BD : Etes-vous sûr de connaître Mary Jane, surnommée la française et cinquième victime de Jack l'Eventreur ?

Enfin ! Près de trente ans après sa première idée, Frank Le Gall publie Mary Jane, 5e victime de Jack l'Eventreur, surnommée la française après un séjour à Paris. Une réussite pour l'auteur de Théodore Poussin, multiprimé à Angoulême. En même temps, il publie un premier roman déroutant : La Cantina

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Amateurs de sensationnel, vous pouvez passer votre chemin. De Jack l’Eventreur, il ne sera pas vraiment question dans cet album. Certes, la protagoniste de l’intrigue imaginée par Frank Le Gall est la cinquième et dernière des victimes officiellement attribuées à ce serial killer : Mary Jane Kelly, née en 1863 à Limerick en Irlande du Sud. Et une partie du scénario s’appuie sur les témoignages recueillis par la police lors de l’enquête criminelle qui a suivi la découverte de son corps atrocement mutilé, en novembre 1888.

Mais Franck Le Gall n’entend pas dans cette BD Mary Jane (Futuropolis) apporter sa propre solution à l’énigme qui entoure l’identité d’un meurtrier, dont la brutalité continue de fasciner. Son projet apparaît bien plus intéressant : montrer que cette jeune femme de 24 ans ne décède pas seulement sous les coups d’un individu qui ne reconnaît plus en l’Autre un être humain ; qu’elle est surtout la victime d’un système qui la dépasse, censé apporter le progrès, mais qui en réalité charrie son lot grandissant de misères : la Révolution industrielle. Toute ressemblance avec la période actuelle qui conduit des femmes et des hommes à cumuler plusieurs travails pour tenter de vivre n'est surement pas fortuite. A chaque époque, son lot de revendications sociales et de désillusions.

 

Une vie exemplaire

L’album part en effet des quelques informations avérées que nous possédons sur la vie de Mary Jane Kelly pour construire un parcours de vie symbolique : celui des femmes des classes ouvrières dans l’Angleterre victorienne. Cette jeune épouse de 19 ans voit sa paisible vie basculer le jour où son mari meurt dans la mine qui l’emploie. Désormais livrée à elle-même, elle quitte le village gallois où elle vit pour se rendre à Londres, dans l’espoir d’y trouver un travail qui lui permettra de vivre honnêtement. La ville regorge toutefois de nombreux pièges, et les rencontres qu’elle y fait la conduisent bien malgré elle vers la prostitution.
Après réussi à échapper à la  tenancière d'une maison close londonienne, Mary Jane devient la française lors d'un court séjour à Paris. Désormais, elle décide de se faire appeler Marie-Jeannette. Mais à son retour à Londres, sa recherche d'indépendance la ramène sur les trottoirs de Saint-James.
Sur sa tombe, au Saint-Patrick Catholic Cemetery à Londres, on peut lire ceci :

IN LOVING MEMORY OF
MARY JEANNETTE KELLY
NONE BUT THE LONELY HEARTS
CAN KNOW MY SADNESS
LOVE LIVES FOREVER

Rien de sensationnel donc, dans cette biographie fictive, pour qui possède déjà quelques connaissances historiques sur le sort des femmes dans les milieux pauvres de cette époque. Pour les autres, la confrontation avec un univers social dans lequel le corps de la femme est une marchandise comme une autre.

Franck Le Gall parvient à créer une histoire bouleversante, empreinte d’une réelle empathie pour le personnage de Mary Jane. Les dessins de Damien Cuvillier contribuent à renforcer ce point de vue résolument féministe.

 

Trente ans de réflexions

Cet album aurait pu ne jamais voir le jour. Dans les années 80, Frank Le Gall a acquis une grand notoriété avec la création de son héros, un visage rond et des lunettes : Théodore Poussin à mi-chemin entre Tintin et Corto Maltese.

