé tous les conditionnements pour leur mettre des matériaux stables. Cela n'empêchera pas la mousse de se dégrader mais cela ralentit les processus. En une semaine, des étudiants ont reconditionné les 50 poupées. Ce travail de réserve, c'est un travail de fourmi, il avance petit à petit", poursuit Florence Bertin.
Techniques novatrices
Autre domaine prisé des visiteurs : les vêtements de mode. Pour les préserver, d'intenses réflexions sont menées et les robes les plus fragiles ont droit à des cintres faits sur mesure.
"Il faut que cela soutienne le mieux possible le vêtement que l'on ne peut pas forcément mettre à plat. Il y a une réflexion sur le volume pour savoir comment on le conserve. Pour un mannequinage (la conception d'un support à la mesure du vêtement, ndlr), il faut passer une bonne journée pour un seul costume. Pour nous, chaque collection est une expérience différente", détaille Myriam Tessier, chargée de conservation préventive.
Chaque cintre est modelé et appartient donc à une œuvre. Une technique inspirée du travail de Dior qui a été novateur dans ce domaine. "Avant, les vêtements étaient placés sur des cintres normaux. Certaines choses ont été dégradées parce que le cintre n'était pas du tout adapté notamment au problème des épaules pour une robe qui est lourde dans le bas comme celles des années 1920 où il y a des broderies", raconte-t-elle.
Adopter des pratiques écologiques
Le temps qui passe n'affecte pas seulement les œuvres, il permet de faire ressortir des problématiques comme celle de l'environnement.
"Depuis une dizaine d'années, on essaie de faire plus attention aux matériaux que l'on utilise. Il y a eu une ère où les emballages étaient forcément en plastique. On essaie maintenant d'avoir une réflexion pour avoir des matériaux moins dérivés du pétrole", explique Aude Mansouri, restauratrice de textiles.
La non-biodégradabilité de ces matériaux est en revanche un atout majeur pour la conservation des objets. Réputés comme étant très stables, ils permettent de mieux contrôler le vieillissement de certains objets parfois très anciens. Il en est de certaines pièces historiques comme le soulier de Marie-Antoinette, récupéré par un gendarme lors de son arrestation avec Louis XVI en juin 1791 et exposé de temps à autre par le musée.
Mais l'espace vient à manquer pour stocker ces pièces. "Nous sommes arrivés au bout de ce que l'on peut faire dans cet espace-là. Comme beaucoup de mes collègues, nous sommes en train de chercher des mètres carrés, cela fait deux ans que l'on cherche vraiment une solution", continue-t-elle.
En attendant, chaque année, des milliers de pièces sont acquises par le musée. "On doit continuer à acquérir parce que cela fait vraiment partie de ce qui rend une collection vivante. Si elle ne s'enrichit pas, on ne peut plus faire d'études, de comparaisons", indique Florence Bertin.
Les visiteurs devront attendre encore un peu pour franchir les portes du musée. Les seuls privilégiés qui peuvent se rendre dans les réserves sont des universitaires ou des conservateurs.