Alors que le pouvoir d’achat et l’inflation restent au cœur des préoccupations et des débats à l’approche des élections européennes, comparez votre salaire et votre niveau de vie grâce à nos outils. Derrière ces chiffres, un enjeu politique : comment les revenus et les inégalités jouent sur la façon dont nous votons ?
Combien gagnent les Franciliens ? Si l’Île-de-France est la région la plus riche du pays, c’est aussi un territoire particulièrement inégalitaire en termes de revenus. Un enjeu au cœur des préoccupations face à la hausse des prix, et alors que la part des salariés au SMIC atteint un niveau historique.
En région parisienne, la moitié des salariés gagnent moins de 2 534 euros par mois. Et lorsqu’on observe la répartition des salaires du côté des plus pauvres et des plus riches, 10% des salariés gagnent moins de 1 454 euros par mois, tandis que 10% gagnent plus de 5 657 euros par mois.
Quant au niveau de vie médian en Île-de-France, on remarque de larges différences selon les territoires. Il est par exemple de 29 730 euros par an à Paris, contre 16 330 euros à Bobigny ou 20 480 euros à Etampes.
"En Île-de-France, les pauvres sont assez dépolitisés"
A l’approche des européennes, organisées les 8 et 9 juin prochains, comment le niveau de revenus peut-il impacter l’issue d’une élection ? Le premier enjeu reste la participation. "Plus vous avez de ressources financières, de ressources cognitives, et de temps, plus vous êtes amenés à aller voter. Et moins vous avez de revenus, moins vous allez voter", explique Cal Le Gall, chercheur en sciences politiques à l'université de Salzbourg, en Autriche. "Une maman qui vit seule avec trois enfants en banlieue parisienne a en général plus d’incitation à s'occuper d’autre chose que de politique. Le niveau de revenus est un indicateur de marginalisation politique. Il est corrélé au niveau d’éducation et au niveau d’intérêt politique", résume-t-il.
"On dit souvent que le premier parti de ceux qui ont le moins de revenus, c’est celui de l’abstention, poursuit-il. Surtout en Île-de-France : les pauvres qui vivent en région parisienne ne sont pas les mêmes pauvres qu'en Moselle par exemple. En Île-de-France, les pauvres sont assez dépolitisés. S’ils votent, ils votent plutôt à gauche, en se mobilisant sur une base antiraciste et des considérations sociales."
Concernant les effets de revenus sur le vote, le chercheur souligne d’ailleurs "des différentiels de plus en plus importants selon les régions" : "Dans les grandes villes, il y a de grosses inégalités et une très grande pauvreté pour une partie de la population, avec par exemple des femmes de ménage qui font trois jobs ou des livreurs Uber très précaires. Eux ont vraiment une tendance à ne pas voter, et sinon ils votent à gauche."
"En périphérie des grandes villes, il y a un effet géographique sur le déclassement, ajoute-t-il. Les gens les moins riches peuvent quand même avoir un certain patrimoine, tout en rencontrant des difficultés à payer l’essence par exemple, et peuvent ressentir du déclin social. Mais ils restent plus riches que les pauvres des villes. C’est la dimension rural - urbain, avec des expériences de vie assez différentes : dans les zones rurales ou semi-urbaines, il y a un plus gros bassin de mobilisation pour l’extrême-droite."
"Le fait de voter aux européennes est très lié à la position sociale"
Et comment votent les plus riches ? "Plus vous avez de patrimoine et de revenus, plus vous votez à droite. En Île-de-France, c’est assez particulier. A Paris, parmi la population riche, il y a pas mal d’élites intellectuelles qui peuvent voter centre-gauche. Mais en général ils ne votent pas pour les extrêmes", explique Cal Le Gall.
Quant aux inégalités économiques, elles peuvent avoir différentes conséquences. "Il y a deux types de théories. D’un côté, la perception d’un niveau croissant d’inégalité peut amener à une plus forte mobilisation politique, en créant de la colère, comme pour le mouvement des gilets jaunes ou même une révolution. Si la mobilisation augmente, le vote se porte plus vers les extrêmes - pour un parti qui n’a jamais été au gouvernement, un 'challenger party', ou surtout un parti 'anti-establishment', qui veut changer le statu quo", détaille le chercheur.
"Mais il peut aussi y avoir un effet d’aliénation politique. Face à un fort niveau d’inégalité, on peut se dire que la politique ne sert à rien de toute façon et que c’est réservé aux élites. Et la population avec moins de revenus va encore moins voter", nuance-t-il.
A noter enfin des effets différents selon les élections. "Pour les européennes, les différentiels de mobilisation qu’on observe déjà pour des scrutins nationaux de premier ordre comme la présidentielle sont magnifiés. Le fait de voter aux européennes est très lié à la position sociale et aux revenus : c'est une élection de riches politisés avec un fort capital culturel. Il y a un autre effet qui pousse à voter : le fait d’être très europhile ou au contraire très eurosceptique, par exemple pour l’extrême-droite", résume Cal Le Gall.
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"L’extrême-droite ne relève plus du tout d’un vote 'anti', protestataire, parce qu’on n’aime pas les autres partis, indique d’ailleurs le chercheur. La base électorale de l’extrême-droite est stable. Et il ne s’agit pas des plus pauvres des plus pauvres. Les électeurs d’extrême-droite ne sont pas les plus éduqués, ils n’ont pas le capital culturel le plus fort, mais ils se mobilisent." Pour les européennes, il note toujours un phénomène de "vote sanction", "avec, comme pour les élections de mi-mandat aux Etats-Unis, un vote contre le parti qui est déjà au pouvoir au niveau national".