Publiée au départ dans Le Journal de Spirou, l'histoire est celle d'un jeune marin de Dunkerque qui navigue en aventurier en Asie pendant l'entre-deux guerres. Cette série (déjà 13 tomes) a reçu deux fois l'Alph-art à Angoulême et deux autres prix pour la qualité de ses albums

 

Les histoires ont parfois leur histoire. Et celle-ci est une histoire patience, de confiance, de courage - de coeur, en somme.

Changement complet d'univers et d'époque pour le roman graphique Mary Jane. Au départ, il avait en tête un simple projet, comme il l'écrit dans la postface : "La première idée m’est venue en 1987. Il s’agissait alors de l’histoire d’une jeune Anglaise issue du milieu ouvrier du XIXème siècle. Ce n’était qu’une petite étincelle et j’avais intitulé ce projet vague Le dernier Chapitre."
Puis, la lecture dix ans plus tard d’un essai de Stéphane Bourgoin, Le Livre rouge de Jack l’Eventreur, conduit Franck Le Gall à s’interroger sur le peu de cas que l’on fait habituellement des femmes qui par malheur ont croisé la route du meurtrier de Whitechapel :
"Si l’affaire me fascinait, quelque chose me chiffonnait dans tous ces livres : on faisait grand cas de Jack l’Eventreur et de son identité ; j’irai jusqu’à dire qu’il y était l’objet d’un culte malsain, qu’il en était le héros. Mais les victimes ? "

"C’est ainsi que Le dernier Chapitre est devenu Mary Jane."
La genèse de cet album ne s’arrête pas là. Elle connaîtra d’autres péripéties. Jusqu’à la collaboration fructueuse avec le jeune dessinateur Damien Cuvillier (La Guerre des Lulus - Casterman).

 

Un scénario ingénieux

L’album Mary Jane opère avec beaucoup d’adresse une synthèse des deux grands types narratifs nés au XIXème siècle : le récit réaliste à caractère social et le roman policier à énigme de type chambre close.

Les planches qui évoquent les témoignages recueillis à l’époque par les enquêteurs - des témoignages parcellaires et parfois contradictoires - font écho à la nouvelle d’Edgar Allan Poe, Double Assassinat dans la rue Morgue. On retrouve un jeu identique avec une narration parcellaire, voire contradictoire. Au final une idée astucieuse pour rappeler que le mystère de l’identité de Jack l’Eventreur n'a jamais été résolu avec une totale certititude.

 

Qui est vraiment Peter Snakesman ?

L'idée est que ce personnage est une sorte de figure d’arriviste, qui oscille entre différentes sphères sociales, à l’aise dans les bas fonds mais aussi avec ses entrées dans la bonne société. Un personnage qui sert de guide à l’héroïne dans sa découverte de la géographie londonienne, entre les lumières des quartiers festifs et les ombres des quartiers de misère.

Un personnage qui joue un rôle de premier plan dans le destin de l’héroïne - et sans doute un rôle plus implicite suggéré par le motif du mouchoir rouge qui traverse la BD, et qui trouve tout son sens dans la dernière planche.

 

La Cantina, un premier roman dans le désert mexicain

Frank Le Gall a mis également près de 30 ans pour finir d'écrire son premier roman La Cantina (Alma Editeur). Un livre surprenant avec des trognes et des personnages hauts en couleur. Le Téquila, ils en parlent au masculin. Et d'ailleurs ils ne font pas qu'en parler car la boisson irrigue le récit imbriaque des quatre personnages de La Cantina, une buvette perdue dans le désert mexicain. Quatre naufragés de la vie qui se retrouvent et construisent ensemble un monde à leur convenance autour d'un cactus géant aux formes cartoonesques de candélabre. Comme l'auteur le confie au blog qui lui est dédié : "Dans ce roman on retrouve quelques-uns des thèmes chers dans son oeuvre en BD - la recherche de l'identité, la perception de la mémoire, les manipulations psychologiques et la tentation d'échapper à son destin." Des thématiques que l'on apprécie beaucoup de retrouver bien sûr dans la série Théodore Poussin (Dupuis), mais aussi dans l'album Mary Jane (Futuropolis).

 

 

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