Un appartement pour réfugiés LGBT a ouvert ses portes à Belleville dans l'est de Paris. Trois jeunes majeurs d’origine africaine victimes de violences homophobes y sont colocataires depuis un mois. Un dispositif pilote porté par des associations et soutenu par la mairie de Paris.
Rejetés par leurs familles et victimes de violences homophobes, Djyou* et Ndyai* ont fui leur pays, le Sénégal et la Côte d'Ivoire en raison de leur orientation sexuelle. Ils ont vingt ans, sont homosexuels et demandeurs d'asile en France.
J’ai fui mon pays en 2014 car je risquais d’être tué
"Toute ma famille est musulmane et n’acceptait pas mon homosexualité. Au Sénégal, c’est interdit. J’ai été maltraité, frappé, brulé. J’ai fui mon pays en 2014 car je risquais d’être tué", murmure Djyou. Comme beaucoup de migrants, la suite est un long parcours semé d’embûches et de souffrances. "Je n’ai pas mangé pendant plusieurs jours, je me suis caché en brousse, j’ai marché, j’ai évité les villes, les grandes routes, j’ai dormi dehors", témoigne-t-il.
Le jeune homme se retrouve dans l’immense camps de Moria sur l’Île de Lesbos en Grèce qui accueille 12 000 migrants et qui a été détruit par les flammes. Là encore, c’est une nouvelle déconvenue qui l'attend même si en Grèce, Djyou obtient le statut de réfugié. "Je pensais être en sécurité dans le camps mais cela n’a pas été le cas. Quand tu es homosexuel tu es rejeté. Il faut te cacher. Et puis tout était compliqué, la langue, le manque de travail. Je ne trouvais plus de sens à ma vie. Peut-être valait-il mieux mourir ?", confie Djyou. Il rejoint la France mais là aussi, il est une nouvelle fois confronté à l’homophobie qui existe dans les centres d’hébergement pour demandeurs d’asile. "Dans les centres d’hébergement, il y a beaucoup d’Africains, ils vous parlent mal ou vous frappent. On doit cacher notre orientation", explique t-il.
L’homophobie, le rejet familial, l’exil, puis la rue et ses violences ont également été le quotidien de Ndyai. Né en Côte d’Ivoire, il est élevé par son oncle. Mais il ne peut vivre librement sa sexualité dans son pays. Ses parents vivent en France, le jeune homme décide de les retrouver."J’ai été victime de violences homophobes. J’ai voulu rejoindre mes parents en France mais ils m’ont rejeté quand ils ont su. Je n’ai plus aucun contact avec eux", confie t-il. "J’ai été hébergé chez des amis mais au bout de deux jours, j'ai dû m’en aller. J’ai dormi dans la rue à Châtelet". Pour lui non plus, les centres d’hébergement pour migrants n'ont pas été d’un grand secours. "J’ai été bastonné. On doit se cacher. Je ne peux pas être moi-même. Mes manières énervent. C’est comme cela, ce n’est pas de ma faute", avoue t-il.Je n'ai plus aucun contact avec mes parents
L’Escale, un 3 pièces pour se reconstruire
Cette idée de colocation est née au sein de l’association Basiliade (Basiliade aide les personnes en situtation de précarité et atteintes du VIH) et la Fondation Abbé Pierre. Le principe est de mettre à l’abri de jeunes migrants LGBT, victimes de violences homophobes et de les accompagner ensuite vers l’autonomie grâce au travail de juristes, de travailleurs sociaux ou de psychologues. "Les jeunes migrants LGBT souffrent de nombreux traumatismes vécus dans leurs pays et au cours de leurs parcours migratoires. Ils ont besoin de se reconstruire avant de s’insérer", explique Noémie Stella de l'association Basiliade.La colocation et cet appartement témoin sont une bonne réponse à la double discrimination subie par les réfugiés LGBT
Grâce à plusieurs associations, comme Afrique Arc-en-Ciel ou l’Ardhis, (Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et trans à l'immigration et au séjour), Ndyai et Djyou sont donc aujourd’hui colocataires dans un appartement de 76 m2 sité à Belleville. Surnommé l’Escale, ils y vivent avec un autre jeune majeur. Chacun sa chambre. Un salon, une cuisine, une salle de bain. Un toit tout simplement.
