C'est une liste qui a fait polémique. Relayée par le collectif Globule Noir, elle répertoriait des médecins noirs. La jeune femme qui l’a constituée nous explique pourquoi. Elle soulève la question des discriminations subies par certains patients.
Trouver une gynécologue femme et noire pour sa toute première consultation. C'est ce que souhaitait Myriam. Prendre un rendez-vous auprès d'un praticien chez qui elle se sentirait en confiance. Mais face à la rareté de professionnels noirs, la jeune femme décide de compiler une liste avec des noms et des adresses. Un annuaire qu'elle avait initialement constitué pour elle-même : "Je voulais une femme et aussi une femme qui me ressemble, c'est-à-dire noire pour me mettre plus à l’aise. J’ai commencé à en rechercher, j’ai vu qu’il y en avait très peu. Je me suis dit que j’allais faire une petite liste pour avoir plus de choix (…) La liste s’est rallongée. Et je me suis dit pourquoi pas partager cette liste avec d’autres femmes noires, étant donné qu’il y en a beaucoup qui subissent des violences avec le corps médical, des violences psychologiques mais aussi physiques. J’avais aussi en tête les nombreux témoignages que j’ai pu lire."
Car en effet les histoires et anecdotes de patients ayant eu de mauvaises expériences lors de leurs consultations chez un médecin regorgent sur les réseaux sociaux et dans les conversation entre amis.
Le syndrôme méditerranéen
Des personnes qui racontent souvent la même chose : des remarques racistes, des commentaires déplacés, une minimisation de certains symptomes, de la douleur, en raison de l'origine ou à la couleur de peau des patients. " Je ne sais pas si vous avez entendu parler du « syndrôme méditerranéen », interroge Myriam, selon lequel les hommes et les femmes noires ont une peau très dure et ne ressentent pas la même douleur que les personnes blanches et qu’il ne faut pas prêter attention à ce qu’elles disent. Elles crient au loup mais il ne faut pas y faire attention. "Ainsi certains professionnels de santé, n'hésitent pas à expliquer à des patientes que les douleurs intenses de leurs règles sont liées à leur bassin très large destiné à enfanter. Des douleurs contre lesquelles on ne pourrait rien faire.
Il y a quatre ans, c'est chez un dermatologue que Marie-Reine Mbeleck a eu une mauvaise expérience : "J’ai eu une crise sur la peau. J’avais 19 ans je ne savais pas du tout ce que c’était. Je suis partie voir un dermatologue. Je n’ai pas de médecin attitré, je vais voir sur doctolib, je ne fais pas de distinction, je prends le premier médecin.(…) je lui ai dit ce que j’avais, elle ne m’a même pas auscultée, elle m’a à peine regardée c’est moi qui ai dû lui montrer ce que j’avais. Ce n’était pas beau à voir. Elle m’a dit « de toute façon avec les peaux noires c’est toujours plus difficile à traiter ». Je n’ai pas vraiment compris. Elle m’a prescrit des choses sans regarder." Finalement le traitement n’aura aucun effet et ce problème se résoudra par lui-même. Mais pour la jeune femme " même si les peaux foncées sont plus difficiles à traiter, on n’a pas à dire ça. Parce que c’est leur travail, ils sont dermatologues, c’est à eux de savoir. Dire que ma peau n’est pas traitable ce n’est pas normal du tout." Au-delà de ses déconvenues, et même si elle déclare "ne pas vouloir faire de la parano" elle reconnaît avoir souvent subi ce qu’elle appelle des « micro-agressions » : des remarques et des questions sur ses origines.
Une liste pour avoir le choix
Suivie par 700 abonnés sur son compte twitter, la diffusion de la liste de Myriam dépasse rapidement son cercle d’amis. Elle est reprise, début août, par un collectif de soignants : Globule Noir, dont le compte twitter a depuis été suspendu. C’est alors qu’elle reçoit de nombreux messages d’insultes et de menaces avant de tout supprimer. La polémique enfle mais Myriam tient à préciser : « Cette liste ce n’est pas pour diviser les gens, pour dire que ces médecins ne traitent que les femmes noires et que les femmes noires ne doivent aller voir que ces médecins. Non c’est juste pour leur donner un choix. »Face à la circulation de cette, la Licra a décidé de dénoncer « la folie identitaire » de certains. L’Ordre national des médecins et l’Ordre national des infirmiers ont rédigé un communiqué commun pour condamner cet annuaire.
[Communiqué commun] L’Ordre des médecins et l’@OrdreInfirmiers condamnent fermement la constitution d’annuaires de professionnels de santé communautaires. @BouetP @JMMOURGUES pic.twitter.com/wBK911iBDs
— Ordre des Médecins (@ordre_medecins) August 11, 2020
Des professionnels de santé divisés
Les deux organsimes s’en remettent à la loi qui interdit la constitution de liste en fonction des origines ou de la confession religieuse. D'après Patrick Chamboredon, président de l’Ordre national des Infirmiers "Cela ne correspond pas au code de la santé publique et cela ne correspond pas à ce qu’est l’éthique et la déontologie des professionnels de la santé." Et d'ajouter "le critère de choix d’un professionnel c’est sa compétence." Il met ainsi en garde contre d’éventuelles dérives de ce genre de liste : qui la tient à jour ? Qui sont les soignants ainsi répertoriés ? Sont-ils reconnus ? Alors en cas de discrimination il incite "à venir se rapprocher de nos institutions pour dénoncer ce type de comportements. Ce sont des méthodes qui sont répréhensibles."Mais il est souvent difficile d’en parler et de le prouver en dehors du secret du cabinet médical. Pour sa part le Syndicat des Jeunes médécins généralistes refuse de se voiler la face. Les patients homosexuels se recommandent des médecins et praticiens « gay-friendly », des femmes conseillent des professionnels avec lesquels elles ne subiront pas de violences gynécologiques. Benoît Blaes, président du groupe, est surtout surpris par "Les réactions défensives et réactionnaires du corps médical. Ce qui est scandaleux c’est qu’il y ait du racisme en santé qui persiste. Ce qui est scandaleux c’est que les institutions de ces professionels de santé ne se soient pas emparés de ces questions depuis longtemps et qu’il n’y ait toujours pas de mécanismes de contrôle, un endroit où on peut dénoncer ces comportements et où cela aboutisse."
Pour Myriam la vraie question est de comprendre "pourquoi j’en suis arrivée là, à dresser cette liste ? J’aurais préféré que la Licra et l’Ordre des médecins s’interrogent sur cette liste, pourquoi il y a autant de personnes qui recherchent des médecins « noirs ». Parce que l’on subit du racisme légal et autant de discriminations." Se pose alors la question de la formation des médecins, des infirmiers et plus largement des soignants face à ces questions de racismes ou de discriminations.
> Le reportage de Elise Ferret avec Floriane Olivier