Rares sont les expositions qui se concentrent sur la jeunesse des artistes devenus célèbres et pourtant les premières œuvres peuvent révéler le peintre en devenir. C'est le cas pour Gustave Courbet avec une exposition exceptionnelle au musée d'Ornans. Une première !
Le Louvre, Orsay, le Petit Palais, Carnavalet... Si de prestigieux musées parisiens ont accepté de prêter leurs œuvres au musée d'Ornans, c'est parce que les intentions de cette nouvelle exposition du musée Courbet d'Ornans sont particulièrement intéressantes. Voici trois raisons d'aller la découvrir avant le 20 avril 2025.
Retourner aux sources pour rétablir la réalité
Gustave Courbet aime brouiller les pistes. Pour les historiens de l'art, c'est assez complexe de connaître précisément le parcours de l'enfant d'Ornans. À l'occasion de cette exposition, l'Institut Courbet revient sur certaines idées reçues. Voici une découverte intéressante.
Jusqu'à présent, les spécialistes du peintre pensaient qu'il était parti d'Ornans à 20 ans pour étudier le droit, Courbet l'avait lui-même écrit dans l'une de ses nombreuses lettres. Une archive, exposée pour la première fois dans un musée, dévoile une autre intention. On doit cette trouvaille à Jean-Luc Gannard. Ce membre de l'Institut Courbet a épluché des liasses entières de souches de passeport, conservées à la médiathèque d'Ornans.
Et là, presque par hasard, le passionné tombe sur une pépite ! Un des premiers passeports de Gustave Courbet, il date de 1839, l'année où il part à Paris. À cette époque, pour sortir de son département, il fallait un passeport., il doit avoir ce document signé par son père, car il est encore mineur.
Cette découverte est importante à plus d'un titre. Sur ce document administratif, on peut lire la profession que Courbet indique : "peintre" et non étudiant en droit. Un détail qui en dit long sur la volonté du jeune homme.
Juste au-dessus de ce passeport, le visiteur peut voir pour la première fois un petit tableau qui vient d'une collection privée. Le peintre a représenté la vallée de la Loue. "Il s'agit d'une magnifique étude de ciel. (...) explique Benjamin Foudral, directeur et conservateur du musée et Pôle Courbet, Courbet révèle ici sa grande sensibilité aux éléments naturels. Il dépasse déjà les formes assez conventionnelles adoptées par le père Beau (son professeur) dans sa Vue d'Ornans, peinte vers 1835." L'œuvre a été peinte avant son départ à Paris.
Un éclairage sur le processus créatif
Le visiteur n'aura que quelques mètres à parcourir pour éprouver un saisissant rapprochement. À peine sorti de la première salle évoquant la jeunesse du peintre à Ornans, le visiteur prend conscience du travail accompli par l'artiste juste entre 1839 et 1844. Courbet l'écrit à ses parents en février 1844. "Si vous croyez que je m'amuse, vous avez bien tort. Depuis plus d'un mois je n'ai réellement pas eu un quart d'heure à moi". Trois ans seulement sépare les petits paysages du Doubs et la sublime étude de nu prêté par le musée des Beaux-Arts de Reims.
Au fil de la visite, on prend conscience des tâtonnements et des recherches du peintre. C'est fabuleux de voir comment un jeune artiste se cherche même si, avec Courbet, rien est évident. L'un de ses premiers biographes, Georges Riat décrit les premières œuvres de l'artiste comme "variée et contradictoire, reflétant ainsi le conflit d'idées, qui s'agitaient dans son esprit en sens divers, et durant lequel s'élaborait peu à peu, inconsciemment, son esthétique particulière".
Pour revenir au plus près de la réalité, rien de tel que les rayons X. Une salle entière de l'exposition est dédiée aux autoportraits du peintre réalisés entre 1840 et 1845. Côte à côte, les tableaux et leurs radiographies. Grâce aux recherches des spécialistes du C2RMF, le Centre de recherche et de restauration des musées de France, nous pouvons observer comment Courbet a rectifié certains de ces tableaux.
Avec une histoire inédite. Si l'on n'y prend pas garde, on pourrait passer devant un petit tableau de l'exposition sans y prêter vraiment attention. Cette huile sur toile date de 1842, elle s'intitule le Rétameur. Habituellement, elle est présentée dans la collection permanente du musée.
Bruno Mottin, commissaire scientifique de l'exposition et conservateur honoraire du patrimoine au C2RMF, a pris le temps de s'asseoir devant, de "pénétrer dans le tableau comme en se mettant à la place de l'artiste". Là, il découvre que Courbet a effacé une femme ! Avant la retouche, Gustave Courbet s'inspire des "scènes moralisantes du XVIIIe siècle" pour représenter une mère qui incite ses enfants à faire connaissance avec des gens plus pauvres qu'eux. Finalement, le peintre effacera la mère. "Il a choisi de l'éliminer, explique Bruno Mottin, pour affirmer une tendance plus tournée vers le réalisme, avec moins de force moralisante et une représentation plus proche de la réalité, de l'existence. C'est le futur peintre réaliste dont on voit ici les prémices".
Une place charnière dans l'histoire de l'art
C'est effectivement impressionnant de voir comment Courbet se cherche et finit par se trouver avant de devenir le maître du réalisme, une étape cruciale de l'histoire de l'art entre romantisme et impressionnisme. Le visiteur saisit facilement l'ambition qui anime Courbet. Dans un courrier adressé à ses parents en avril 1845, il assure " Je veux faire de la grande peinture.(...) Ce qui est sûr, c'est qu'il faut qu'avant cinq ans j'aie un nom dans Paris. Il n'y a pas de milieu, car je travaille pour cela. C'est dur pour en venir là, je le sais, et il y en a peu car sur des milliers, il n'y en a qu'un, des fois, qui perce".
Cette exposition raconte comment un fils d'exploitant agricole "parvient à se hisser au sommet du monde de l'art au milieu du XIXe siècle, se positionnant comme chef de file de la nouvelle peinture réaliste et impulsant l'art moderne".
C'est bien cette place de Courbet dans l'histoire de l'art qui donne toute la force de cette exposition. Benjamin Foudral, directeur et conservateur du musée et Pôle Courbet rappelle que "Courbet fait partie d'une nouvelle génération d'artistes qui naissent à un moment où naissent aussi les musées, où ces établissements s'ouvrent à tout le monde".
Dès son arrivée à Paris, le jeune Gustave est venu copier les grands maîtres de la peinture au Louvre. Titien, Corrèges, Rembrandt, Rubens, "une école du regard" précise Dominique de Font-Réaulx, conservateur général au Louvre. Parmi ces maîtres, Guido Reni. Son "Christ au roseau" a été prêté par le Louvre.
Et, pour la première fois, on peut voir la copie de Courbet à côté de l'Ecce Homo peint vers 1636. "C'est un dévoreur d'images" raconte Dominique de Font-Réaulx, "Courbet a le musée comme horizon. Un horizon pour lequel il sait qu'il travaille pour cette postérité. (...) Il sait bien, il a l'intuition déjà en jeune peintre très orgueilleux et très sûr de son talent, qu'il trouvera place un jour ou l'autre dans ces collections qu'il admire". C'est toute la fulgurance de ce talent qui est donnée à voir au musée Courbet d'Ornans.