"Rue des Archives" nous plonge dans la mémoire de l'audiovisuel avec, cette semaine, des images de la Tour Eiffel démontée et d'une enseigne lumineuse sur l'Arc de Triomphe… La télévision s'est emparée de la tradition du poisson d'avril. Mais avec la multiplication des fake news, l’heure des canulars semble bel et bien révolue.
Une Tour Eiffel privée de son troisième étage ? Images à l'appui, les spectateurs de FR3 ont pu découvrir ce 1er avril 1991 la dame de fer métamorphosée. La date est importante. Car il s'agit bien d'un poisson d'avril, lancé à l'antenne avec un ton sûr - et un sourire en coin - par Elise Lucet.
Les arguments de cette transformation sont techniques : "Selon les spécialistes de la mairie de Paris, la vieille dame âgée de 102 ans a tendance à se dilater. Le principal danger viendrait du troisième étage qui a donc été retiré", indique le commentaire.
"La crédibilité repose d'abord sur la confiance", explique Arnaud Mercier, professeur en sciences de l'information et de la communication à l'université Paris-Panthéon-Assas. "On sait que les journalistes respectent normalement un certain nombre de règles de déontologie (...) Et c'est tout le problème du canular : vous jouez sur la confiance acquise pour raconter une histoire qui n'est pas vraie."
Cibles de choix pour les journalistes de l'audiovisuel public : la Tour Eiffel (en 1963, 1964, 1972 ou encore 1991) et l'Arc de Triomphe. Le 1er avril 1964, "on trouvera" par exemple du pétrole sous la place de l'Etoile. Le 1er avril 1987, une enseigne lumineuse géante sera censée coiffer le toit du monument parisien. Un micro-trottoir de passants étayant cette information parfaitement fausse.
Des poissons d'avril prémonitoires
Marqueurs des préoccupations de l'époque, certains poissons d'avril sont passés du fantasme à la réalité. Ainsi, pourquoi ne pas passer un coup de fil tout en prenant le métro ? En 1966, point de téléphone portable, mais un taxiphone (fictif) est installé dans une rame de la ligne 11 du métro parisien, "choisie pour une innovation, tout à l'honneur de la RATP", commente le journaliste. Une utilisatrice s'enthousiasme devant la caméra : "Tu sais ce qu'il y a dans le métro ? Le téléphone ! C'est formidable !"
Autre exemple de canular, rattrapé par la réalité : la cigarette, prohibée dans les lieux publics. En 1972, près de 20 ans avant la loi Evin, l'interdiction fait peur. "Fumer une cigarette... Vous ne pourrez plus le faire en toute liberté", explique le commentaire de l'ORTF, avant d'énumérer quelques lieux concernés : "Interdiction de fumer dans tous les lieux où se tiennent des réunions professionnelles de plus de quatre personnes (...) dans les halls de gare, dans les couloirs du métro." Une évidence aujourd'hui.
Une fake news comme une autre ?
Tradition potache, le poisson d'avril semble avoir disparu des médias de premier plan. Ainsi en est-il des sites régionaux de France 3, depuis plusieurs années. Un choix souvent justifié par la lutte contre les fausses informations, difficilement compatible avec la rédaction de canulars. Certains sites "imitent le style journalistique pour essayer d'accréditer leurs mensonges", poursuit Arnaud Mercier.
"Il y a cette difficulté, parfois, à séparer le bon grain de l'ivraie."
Arnaud Mercier, professeur en sciences de l'information et de la communication (université Paris-Panthéon-Assas)"Rue des Archives" - 31 mars 2023
Pour les médias, se lancer dans la course au poisson d'avril, c'est donc "risquer de contribuer à brouiller la frontière entre le vrai journalistique et le faux", explique le chercheur. "Et donc sans doute, il vaut mieux ne plus le faire."
? "Rue des Archives", c'est chaque vendredi, à 11h50, sur France 3 Paris Île-de-France. Retrouvez l'intégralité du numéro #23 consacré aux poissons d'avril dans les médias.