Ce dispositif est soutenu par la Mairie de Paris. "C’est la première fois que nous leur dédions une colocation dans un immeuble de logements sociaux. Par le passé nos avions déjà travaillé avec le bailleur social Adoma pour créer des places dans des résidences pour migrants LGBT. Avec ce type de dispositif, nous souhaitons mettre fin à la discrimination dont sont victimes les réfugiés LGBT", se félicite Ian Brossat, adjoint à la mairie de Paris à l'Hébergement d'urgence et à la protection des réfugiés. Une discrimination que l'on retrouve également dans les foyers de migrants. "Il est parfois compliqué de les orienter dans des centres d’hébergements classiques en raison de leur sexualité. Ils peuvent être rejetés et discriminés par leur communauté. Ils ont fui leur pays par peur de l’homophobie et se retrouvent confronté au même rejet dans leur communauté d’origine ici en France", ajoute Ian Brossat.
"La colocation et cet appartement témoin sont une bonne réponse à la double discrimination subie par les réfugiés LGBT", confirme Aude Le Moullec-Rieu, la présidente de ARDHIS. Et de poursuivre : "l’accueil des demandeurs d’asile est catastrophique en France. L’allocation que touche un réfugié est très faible, insuffisante pour avoir un toit et se nourrir. Une situation aggravée pour les personnes LGBT car elles ne peuvent pas bénéficier de la solidarité de leur communauté nationale. Elles sont rejetées y compris en France. Elles doivent se cacher. Le motif de leur demande d’asile ne doit pas être connu, sinon elles peuvent être mises à la rue".
J’aime cet appartement, c’est class, c’est beau
Djyou et Ndiay sont suivis par l’association Basiliade qui gère le logement et les accompagnent matériellement, moralement, juridiquement et administrativement pour régulariser leur statut. "Aujourd’hui c’est encore très difficile. Mais ici c’est super, je ne suis plus dans la rue, je peux manger. J’ai des maux de tête, je ne dors pas. J’ai du mal à accepter ce que j’ai vécu mais avec le temps… Basiliade m’aide. Ici je suis en sécurité et je peux me reposer. Il faut que j’arrive à retrouver confiance. L’association m’accompagne dans mes démarches pour faire reconnaître mon statut de réfugié obtenu en Grèce". "J’aime cet appartement, c’est class, c’est beau !" sourit Ndyai qui est aussi en attente de régularisation auprès de la préfecture de Bobigny.
Si "la colocation permet de ne pas se retrouver seul après des parcours migratoires difficiles et de partager avec d’autres personnes qui ont vécu des épreuves similaires", selon Ian Brossat, ce dispositif d’urgence est une première étape. "Il ne s’agit pas de créer des centres d’hébergement communautaires. Il faut aussi faire un travail dans les centres d’hébergement classiques auprès des résidents, des professionnels qui ne savent pas toujours comment recevoir un public LGBT", souligne Ariel Djéssima-Taba, le président d’Arc-en-Ciel qui soutient les demandeurs d’asile LGBT dans leurs démarches et les sensibilise à la santé sexuelle.
Une deuxième colocation comme l'Escale et un centre d’hébergement dédié aux réfugiés LGBT de 18 places devraient voir le jour dans le centre de Paris.
L’homosexualité est un motif de demande d’asile depuis la fin des années 90 en France et dans la loi depuis 2015. Un motif qui est en augmentation selon les associations. En Côte d’Ivoire, tout comme au Sénégal, l’homosexualité est interdite par la loi. La pression familiale et sociale est aussi également très forte.
*Les prénoms ont été modifiés à leur demande.